La Sierra Leone doit élire mercredi son nouveau président. Les candidats des deux principaux partis partent favoris pour succéder à Ernest Bai Koroma, qui reconnaît que “tout n’a pas été parfait” pendant son mandat, marqué par l’épidémie d’Ebola.
Quelques mois après le Libéria, c’est au tour de sa voisine, la Sierra Leone, de désigner son nouveau président. Un peu plus de trois millions d’électeurs sont appelés à choisir, mercredi 7 mars, parmi 16 candidats, le successeur au président Ernest Bai Koroma, qui ne peut plus se représenter après 10 ans au pouvoir. Les Sierra-Léonais sont aussi appelés à renouveler leur Parlement composé de 132 députés.
Les candidats des deux grands partis qui dominent la vie politique du pays depuis son indépendance en 1961 partent favoris. Il s’agit de Samura Kamara, candidat du parti au pouvoir l’APC (le Parti de tout le peuple) et de Julius Maada Bio, représentant du SLPP (le Parti du peuple de Sierra Leone), la principale formation d’opposition.
Le premier, économiste de 66 ans, s’inscrit dans la continuité d’Ernest Bai Koroma, qui le soutient ouvertement. Après avoir été gouverneur de la Banque nationale de Sierra Leone entre 2007 et 2009, puis ministre des Finances entre 2009 et 2012, il était jusqu’au mois d’octobre ministre des Affaires étrangères, avant de se lancer dans la course à la présidentielle. Samura Kamara a promis, lors du tout premier débat pré-électoral télévisé organisé le 15 février dans le pays, que l’APC “fera plus dans les domaines des routes, de l’électricité, de la santé et de l’éducation”. Peu connu du grand public, il compte sur la base des électeurs du parti et le soutien du président pour l’emporter.
Julius Maada Bio participe lui à sa deuxième élection présidentielle. Il avait été battu en 2012 par le président sortant. Ce militaire de formation, qui s’est excusé pour l’exécution de plus de 20 personnes lors d’un coup d’État auquel il a participé en 1992, a lui-même pris le pouvoir en janvier 1996 en évinçant le chef de la junte, le capitaine Valentine Strasser, dont il était le vice-président. Trois mois plus tard, c’est lui qui rétablira le multipartisme dans le pays. Il a choisi de faire campagne sur un programme anti-corruption, alors qu’il est lui-même accusé d’avoir détourné 18 millions de dollars lors de son passage de trois mois à la tête de l’État en 1996.
Mais un troisième homme pourrait créer la surprise. Kandeh Yumbella a quitté le SLPP il y a moins d’un an pour créer son propre parti, le NGC, la grande coalition nationale. Ancien diplomate de l’ONU, il a promis un “plan d’urgence” pour l’éducation s’il est élu, avec une attention particulière pour l’enseignement technique.
“Un second tour entre l’APC et le SLPP est le scénario le plus probable, mais la NGC pourrait être déterminante dans la désignation du vainqueur final” s’il y a un second tour, souligne le directeur du think-tank Area Consulting, Jamie Hitchen. Le chargé de campagne de Julius Maada Bio, Michael Lavahun, espère évidemment un report des voix des partisans du NGC en faveur des son candidat, relate Jeune Afrique.
“Tout n’a pas été parfait”
Le vainqueur héritera d’un pays où sévit la corruption. Selon un audit gouvernemental de 2015, 5,7 millions de dollars, soit un tiers du budget de l’État consacré à la lutte contre l’épidémie d’Ebola qui a tué 4 000 Sierra-Léonais entre 2014 et 2016, ont disparu des caisses étatiques. Les travaux d’une “commission anticorruption” créée par le pouvoir n’ont pas convaincu, ses enquêtes s’étant généralement enlisées. “Tout n’a pas été parfait”, a reconnu le président sortant pendant la campagne.
Cette épidémie a laissé aussi des traces dans le système de santé du pays déjà très fragile. Beaucoup de soignants, en première ligne face au virus, sont morts pendant cette période. Selon les chiffres du correspondant de la BBC dans le pays, Umaru Fofana, il ne reste que 200 médecins pour 7 millions d’habitants.
Le parti au pouvoir pourrait également pâtir de sa gestion des inondations qui ont fait plus de 1 000 morts en août 2017 dans la périphérie de Freetown et plongé dans le plus grand dénuement de nombreuses familles. “Les autorités auraient dû tirer les leçons d’événements similaires et mettre en place des systèmes permettant de prévenir, ou tout au moins de réduire, les conséquences de telles catastrophes. Les inondations dévastatrices frappent désormais chaque année la capitale du pays. Pourtant, en raison de l’absence de réglementation et d’une prise en compte insuffisante des normes minimales et des lois relatives à l’environnement, des millions de Sierra-Léonais vivent dans des habitations très vulnérables”, estime dans un communiqué Makmid Kamara, directeur adjoint des Thématiques mondiales à Amnesty International.
Le président sortant laisse également un pays miné par l’inflation. Le prix du riz a quintuplé pendant son mandat, la dette publique est en hausse, de même que le taux de chômage des jeunes “identique, voire pire” qu’à son arrivée, souligne l’analyste politique Lansana Gberie, interrogé par l’AFP.
Immenses défis
Plusieurs candidats ont dénoncé l’incurie du parti au pouvoir pendant la campagne. Parmi les plus critiques figure l’ancien vice-président Samuel Sam-Sumana, limogé en 2015, qui se présente sous les couleurs de son propre parti, la Coalition pour le Changement (C4C). “Les bas salaires des fonctionnaires sont la recette assurée pour la corruption”, a-t-il lancé lors du débat télévisé entre les principaux candidats, en plaidant pour une augmentation des traitements des fonctionnaires et une application systématique de la loi.
Quinze ans après la fin de la guerre civile qui fait 75 000 morts parmi les civils, selon Amnesty International, les défis que devra relever le nouveau président sont immenses, notamment pour relancer l’économie. Selon Oxfam, 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, seulement 57 % ont accès à l’eau potable et 40 % à des latrines individuelles ou partagées. Le taux de mortalité maternelle y est l’un des plus élevés au monde. Une proposition de loi autorisant l’avortement est par ailleurs restée dans les tiroirs de la présidence depuis 2016.
La pratique de l’excision est toujours banalisée et concerne près de 90 % des femmes. La police a interdit cette pratique pour la durée de la campagne, des candidats ayant été accusés de financer cette mutilation génitale féminine en échange de voix. Mais la mesure a été désapprouvée par des associations de femmes favorables à l’excision, pour qui la pratique fait partie de la culture du pays.