Faut-il prendre en compte les connaissances autochtones dans la recherche scientifique ? La question est complexe. Au Nunavut, par exemple, où vit la communauté inuit, on s’inquiète du nombre croissant d’ours polaire aux environs des villes. Mais l’impression est biaisée, rappellent les scientifiques. Les récents comptages décrivent plutôt une décroissance des populations d’ours : les individus survivants se rapprochent simplement des habitations pour trouver à manger. Cela n’enlève pas la réalité des difficultés vécue par les Inuits, mais contredit l’idée d’une augmentation de la population.
À l’inverse, des populations locales peuvent aussi aider la science. Par exemple, des biologistes d’Environnement Canada, comptaient depuis des années une harde de caribous dans la province de la Saskatchewan. En 2009, s’alertant de ne plus les voir, ils allaient conclure à leurs disparitions, avant de retrouver en 2011 une partie du troupeau, grâce à des paroles d’Autochtones qui disaient que parfois, très rarement, la harde changeait de lieu.
Savoir écouter
Depuis plusieurs années, le Québec s’interroge donc sur la place à donner aux pratiques et compétences autochtones dans la recherche scientifique. Profitant de la prise de conscience progressive de l’importance de ces cultures, certains plaident pour faire évoluer les pratiques scientifiques, en prenant plus en considération les autochtones, souvent réduits à des objets de recherches ou de simples points d’appuis utiles sur le terrain.
C’est le cas notamment d’Hugo Asselin, professeur, directeur de l’école d’études autochtones à l’université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et biologiste. Il prend ainsi l’exemple d’un de ses étudiants, qui travaillait sur l’aire de répartition du pin blanc. En échangeant avec des Autochtones, ce dernier remarque qu’une légende revient régulièrement, selon laquelle le sapin détesterait le pin blanc. « Cela nous a mis sur une piste et nous a permis de constater un impact négatif du sapin sur la présence de pin blanc. En tant que scientifique, on va vouloir l’expliquer, mais les autochtones, eux, le savaient sous forme de récit, et ça leur suffisait », explique le biologiste. Pour le directeur de l’UQAT, cette découverte n’aurait pas été possible sans le travail qualitatif de son étudiant, basé sur l’échange et l’écoute.
Des chercheurs s’alertent toutefois de possibles interférences et d’un risque de compromettre la méthode scientifique. C’est le cas d’Yves Gingras, professeur d’Histoire et de sociologie des sciences à l’université du Québec à Montréal. « Dire “connaissance scientifique”, c’est un pléonasme, tout comme c’est un non-sens de parler de “connaissances autochtones” : il n’y a pas plusieurs types de connaissances. On parle de connaissance tout court, parce que tout le monde peut tester cette connaissance, c’est universel. Il n’y a aucun problème à s’intéresser aux croyances des peuples autochtones dans le cadre d’une recherche, mais il faut bien distinguer les deux », s’alarme le chercheur, qui dénonce un « néoromantisme » croissant dans la recherche, essentialisant les autochtones qui seraient naturellement ancrés dans leurs environnements.
Pour Hugo Asselin, il n’y a pas de « néoromantisme », mais une réalité, qui peut s’avérer très pratique lorsque l’on est biologiste ou que l’on travaille sur l’environnement : « De nombreuses communautés autochtones ont encore des pratiques de terrains, connaissent leurs territoires. En tant que scientifiques, s’appuyer sur leurs atouts peut être précieux, et permet souvent d’être plus précis dans les zones à couvrir. » Il cite notamment l’apport des peuples autochtones pour trouver une espèce particulière de plante, pour connaitre leurs périodes de floraisons.
Mais qu’en pensent les principaux concernés ? Lors de deux séminaires organisés par l’UQAT, des individus autochtones et non-autochtones se sont réunis pour discuter des pratiques de la recherche. Ce qui ressort surtout de leurs témoignages, c’est d’être plus considérés et écoutés. Bref, d’éviter, en tant que chercheur, de venir récupérer des informations et de repartir. Soulignant aussi leur travail d’accompagnement, souvent gratuit, ils demandent une meilleure rétribution, qui pourrait passer par la transmission, sur un point précis et utile à la communauté, de l’expertise du chercheur.
Mieux considérer les locaux
Pour Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec, fonction chargée entre autres de diriger le Fonds de recherche du Québec, le débat est important, mais il ne faut pas trop caricaturer ni d’un côté, ni de l’autre. « La direction qui est prise par la science au Canada, c’est plutôt d’inclure plus en avant les communautés locales, autochtones ou pas, au sein de programmes de recherche, de faire de la science participative », nuance-t-il. Le programme Engagement du fond de recherche du Québec s’inscrit dans cette perspective.
Il n’est donc pas question pour la recherche au Québec de perdre en rigueur, ni de donner une place trop importante aux croyances, peu importe de quelles communautés. Dans un relativisme ambiant, où platistes, complotistes et autres scientifiques en herbe sont de plus en plus nombreux à remettre en question la science, il est important de garder un cap et une rigueur systématique, grâce à la relecture par les pairs, le respect des protocoles, explique Rémi Quirion. « Certains parlent d’une “science occidentale”. Je ne suis pas d’accord avec cela : la science suit des protocoles, n’a pas à être d’un bord ou d’un autre, et c’est son universalité qui permet des découvertes ou des redécouvertes aux quatre coins du monde », ajoute le scientifique en chef qui évoque les risques parfois encourus par des individus qui relativisent l’apport de la médecine et refusent des soins pour suivre des remèdes traditionnels.