Marie Florence, le jour des adieuxDepuis quelques jours, Boro Sanguy est sur les bords de la lagune Ebrié. Membre fondateur de la Jet Set parisienne qui a lancé le couper-décaler, le ‘’boucantier’’ qui avait pris du recul revient sous les spots lights. Objectif, lancer son nouvel album intitulé ‘’ Souki langaï’’ dans lequel il rend hommage à feu François Lougah. Dans cette entrevue, le chanteur fait des révélations sur le mouvement couper-décaler, sa carrière et sa vie.
Aux premières heures de l’avènement du couper-décaler en 2003, en Côte d’Ivoire, les mélomanes ont aperçu Boro Sanguy (Richard Balet Koudougnon, à l’Etat civil) aux côtés de feu Douk Saga, la tête de file de la Jet Set parisienne. Il formait, avec les autres, le noyau dur de ce courant musical porté par ces jeunes gens qui se faisaient appeler les ‘’boucantiers’’ («Nous, on fait le boucan sauvagement», disaient Douk Saga). Quelques années plus tard, après le décès de Douk Saga, Boro Sanguy décide, à son tour, de se lancer dans une carrière de chanteur avec son pote Lino Versace. Le duo sort un album Intitulé ‘’Mastiboulance’’en 2005. Mais, cette aventure fera long feu. Et chacun prendra sa route. Le Sanguy entame une carrière solo et publie une œuvre de 14 titres baptisée ‘’Tapis rouge’’ en 2011. Deux ans plus tard, il enchaîne avec l’album ‘’Dame de lui’’. Dans quelques jours, il va revenir sur la scène avec une nouvelle production discographique de 14 tracks nommée ‘’Souki Langaï’’, qui a bénéficié en majorité des arrangements de Ziké. «En tant que danseur, il me fallait un devancier comme Ziké, lui-même danseur et chanteur, pour mieux me comprendre et mieux rendre ce que je veux», dit-il. L’autre particularité de cette œuvre, c’est l’hommage qu’il rend à feu François Lougah avec la chanson ’’Souki Langaï’’ qui donne son titre à cet album. «Lougah, c’est une icône de la musique ivoirienne qui a bercé mon enfance. Moi, j’ai commencé ma carrière par la danse. Et c’est devant les discothèques que je m’entraînais. Et les chansons de ce chanteur faisaient partie des sons sur lesquels je dansais», explique le ‘’boucantier’’.
Ce disque, sorti en France par le label Rose d’Argent Productions de l’artiste est déjà disponible à la FNAC. Avant la distribution en Côte d’Ivoire, c’est le titre ‘’Koumassi Sicogi’’ extrait de cette œuvre que les mélomanes vont découvrir. «Dans cette chanson, je rends hommage à tous les jeunes de mon quartier. Je les exhorte à la persévérance et au courage. Car si j’ai pu être ce que je suis, eux aussi peuvent réussir. L’espoir fait vivre. C’est pourquoi, je vais réaliser le clip de cette chanson à Koumassi Sicogi. Afin de présenter ce quartier au monde entier», dit-il.
• Boro Sanguy, tu as pris du poids !
– Oui, j’ai grossi depuis que j’ai arrêté de faire le sport. Ce sont mes activités qui me prennent assez de mon emploi du temps. Du coup, je n’arrive plus à fréquenter les salles de gym. Mais, dès mon retour à Paris, je vais m’y mettre.
• Tu te dépigmentes aussi ?
– (Rire). Eh !… le frère, tu ne laisses pas affaire ! Oui, il n’y a pas trop longtemps, que j’ai décidé de cirer mon teint. Bon, je crois que ça me va bien, non ? J’ai appris que le gouvernement ivoirien a voté une loi contre la dépigmentation. Pardon, qu’ils nous laissent dans notre affaire. (Il rit aux éclats).
• Quelle est l’activité qui t’occupe ces derniers temps ?
– Je viens d’ouvrir une société de transport de marchandises. Je ne me plains pas. Les choses bougent comme je le veux. Par la grâce de Dieu. Dans le même temps, j’ai aussi ma carrière musicale que je gère. J’ai finalisé un nouvel album qui sort en France.
• Est-ce à dire que tu es plutôt à fond dans les affaires ?
– J’ai reculé pour mieux sauter, comme on dit. Parce qu’il existait, à un moment, un désordre dans le milieu du show-biz et dans ma vie. Mon avenir était ambigu. C’est ce qui m’a fait peur. Donc, il fallait que je fasse un break pour régler tout cela. Et par la même occasion, je devais suivre l’évolution de l’entreprise que je venais de mettre sur pied. Aujourd’hui, j’ai réussi à mettre certaines choses en place, désormais, la musique devient mon passe-temps.
• L’argent du boucan était fini, c’est ce qui t’a fait peur ?
– Non, l’argent pour faire le boucan ne peut pas finir. Parce que chacun de nous avait une activité qui lui rapportait de quoi faire le show. Les gens pensent qu’on s’amuse tous les jours de la semaine. Je dis non à cette conception des choses nous concernant. On ne sortait que les week-ends pour nous amuser. J’ai investi dans plusieurs secteurs d’activité qui me rapportent de l’argent. J’ai une grande ferme, entre autre. Donc, ce n’est pas l’argent du boucan qui est fini. Seulement, je voulais assurer mon avenir, c’est pourquoi je me suis retiré juste un peu du mouvement.
• As-tu des nouvelles de Lino Versace ?
– Je suis en contact avec lui. Il n’y a jamais eu de clash entre nous. C’est d’un commun accord qu’on s’est séparé. Il continue sa carrière solo et moi aussi. Ça bouge chez chacun de nous.
• N’est-ce pas le décès de Douk Saga qui a fait s’effriter la Jet Set parisienne ?
– Pas du tout ! Feu Douk Saga ne me donnait pas l’argent pour faire le farot. Il ne payait pas non plus mon loyer, ni mes factures, ni ma consommation en boîte de nuit. C’est vrai, la mort de Douk Saga nous a tous choqués. Franchement, aucun d’entre nous ne pensait qu’on pouvait perdre l’un de nos amis de cette manière. Si vite. Par la suite, dans des révélations, on apprenait qu’un autre gars de la Jet Set allait mourir. Donc cela a créé une psychose au sein du mouvement. On a eu tous peur, et chacun a pris sa route (Rire). Maintenant qu’il y a eu une accalmie, j’ai convoqué une réunion qui aura lieu dans les jours à venir avec tous les autres membres de la Jet Set. Entre autres, Molare, Shakoulé, Serges Défalet, Solo Béton, Bedel Patassé, Kuyo Junior et Lino Versace sera là d’ici peu.
• Où en êtes-vous avec la guerre de leadership au sein du mouvement ?
– Il n’y a pas eu de guerre de leadership. C’est ce que les gens ont voulu faire croire au public. Dans la Jet Set, chacun a sa personnalité. Aucun des membres ne peut remplacer un autre. On formait un groupe. C’est la mort de Douk Saga qui a créé un grand vide dont on a beaucoup souffert. C’est tout, et rien d’autre. Personne ne nous a dit yako depuis la disparition de notre frère. A part la médaille accordée à titre posthume à notre ami Stéphane Doukouré (Douk Saga).
Nous autres, on n’a rien eu comme récompense ou distinction de la part du ministère de la culture. C’est pourquoi, on a préféré se tourner vers notre avenir. Mais le couper-décaler, dans lequel nous avons investi plusieurs millions pour l’imposer, continue de fabriquer des artistes, faire des boîtes de nuit et de nombreux spectacles. Si c’était le cas sous d’autres cieux, je devais avoir un autre statut dans le monde la culture.
• La Jet Set va se reconstituer, tu ne cites pas Jean-Jacques Kouamé…
– Jean-Jacques Kouamé ne fait pas partie de la Jet Set. Il le sait bien. Le mouvement avait été créé avant qu’on ne le connaisse. Et c’est grâce à son grand frère Richard Kouamé que JJK nous fréquentait. Et qu’il participait à nos différentes virées nocturnes. Nous l’avons adopté et sa présence ne gênait aucun mem-bre. (Il monte le ton) Est-ce que la Jet Set est une société ? C’est juste un groupe d’amis. Où est le problème, si l’arrivée de certaines personnes agrandit le cercle ? Donc que les gens arrêtent les polémiques qui créent la division.
• Tu veux réunir tous les membres de la Jet Set, est-ce pour élire un nouveau président ?
– Oui, l’idée d’élire un nouveau Président n’est pas exclue. Mais nous voulons réorganiser l’univers couper-décaler. Je lance un avertissement aux jeunes frères, je leur dis que nous revenons pour les recadrer et prendre les rênes du mouvement. Celui qui aura un succès, ça sera grâce au fruit de son travail. Et on en finira avec les sonorités et les clips vidéo minables. Ils seront vraiment aux pas. Parce que le flambeau que nous avons passé à la nouvelle génération, elle n’arrive pas à en faire bon usage. Il y a trop de légèreté dans le mouvement. Le style vestimentaire avec des culottes au raz des fesses, des piercings et des tatouages de partout sur leur corps… C’est vraiment abuser de la jeunesse. Il y a des rappeurs et des faiseurs de couper-décaler. Les mélomanes doivent faire la différence. Nous, on reste toujours clean (propre). Car c’est l’image avant tout.
• Que penses-tu de Dj Arafat, Bebi Philip, Serge Beynaud, Dj Débordo … ?
– Je n’ai rien à leur reprocher. Ce que je déplore chez certains d’entre eux, ce sont les clashs auxquels ils s’adonnent. Et le manque de solidarité où chacun se croit le plus fort, dans un grand désordre. A notre temps, lorsqu’un d’entre nous doit réaliser son clip, on est tous présents au tournage. Lino et moi, on a beaucoup apporté dans la carrière de Fally Ipupa en matière de featuring. Mais on ne se vante pas. J’ai même produit une vidéo pour leur donner des conseils et les interpeller. Parce que nous autres, on a galéré pour imposer le couper-décaler dont ils sont les premiers bénéficiaires. Par conséquent, ils ont intérêt à prendre au sérieux le mouvement. Afin de le pérenniser.
• N’est-ce pas un discours parce que tu n’es pas au top ?
– Loin de là ! Je tourne régulièrement dans des spectacles en Europe. Je n’ai rien à leur envier. A plus forte raison avoir un sentiment d’aigreur. Ce sont les mélomanes qui jugent et apprécient nos œuvres. Je peux ‘’mousser’’ à tout moment. Chacun à son temps de gloire. Et j’accepte cette conception de l’environnement musical.
• Récemment, Molare a donné son avis sur la cause du décès de Douk Saga. Qu’en penses-tu ?
– Franchement, je n’ai pas apprécié cette déclaration de Molare. Je lui ai signifié mon mécontentent, parce que ce n’était pas opportun d’affirmer ce qui a pu causer la mort de Douk Saga. Je n’ai jamais vu le certificat médical pour confirmer ce qui se dit sur la mort de Douk. D’autre part, je le comprends, parce que certaines personnes l’accusaient, on disait que c’est lui qui aurait tué Douk Saga. Donc, il le vivait comme un fardeau dont il souhaitait se débarrasser. Pour se libérer de cette affaire, il a parlé des causes du décès de son ami. Sinon, ça n’en valait pas la peine. Aujourd’hui, le fils de Doukouré a grandi pour comprendre certaines choses de la vie de son père.
Par Charly Légende
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