Il faisait froid et gris ce jour-là, ce 11 septembre 1973, une triste journée de fin d’hiver austral, témoignent les récits que nous avons pu lire. Mémoire déformée par le drame qui allait suivre ou réalité météorologique ?
Le président est informé très tôt le matin que la marine s’est soulevée dans le grand port militaire de Valparaíso, sur le Pacifique. L’aviation se mobilise aussi à Concepción et l’armée de terre à Santiago. Salvador Allende, qui avait déjà subi une tentative de putsch militaire en juin – le « tancazo » auquel le général Augusto Pinochet, sans doute le sentant peu préparé ne s’était pas rallié- saisit rapidement la gravité de la situation. Depuis des mois, son pouvoir était attaqué par des grèves soutenues par le patronat et en sous-main les États-Unis comme ce sera largement documenté dans de nombreuses enquêtes, comme celle du Sénat américain citée par l’historien Franck Gaudichaud (Multinational corporations and United States foreign policy). Les blocus (comme la célèbre grève des camionneurs d’octobre 1972 soutenue par les partis de droite du Parti national et la Démocratie-chrétienne) et les attentats de l’extrême droite, notamment du mouvement fasciste Patria y Libertad, créent de la tension dans la population et compliquent l’organisation économique. Un pouvoir fragilisé aussi par les tensions internes à sa coalition entre socialistes et communistes, par son absence de majorité parlementaire et le harcèlement subi par le gouvernement à la Chambre… Le 22 août 1973, son gouvernement est déclaré anticonstitutionnel par 81 voix contre 47. Par ce vote, les députés donnent le feu vert à une intervention militaire.
Chili, le 18 mai 1973 : le régime de Salvador Allende subissait de nombreuses pressions, financées ou activées en sous-main par les Etats-Unis et l’opposition de droite. Il eut à affronter notamment une longue grève des mineurs du cuivre à El Teniente provoquée par des revendications salariales. Or les exportations de cuivre sont une source essentielle de devises pour le Chili. Une séquence longuement racontée dans le documentaire de Patricio Guzman, La batalla de Chile.
Chili, le 18 mai 1973 : le régime de Salvador Allende subissait de nombreuses pressions, financées ou activées en sous-main par les Etats-Unis et l’opposition de droite. Il eut à affronter notamment une longue grève des mineurs du cuivre à El Teniente provoquée par des revendications salariales. Or les exportations de cuivre sont une source essentielle de devises pour le Chili. Une séquence longuement racontée dans le documentaire de Patricio Guzman, La batalla de Chile. ullstein bild via Getty Images – ullstein bild Dtl.
Sous pression de la hiérarchie militaire qui pousse au renversement du président, le général en chef des armées, Carlos Prats González, démissionne. Il sera assassiné à Buenos Aires un an plus tard. Salvador Allende nomme alors Augusto Pinochet, qu’il pense légaliste. Opportuniste, ce dernier choisit seulement le 8 septembre, convaincu par le général Gustavo Leigh (aviation) le plus jeune et le plus dur des insurgés, de suivre la conspiration. « Devant l’imminence de la chute de l’Unité populaire, Allende décida secrètement d’organiser un référendum pour demander au peuple s’il devait rester ou partir, raconte Mónica Echeverría, dramaturge et écrivain, proche d’Allende, dans Santiago-Paris, le vol de la mémoire, écrit avec sa fille, Carmen Castillo. Il est fort probable que les opposants aient eu vent de cette résolution car la date du coup d’État fut avancée. » Une thèse confirmée dans Septembre rouge, la « docufiction » très documentée des événements qui menèrent au putsch, écrite par Olivier Besancenot et Michael Löwy.
Un président en armes
À six heures quarante-cinq du matin, Allende donne les premières informations à la radio, sur Radio Corporación, reprend Mónica Echeverría, et demande à la population de garder son sang-froid. Il se rend au palais présidentiel de la Moneda avec sa garde rapprochée – le GAP (Groupe d’amis personnels). Des ministres, amis, ses deux filles Beatriz et Isabel, des journalistes et d’autres le rejoignent. Les récits mentionnent que Salvador Allende emporte avec lui un fusil mitrailleur AK-47, cadeau de Fidel Castro et une image passée à la postérité a saisi la tension du moment. On y voit le président coiffé d’un casque militaire inspecter le ciel.
Palais présidentiel de La Moneda à Santiago du Chili: coiffé d’un casque militaire et armé, le président Salvador Allende entouré de quelques membres de sa garde rapprochée, inspecte le ciel. La photo, dont le New York Times acheta les négatifs, fut publiée quelques jours plus tard. Elle a remporté le prix World Press de la meilleure photo journalistique en 1973 et le journal a ensuite décidé de verser les droits d’auteur au prix World Press. Le photographe est probablement Luis Orlando Lagos Vasquez, photographe officiel de la présidence. Il parviendra à s’échapper de La Moneda et meurt en 2007 sans avoir touché un centime de cette célèbre photo.
Palais présidentiel de La Moneda à Santiago du Chili: coiffé d’un casque militaire et armé, le président Salvador Allende entouré de quelques membres de sa garde rapprochée, inspecte le ciel. La photo, dont le New York Times acheta les négatifs, fut publiée quelques jours plus tard. Elle a remporté le prix World Press de la meilleure photo journalistique en 1973 et le journal a ensuite décidé de verser les droits d’auteur au prix World Press. Le photographe est probablement Luis Orlando Lagos Vasquez, photographe officiel de la présidence. Il parviendra à s’échapper de La Moneda et meurt en 2007 sans avoir touché un centime de cette célèbre photo. Corbis via Getty Images – Serge Plantureux
L’armée ne lui obéit plus, les tanks se déploient devant le palais présidentiel d’où se sont retirés les carabiniers. Allende reste seul avec ses proches.
« Les larges avenues »
À huit heures et demie du matin, l’armée lui demande de se rendre. Il refuse. En fin de matinée, les tanks encerclent le palais présidentiel et ouvrent le feu. Avec les quelques armes dont ils disposent, les assiégés ripostent. Salvador Allende, prévenu d’un bombardement par des avions de combat, demande une trêve pour évacuer ceux qui veulent ou doivent partir. Ses deux filles et d’autres quittent le bâtiment, qui est ensuite bombardé par deux avions de combat Hawker Hunter. Le premier étage est partiellement détruit, le bâtiment s’enflamme. Plusieurs témoignages racontent l’inquiétude exprimée par Salvador Allende pour son chef d’état major, Augusto Pinochet, qu’il a cru loyal -presque- jusqu’au bout. La résidence privée Tomas Moro du couple présidentiel sera également bombardée puis pillée.
Palais présidentiel de La Moneda, le 11 septembre 1973. Bombardé par des tanks au sol et des avions de chasse, le palais prend feu. Ce bâtiment de la fin du 18e siècle avait été le palais de la Monnaie, d’où son nom, avant de devenir le siège de la présidence du Chili en 1845.
Palais présidentiel de La Moneda, le 11 septembre 1973. Bombardé par des tanks au sol et des avions de chasse, le palais prend feu. Ce bâtiment de la fin du 18e siècle avait été le palais de la Monnaie, d’où son nom, avant de devenir le siège de la présidence du Chili en 1845. Bettmann Archive – Bettmann