s’associe au consortium international d’enquête Forbidden Stories pour reprendre le travail de Rafael Moreno, journaliste tué le 16 octobre 2022 dans des circonstances encore non-élucidées, dans le nord de la Colombie. Il enquêtait notamment sur les dégâts causés par la grande industrie minière. Il y a six ans, la justice colombienne a obligé l’opérateur de la mine de nickel Cerro Matoso S.A., à veiller à la santé des populations voisines et à leur environnement, mais les habitants de la commune de San José de Uré, à 10 kilomètres de la mine et qui souffrent aussi de l’incurie de l’État, attendent toujours.
Depuis le pont, l’homme pointe du doigt les maisons construites au bord de la rivière. « Vous voyez comme elles s’enfoncent ? C’est à cause de l’érosion », se lamente-t-il. Yair Pérez est un responsable du Conseil des communautés noires de la municipalité de San José de Uré. Sous nos pieds coule la Quebrada de Uré, une rivière qui se jette plus loin dans le cours du San Jorge. Ce sont là les principales sources d’eau pour les 14 000 habitants. Mais celles-ci sont contaminées car elles drainent les sédiments de la mine de nickel de Cerro Matoso S.A, selon la Cour constitutionnelle.
« Nous avons exigé que l’entreprise décontamine les écosystèmes, en particulier la Quebrada de Uré, car plusieurs espèces de poissons, de flore et de faune ont disparu depuis le début de l’activité minière en 1982 », raconte le responsable communautaire. À la place, l’entreprise propose de créer des barrières végétales vivantes contre l’érosion. « Mais Cerro Matoso S.A. nous aiderait seulement à réaliser l’étude. Ce serait à nous de trouver l’argent pour les travaux : c’est injuste », juge Yair Perez.
On le remarque très vite à San José de Uré : les observateurs étrangers ne sont pas les bienvenus. Pour se rendre dans la zone, il faut montrer patte blanche et surtout obtenir – via des « facilitateurs » – le consentement même tacite des groupes armés.
Une maison affectée par l’érosion du fleuve, à San José de Uré.
Une maison affectée par l’érosion du fleuve, à San José de Uré. © Aabla Jounaïdi / RFI
Pour les communautés locales, ce fut donc une surprise de voir débarquer des experts de l’Institut de médecine légale, mandatés par la justice. En 2016, ils constatent que les niveaux de nickel obtenus dans les échantillons de sang et d’urine des populations de la zone d’influence de Cerro Matoso étaient « au-dessus de la moyenne des études réalisées dans le monde ».
Les membres de la communauté n’ont « jamais été consultés »
Se basant sur ces conclusions, la Cour constitutionnelle, dans une décision historique en 2017, avait ordonné à l’entreprise la consultation préalable des communautés pour définir les mesures de décontamination de la zone et à veiller à la santé de ses habitants. C’est ce que réclamaient neuf groupes appartenant au peuple zenú de l’Alto San Jorge et le Conseil de la Communauté noire de San José de Uré.
Le responsable de ce dernier reconnaît que, par inexpérience, sa communauté a manqué une occasion de prendre les mesures adéquates. « La vérité est que nous n’avions jamais été consultés et que nous ne savions pas comment faire », résume-t-il amèrement. Chez beaucoup d’habitants, le sentiment d’exclusion est fort, entretenu, selon Jair Perez par la politique sociale de l’entreprise qui n’a recruté « que dix personnes dans la commune ».
Interrogée sur ce point, l’entreprise répond par des chiffres. Selon elle, 58 milliards de pesos (environ 12 millions d’euros) ont été investis par elle dans des projets socio-économiques entre 2018 et 2022.
L’État aux abonnés absents
En novembre 2021, le journaliste Rafael Moreno, assassiné le 16 octobre 2022, avait mis en ligne la photo d’un nuage rosé s’échappant de la mine pour s’étendre dans la vallée. « Comme c’est beau de voir notre région avec les décorations de Cerro Matoso », ironisait-il alors en commentaire. L’entreprise l’avait accusé de fausses informations et d’antidater les photos… Avant que le journaliste ne mette en ligne quelques jours plus tard une autre photo récente, montrant le même problème.
Le fleuve Uré, un patrimoine national en danger, traverse la ville de San José de Uré.
Le fleuve Uré, un patrimoine national en danger, traverse la ville de San José de Uré. © Aabla Jounaïdi / RFI
Le géant minier rejette ces accusations : « De nos cheminées sort uniquement de la vapeur d’eau. Quant à ce nuage rose, il s’agit sûrement d’une faille du système, c’est une exception », réplique Pedro Oviedo, chef des opérations, auprès de Forbidden Stories. À en croire la direction de la mine, son activité n’a pas d’effet sur la santé des habitants. « Non, il n’y en a pas, tranche le responsable. Ce qu’on voit autour de nos opérations, et dans la zone en général, c’est une série de besoins non satisfaits, de déterminants sociaux qui vont au-delà de la présence de Cerro Matoso », poursuit le responsable.
Qui croire ? Pour Mauricio Madrigal, spécialiste de droit de l’environnement à l’Université des Andes, « il n’y a pas d’information publique complète, actualisée et facilement accessible. Pas de suivi pour vérifier, valider ou disqualifier ces données. C’est à l’État d’y veiller. »
En 2017, la Cour constitutionnelle avait aussi l’État dans le viseur. Son arrêt historique reprochait aux autorités de régulation, nationales comme régionales, d’avoir certifié que la mine n’affectait pas la qualité de l’air et respectait des normes environnementales… qui n’existaient pas encore en 2017.
Une clinique dont de nombreux habitants n’ont jamais entendu parler
Du côté de l’Agence nationale des mines – chargée de délivrer les titres miniers – on reconnaît un « retard réglementaire » et l’urgence de réformer le code minier [qui date de 2001 – NDLR.] pour mieux encadrer l’industrie. Son patron Alvaro Pardo dénonce une étude réalisée pour le compte de Cerro Matoso dans le but de connaître les « agents déterminants » de la contamination causée par la mine. « Elle s’est appuyée sur des sources secondaires, et pas primaires, c’est-à-dire la population. De plus, elle analyse toutes les émissions alentour, et pas exclusivement celle de la mine », critique le responsable.
Alors que les membres des communautés se plaignent de maladies inexpliquées, la clinique Panzenu se présente comme « un centre de soins permanent et gratuit pour eux », soutient son directeur. À San José de Uré, commune de 11 000 habitants, plusieurs personnes interrogées (voir ci-dessous) affirment n’avoir jamais entendu parler de la clinique, située à Montelibano, à une trentaine de kilomètres.
Les ravages du nickel sur la santé des habitants?
Conséquence ou non de la pollution, les maladies inexpliquées se multiplient dans la commune de San José de Uré. « Votre utérus est plein de fibromes, il faut l’enlever, c’est ce que m’a dit le médecin », raconte à RFI une habitante. Dans la même ville, nous pouvons établir qu’au moins une vingtaine de femmes ont subi une hystérectomie (ablation de l’utérus) au cours des deux dernières années. Leur point commun : elles présentaient toutes un grand nombre de ces tumeurs bénignes. À chaque fois, les mêmes symptômes : des hémorragies sévères et prolongées, souvent accompagnées de caillots, et des douleurs insupportables.
Au micro de RFI, elles se demandent pourquoi elles sont si nombreuses dans la même zone à souffrir de cette maladie. Il n’y a pas de réponse médicale. Ce qui est certain, c’est que l’Institut national de médecine légale, saisi par la justice, avait établi, sur la base de 1147 échantillons de sang, une corrélation entre les activités minières de Cerro Matoso S.A. et 17 maladies dont souffre la population vivant à proximité de la mine. Et les fibromes de l’utérus en faisaient partie. Bien que la Cour constitutionnelle ait ordonné à Cerro Matoso S.A. de fournir des soins « complets et permanents » aux personnes de la région souffrant de ces maladies, les femmes n’ont bénéficié que de la subvention de santé de l’État réservée aux ménages pauvres.
Une autre maladie « inexpliquée » sévit à San José de Uré : six enfants sont nés sans anus et avec les deux sexes. « Le dernier est mort il y a deux ans », explique Elsin Yoneris Pérez, infirmière.
Parmi les maladies et troubles cités dans le rapport de l’Institut médico-légal mandaté par la justice: cancer du poumon, atélectasie plane, silicose, lymphome, arthrite lymphoïde, lymphome, cancer, atélectasie plane, silicose, lymphangite carcinomateuse, pneumoconiose rhumatoïde, nodules calcifiés dans les poumons, maladie pulmonaire, pneumoconiose rhumatoïde, maladie pulmonaire obstructive chronique, dermatite, bandes parenchymateuses, syndrome de Caplan, sarcome pulmonaire, fibromes, taux élevés de nickel dans le sang ou l’urine, épaississement de la scissure pulmonaire, mésothéliome, lésions prurigineuses, pityriasis.