Tous, journalistes comme militants, avaient prévenu : de toutes les villes du sud du département de Cordoba, Montelíbano est la plus dangereuse. C’est ici que Rafael Moreno, journaliste d’investigation, a été assassiné dans un restaurant, après que sa garde rapprochée a mystérieusement pris congé.
Dans un autre restaurant, RFI a rendez-vous avec Yoli de la Ossa, la gouverneure du conseil indigène Zenú Bello Horizonte. Elle arrive le sourire aux lèvres et quatre gardes du corps aux talons. « Deux d’entre eux appartiennent à l’Unité nationale de protection des victimes. Et deux sont membres de la Garde indigène », explique celle qui confie ne pas avoir une entière confiance en l’État pour la protéger.
Dans cette région, l’une des plus violentes du pays, se concentrent les activités des groupes armés illégaux, celles des grandes industries minières et, au milieu, un déchaînement de violences qui prend souvent les civils pour cibles.
« Ma communauté a été victime d’homicides, de déplacements et de menaces », énumère-t-elle. Son beau-frère a été assassiné par des guérilleros [des Farc] et son frère, par les paramilitaires. « C’était Mancuso », dit-elle dans un filet de voix nerveux, trahissant la terreur qu’inspire encore l’ancien chef des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC) : il aurait ordonné les deux massacres perpétrés contre sa communauté à la fin des années 1990.
La cheffe indigène en déroule soigneusement le récit. « Les paras ont perpétré le premier massacre le 8 septembre 1998. Le second, un an plus tard, le 25 mars. Cette fois-là, ils ont tué huit personnes et nous ont donné 24 heures pour quitter notre territoire. Ils ont dit que si nous ne partions pas, ils nous tueraient tous. »
Les 74 familles de sa communauté ont rejoint les 100 000 personnes déplacées par les massacres entre les années 1980 et le début des années 2000 dans le sud de Cordoba. Entre 2016, l’année des accords de paix, et 2020, 37 membres de la société civile ont été tués.
Une carte du département de Cordoba, au nord de la Colombie. Chaque couleur représente une région différente.
Une carte du département de Cordoba, au nord de la Colombie. Chaque couleur représente une région différente. © RFI / Forbidden stories
Exploitation minière légale et groupes illégaux sur un même territoire
« Nous vivions dans une zone de parcs », raconte-t-elle avec une certaine nostalgie. Une référence au parc naturel national de Paramillo, dont les ressources en eaux, le réservoir de biodiversité et les étendues forestières en font la dixième plus grande zone protégée de Colombie.
Derrière la géographie stratégique et complexe de cette région riche en ressources aquifères, écologiques et minières, prospèrent la culture de la coca et les activités des groupes armés illégaux. Ceux-ci se sont, les uns après les autres, substitués à l’État dans la région : les guérillas des Farc et de l’Armée populaire de libération (APL), puis les escadrons des paramilitaires, et actuellement le Clan du Golfe.
Le sud de Córdoba est également un paradis pour l’exploitation minière à grande échelle. 60 titres miniers y sont actuellement en vigueur, par des groupes nationaux et internationaux, et 180 demandes d’exploitation ont été déposées.
L’exode des populations a entraîné l’abandon de 11 832 hectares de terre entre 1996 et 2012. Au cours de la même période, 68 832 hectares ont été concédés pour l’extraction minière, selon une étude publiée en 2014.
« Personne ne nous a rien dit » que « la mine était si proche »
En 2021, les 600 membres de la communauté de Yoli de la Ossa sont réinstallés par l’État à La Dorada, près de San José de Uré. Une vie nouvelle commence… à 6 kilomètres de la mine de nickel de Cerro Matoso S.A., la plus grande mine à ciel ouvert du continent américain.
« Nous ne savions pas que la mine était si proche. Personne ne nous l’avait dit », se désole Yoli de la Ossa. La communauté finit par réaliser que des espèces animales commencent à disparaître, que les cultures de bananes et de piments ne portent plus leurs fruits. Ses membres se rendent compte bientôt que l’eau de pluie, qu’ils sont obligés de consommer faute d’adduction d’eau potable, est aussi contaminée, de même que le reste.
« Les gens ont commencé à ressentir de fortes démangeaisons dans les yeux et sur la peau, des difficultés respiratoires. Les cas de cancer du poumon, de l’utérus, de l’estomac et du sein ont augmenté », raconte la cheffe de tribu.
Gouverneure depuis 2004, Yoli de la Ossa a mené la lutte de sa communauté et après une étude d’impact financée sur les deniers de la population, elle décide d’interpeller directement Cerro Matoso S.A. « Ils ne nous ont pas écoutés. Nous avons donc organisé une manifestation de deux jours, qui a été matée par l’Esmad [escadron mobile anti-émeute – NDLR] Et enfin, nous avons bloqué l’accès à l’usine, pendant 38 jours », raconte Yoli, avec fierté.
Mais ce n’est rien à côté du combat qu’ils mèneront devant la justice.