Le lundi 4 juillet 2016, un petit « séisme » s’est produit à l’Assemblée nationale : les députés, toutes obédiences politiques confondues, se sont braqués contre l’examen du projet de loi sur le statut de l’opposition.
Ils ont ainsi renvoyé à sa copie le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la sécurité, Hamed Bakayoko, venu défendre le texte. Un scénario peu courant que d’aucuns ont vite fait d’interpréter comme une fronde des parlementaires contre ce projet de loi, qui définit notamment le statut de chef de l’opposition et les avantages qui s’y rattachent. C’est que ce texte pose problème. D’abord, en ce qui concerne le critère de désignation de ce chef de l’opposition. Aux termes de l’article 22 dudit projet de loi, « le chef de l’opposition politique est le candidat ou le chef du parti ou groupement politique arrivé deuxième à la dernière élection présidentielle ». Ce critère de choix a fait dire que le texte a été taillé sur mesure pour offrir en cadeau le statut de chef de l’opposition au président légal du Front populaire ivoirien(Fpi), Pascal Affi N’guessan. Celui-ci serait récompensé pour avoir participé au scrutin présidentiel de 2015 et ainsi donné du crédit à ces élections. Il reste que ce critère de choix du leader de l’opposition est peu pertinent. Certes, le candidat arrivé second à une élection présidentielle, est à priori un acteur politique qui compte, vu qu’une bonne frange de la population se sera reconnue en lui au point de lui accorder massivement ses voix. Mais là où le bât blesse, c’est que ce candidat arrivé second peut ne pas avoir plus de cote que le leader d’un autre parti politique d’opposition, dont la formation peut avoir boycotté le scrutin présidentiel pour une raison ou une autre ou peut en avoir été écarté par des manigances politiciennes. Comme ce fut le cas à l’élection présidentielle de 2000, où des leaders des partis d’opposition qui comptent comme Henri Konan Bédié du Parti démocratique de Côte d’Ivoire( Pdci-Rda) et Alassane Ouattara du Rassemblement des républicains( Rdr) ont été écartés du scrutin. Le candidat supposé arrivé en seconde position, Robert Guéi, pouvait-il être considéré comme leader de l’opposition devant Bédié et Ouattara ? Il y a quelques années, l’on assistait à un scénario quasi-similaire : suite au boycott actif, décrété par les partis phares de l’opposition qu’étaient le Front populaire ivoirien( Fpi), alors dirigé par Laurent Gbagbo et le Rdr, par Alasssane Ouattara, ces deux leaders se sont abstenus de prendre part à cette élection présidentielle. Conséquence : c’est le candidat du Parti ivoirien des travailleurs( Pit), Francis Wodié, qui avait accepté d’y participer, qui est arrivé second. Celui-ci pouvait-il, à cette époque-là, être affublé du statut de chef de l’opposition devant le leader du Fpi ou celui du Rdr ? Non, assurément, si l’on s’en tient à la représentativité sociologique de ces partis en comparaison au poids du Pit de Wodié. C’est dire que ce critère mis en avant par le gouvernement pour désigner le chef de l’opposition ne résiste pas à l’analyse.
Un miroir aux alouettes
Au cas où le texte serait maintenu en l’état, il ferait l’affaire d’Affi N’guessan, arrivé second à la dernière élection présidentielle. Le président légal du Fpi pourrait, en effet, tirer parti des privilèges s’y rattachant, notamment les avantages financiers et les honneurs. De fait, l’article 24 du projet de loi l’élève au « rang de président d’institution ». En conséquence, « il bénéficie(ra) à ce titre des privilèges et avantages attachés à ce rang ». Le chef de l’opposition roulera donc carrosse au frais du contribuable. Il aura par ailleurs droit aux « honneurs dus à son rang » et « à la couverture médiatique de ses activités officielles ». Autant de privilèges qui inclinent à penser que le poste de chef de l’opposition est juteux, et Affi N’guessan qui pourrait se le voir attribuer, plastronnera dans un fauteuil douillet. Pourtant, à y voir de près, le projet de loi cache, sous ce florilège de privilèges, des passages plutôt contrariants pour le futur titulaire du poste. De sorte qu’on est porté à dire que ce statut de chef de l’opposition apparaît comme un miroir aux alouettes. D’abord, le fait que le chef de l’opposition soit astreint au respect de la Constitution, des lois et des institutions de la République, comme l’y invite l’article 18 du projet de loi. Il ne peut donc protester contre une décision fondée sur une disposition contestable de la Constitution ou une loi de la République, qu’il peut juger inique. Tout comme il ne peut non plus remettre en cause une décision ou mesure, prise par une institution de la République, même si celle-ci lui paraît arbitraire, injuste et viciée par des calculs électoralistes ou politiciens. Il lui est pratiquement interdit d’exprimer bruyamment son opposition à une telle décision ou mesure, puisqu’il est soumis à l’obligation de « proscrire l’usage de la violence comme mode d’expression politique ». Le prochain chef de l’opposition ne pourra donc pas organiser des mouvements de rue comme l’a fait le Rdr quand la candidature de son leader, Alassane Ouattara, avait été rejetée lors de la présidentielle et des législatives de 2000. A l’époque, ce parti d’opposition disait protester contre une Constitution jugée inique. On le voit, le chef de l’opposition semble donc cadenassé par l’obligation de respecter la Constitution, les lois et les institutions de la République. Au cas où il viendrait à se soustraire à ces contraintes que lui impose la loi, en contrepartie des avantages dorés dont il jouira, le leader de l’opposition risque de perdre son titre. En effet, l’article 26 du projet de loi lui rappelle qu’il risque de perdre « par déchéance » ce statut en cas de « non-respect des obligations de sa charge ou violation des lois de la République… ». Autant de contingences qui inclinent à dire que ce poste semble être un cadeau empoisonné.
Assane NIADA
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