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En prenant les rênes du pouvoir, le 11 avril 2011, le président Alassane Ouattara présageait assurément des agitations qui allaient faire tanguer son régime. Quatre ans après, des acteurs clés, tant nationaux qu’internationaux, ont émergé et donné de la voix pour le bousculer. Ces sont, soit des personnalités politiques, des acteurs du monde des affaires, soit des activistes issus de milieux syndicaux ou d’instances internationales. Si les uns sont engagés pour la conquête du pouvoir, les autres dénoncent le mode de gouvernance.

CHARLES KONAN BANNY: CELUI QUI VEUT ”BOUSCULER OUATTARA”

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On le voyait venir. Que reste-t-il à l’homme qui semble avoir tout obtenu dans la vie, en termes de responsabilité, si ce n’est le pouvoir d’État? Charles Konan Banny, ancien gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) et ancien Premier ministre (tout comme Alassane Ouattara), ex-président de la défunte Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr), s’est engagé dans la course à la présidentielle de 2015. Le fameux appel de Daoukro lancé par le président du Pdci, Henri Konan Bédié, invitant les militants du vieux parti du pays à soutenir Ouattara à ces élections, M. Banny l’a perçu cela comme une trahison. Pour ce frondeur du Pdci, ”le trône de Félix Houphouët-Boigny n’est pas à vendre” au Rdr, parti au pouvoir. Après avoir clôturé sa mission à la tête de la Cdvr, le 30 septembre 2014, il a désormais les mains libres pour se lancer dans la bataille. Cette posture affichée ne semble pas faire l’affaire de Bédié et Ouattara. Non seulement, l’ex-président de la Cdvr est du Pdci-Rda, même si certains cadres de ce parti remettent en cause son militantisme, mais il est surtout issu du pays Baoulé comme Henri Konan Bédié. La candidature de Charles Konan Banny est prise au sérieux, même si ces derniers temps, son lobbying auprès de la chefferie traditionnelle de Yamoussoukro a créé la polémique. Outre le Centre d’où il est issu, M. Banny a pu conquérir un capital de confiance dans presque toutes les régions. Né à Divo dans le Centre-Ouest, proche des peuples Dida et Bété, son épouse Massandjè est de Touba, dans le Nord-Ouest, une région majoritairement acquise à la cause du président Ouattara. Charles Konan Banny a profité également de sa mission à la tête de la défunte Cdvr pour élargir son champ d’amitié à toutes les régions et à des leaders locaux susceptibles de constituer un relais pour sa campagne. L’ancien Premier ministre se targue aussi d’avoir des amis dans l’opposition. Notamment au Fpi, l’ex-parti au pouvoir qui fricote avec lui au sein de la Coalition nationale du changement.

ESSY AMARA: DE LA RÉSERVE À L’OFFENSIVE

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En fin diplomate, son intention de briguer la magistrature suprême de la Côte d’Ivoire a été savamment entretenue dans la discrétion avant d’être annoncée, depuis Paris où il effectuait un déplacement privé en 2014. Ce sont d’abord des planteurs du Pdci qui, en octobre 2014, ont porté leur choix sur cet homme pour défendre les couleurs du Pdci-Rda, formation politique dirigée par Henri Konan Bédié. Ancien ministre des Affaires étrangères sous feu Félix Houphouët-Boigny de 1990 à 1993, puis sous Henri Konan Bédié de 1993 à 1999, Essy Amara est, lui aussi, opposé à l’appel de Daoukro. A 71 ans, le dernier secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (Oua) veut également éroder l’électorat du Pdci-Rda. Ami de l’ex-président Laurent Gbagbo, aujourd’hui incarcéré à la Haye, Essy Amara peut compter, outre des militants du Pdci qui rejettent la candidature unique de M. Ouattara au sein du Rhdp, sur des indécis du Fpi qui voient en l’ancien maire de Kouassi-Datékro, une alternative aux élections présidentielles d’octobre 2015. «Je suis le candidat de la réconciliation et je ne veux pas fermer toutes les portes (…). Mon ambition, c’est l’éthique en politique en Côte d’Ivoire», déclarait-il, le 22 mai dernier, sur Radio France internationale (Rfi).

KOUADIO KONAN BERTIN DIT ”KKB”: LE ”SOLDAT PERDU” QUI VEUT COMMETTRE UN PARRICIDE.

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Le député de Port-Bouët, Bertin Kouadio Konan dit ”KKB” est celui même qui ne mâche pas ses mots quand il est question de la candidature unique de Ouattara. À l’encontre de Henri Konan Bédié (HKB), KKB est encore plus critique. Et pourtant, entre ces deux personnalités et lui, il y a quelques années encore, des liens existaient. Ancien président des jeunes du Pdci-Rda, Kouadio Konan Bertin saisissait toutes les tribunes pour encenser et défendre son ”père” HKB. Recevant Mme Henriette Konan Bédié, venue présenter ses condoléances à son épouse, le candidat déclaré à la présidentielle de 2015 a réitéré ses motivations: «Je veux venger mon père Bédié injustement chassé du pouvoir en décembre 1999».

Sa candidature au poste de président de son parti, lors de son 12è congrès, a été perçue comme un ”parricide” par des partisans de Bédié. Mais, le député de Port-Bouët est dans une logique: Ne pas laisser le Pdci à la remorque du Rdr. Il ne croit donc pas aux affirmations de M. Bédié sur la question de l’alternance en 2020 au profit de son parti. «Il s’agit d’un mirage, d’un rêve. Bédié veut se donner bonne conscience pour rassurer ses militants», disait-il dans une interview à Jeune Afrique fin février 2015. Des sorties qui inclinent le président Bédié à dire de lui qu’il est ”un soldat perdu”.

TIBURCE KOFFI: LE PROTESTATAIRE “

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Bé djran ndê si’n, bé djran man sran si’n” ou ”Epouse une cause, ne suis pas un homme”. C’est un proverbe Baoulé bien de Tiburce Koffi, qui résume ainsi son combat actuel contre la coalition au pouvoir. Ces propos, il les a tenus dans une contribution parue chez le confrère ”Le Nouveau Réveil”, publiée le 15 janvier 2011. C’était en pleine crise post-électorale. Il avait déjà tourné dos à son ami Laurent Gbagbo qui refusait de reconnaître sa défaite aux élections de 2010. Dans cette constance qu’on pourrait qualifier de principe directeur chez cet universitaire, l’écrivain-journaliste a pris des distances vis-à-vis du pouvoir qu’il a défendu contre Gbagbo. Depuis l’appel de Daoukro lancé par Henri Konan Bédié, Tiburce Koffi a dit non. Et pour mieux l’exprimer, il a écrit un livre au titre combien évocateur: ”Non à l’appel de Daoukro”. Limogé de la Direction générale de l’Institut national des arts et de l’action culturelle (Insaac), Tiburce Koffi tire désormais à boulets rouge sur le régime Ouattara. Car, il trouve inconcevable qu’il n’y ait pas de candidat de poids contre Ouattara. «Je ne peux pas comprendre qu’on dise non il ne faut pas qu’il y ait de candidat contre Ouattara, de candidat de poids bien sûr», expliquait-il sur Rfi en janvier 2015. Sa dernière actualité, c’est son interpellation à l’aéroport Roissy Charles De Gaulle, le 05 juin 2015, alors qu’il revenait des Etats-Unis. Mais, il a été relâché le même jour et Paris lui a accordé l’asile politique. Une opportunité qui lui permet de poursuivre son offensive dérangeante contre le pouvoir d’Abidjan.

ANAKY KOBÉNA: L’ALLIÉ D’HIER

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Est-il encore le président du Mouvement des forces d’avenir (Mfa)? En tout cas, la dissidence créée au sein de cette formation politique a été un coup dur pour Anaky Kobéna. Soupçonnant le régime de l’avoir mis en difficulté, M. Anaky est entré en rébellion contre le pouvoir Ouattara. Certainement affaibli par la crise interne au sein de sa formation politique avec à la clé l’élection d’Anzoumana Moutayé comme président statutaire ainsi que la nomination de ce dernier au gouvernement, Anaky ne s’avoue pas pour autant vaincu. Il a rejoint les rangs de l’opposition et s’est trouvé une ligne d’attaque contre le président ivoirien: Contester l’éligibilité du candidat du Rhdp à la prochaine élection présidentielle d’octobre 2015. A sa dernière conférence de presse, tenue le 05 juin 2015, le fondateur du Mfa a estimé qu’au regard de l’article 35 de la Constitution ivoirienne fixant les conditions d’éligibilité à la Présidence de la République, Alassane Ouattara ne peut plus être rééligible.

MAMADOU KOULIBALY: L’INSAISISSABLE

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Candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2015, l’ancien président de l’Assemblée nationale (2001-2011) et président-fondateur du parti Liberté et démocratie pour la République (Lider), Mamadou Koulibaly, n’a jamais utilisé la langue de bois pour cogner le pouvoir actuel. Les séminaires qu’il organise, depuis 2012, sur la gouvernance du régime Ouattara, se présentent comme une tribune pour faire le procès du pouvoir actuel. Issu du Nord comme Alassane Ouattara, le professeur agrégé d’Economie a toujours établi un lien entre l’actuel président de la République et l’ex- rébellion conduite par Guillaume Soro. Pour Mamadou Koulibaly, un leader insaisissable, cette rébellion a été beaucoup plus dévastatrice pour les ressortissants du Nord ivoirien. «Alassane Ouattara a perdu le Nord, non pas parce que les nordistes ne l’aiment pas. Mais, parce qu’il a conduit le Nord dans la catastrophe. Les forêts classées du Nord ont été saccagées par ses soldats en 2002. Le Nord de la Côte d’Ivoire a été trompé certes, mais a été martyrisé. Ce Nord, aujourd’hui, doit être secouru et doit être protégé au même titre que l’Ouest, le Centre et le Sud de la Côte d’Ivoire», déclarait-il en mai 2014.

KOUA JUSTIN: L’INTRÉPIDE

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Si Koua Justin croupit actuellement au camp pénal de Bouaké, cela ne surprend guère. L’ancien secrétaire national intérimaire de la jeunesse du Front populaire ivoirien (Jfpi) fait partie de ceux qui ont tenu allumée, la flamme du parti politique de Laurent Gbagbo, au moment où tous ses dirigeants étaient, soit en exil, soit, incarcérés à l’issue de la crise post-électorale. Avec courage et détermination, il s’est battu pour la libération des prisonniers, le retour des exilés et la reconquête du pouvoir. Malgré son statut de fonctionnaire d’État, Koua Justin a saisi toutes les occasions et tribune pour dénoncer la politique d’Alassane Ouattara. Après une première arrestation, le 07 juin 2013, après sa tournée de sensibilisation dénommée ”L’éveil des consciences”, Koua Justin est à nouveau dans les liens de la prévention. Dans la crise qui secoue le Fpi, Koua Justin a choisi son camp, celui opposé à Pascal Affi N’guessan.

BILLY-BILLY: LE COQ DONT LE CHANT DÉRANGE

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Yao Billy Serge alias ”Billy Billy” ne veut plus savourer la coupe. Pour avoir chanté ”Dioula a pris coupe”, pour dénoncer le ”rattrapage ethnique” dans l’administration publique ivoirienne et “Lettre au président”, un maxi-single où il s’attaque à l’abus de pouvoir, l’insécurité et la cherté de la vie, l’enfant de Wassakara dit ne plus se sentir en sécurité au point où notre slameur a pris la tangente, depuis avril 2014, pour s’installer en Europe. En pleine crise socio-politique, ses prises de positions étaient perçues comme une satire contre le régime de Laurent Gbagbo. Son titre ”Nouvelles du pays”, où il pose les problèmes du pays le propulse. Aujourd’hui, il a maille à partit avec le pouvoir Ouattara. «La Côte d’Ivoire va de mal en pire. C’est l’un des rares pays où il y a trop de prisonniers politiques», disait-il en février 2015 sur Event News Tv, une chaîne de télévision en ligne basée à Paris. Pour lui, ”la solution”, incarnée par Ouattara, est devenue le problème”.

FATOU BENSOUDA: L’INTRAITABLE

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La procureure de la Cour pénale internationale (Cpi), Fatou Bensouda, fait partie des rares personnalités étrangères à déranger le régime Ouattara. Après avoir réclamé et obtenu la tête de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, la remplaçante de Luis Moreno-Ocampo ne veut pas s’arrêter en si bon chemin, surtout face au refus du régime Ouattara de ne plus transférer Simone Gbagbo à la Haye, puis que ce sera la porte ouverte pour les autres mandats d’arrêt qui visent des proches du régime. Comment ce bras de fer va-t-il se terminer? La fin du film passionne déjà. Surtout que la haute magistrate soutient haut et clame à qui veut l’entendre: «En Côte d’Ivoire, personne ne sera épargné».

Bertrand GUEU

Source : L’Inter N°5117