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CPI- Procès Gbagbo : Le général Mangou émet l’idée d’un commandement parallèle pendant la guerre

Le témoin clé de l’accusation contre Laurent Gbagbo a déposé pendant neuf jours devant la Cour pénale internationale (CPI). Philippe Mangou, l’ancien chef d’état-major de l’armée ivoirienne (2004-2011) voulait s’exprimer devant « la seule tribune où [il pouvait] réellement dire ce qui s’est passé » lors des violences qui ont suivi la présidentielle de fin novembre 2010 en Côte d’Ivoire, a-t-il déclaré au premier jour de son audition, le 25 septembre. Pour l’officier, devenu ambassadeur de Côte d’Ivoire au Gabon, le prétoire de La Haye s’est transformé en nouveau théâtre d’opération. L’ancien chef d’état-major a réglé ses comptes avec le Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), une unité d’élite officiellement chargée de la lutte contre le grand banditisme, et la garde républicaine.

Mais le général quatre étoiles est-il pour autant parvenu à convaincre les juges de l’existence d’une structure parallèle de commandement, lors de la crise post-électorale de 2010-2011 qui a opposé le président sortant Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, donné vainqueur par la Commission électorale, les Nations unies et l’Union africaine ? La question est au cœur de ce procès. Selon l’accusation, Laurent Gbagbo aurait mis en place des « lignes parallèles de contrôle et de commandement, qui dépendaient des relations personnelles que [lui] et son entourage immédiat [son coaccusé Charles Blé Goudé et son épouse, Simone Gbagbo] entretenaient avec certains membres des Forces de défense et de sécurité ». Le but : « Conserver le pouvoir à tout prix. »

Combat perdu d’avance

Philippe Mangou a pointé l’ex-chef de la garde républicaine, le général Bruno Dogbo Blé, depuis condamné par la justice ivoirienne. A force de fréquenter le président et les ministres, l’officier « s’est vu pousser des ailes », a déploré son ancien témoin de mariage. Seconde cible de l’ex chef d’état-major, le commandant du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), le général Georges Guiai Bi Poin, qui l’a précédé dans le prétoire. « Le Cecos était bien mieux armé que la police et la gendarmerie », a-t-il déclaré, comme l’ont déploré d’autres officiers appelés à la barre. « Nous, nous étions dans un état de dénuement total », a prétendu Philippe Mangou. Une manière évidente pour lui de se défausser et protéger son institution alors que différentes unités de l’armée sont restées fidèles à Laurent Gbagbo jusqu’à son arrestation le 11 avril 2011.

Le Cecos, créé en 2005, a, selon lui, pris le pas sur l’armée. « Au fur et à mesure qu’on avançait dans le temps, le Cecos a pu avoir des armes, qui sont des armes de guerre, a-t-il expliqué au procureur Eric MacDonald. Quand vous avez des RPG, qui sont des armes permettant de détruire des blindés, des grenades offensives et défensives, je crois qu’il ne s’agit plus de lutter contre le grand banditisme. » A la barre, le témoin a détaillé un document de l’accusation, sur l’acquisition d’armes par le Cecos. « Vous voyez, il y a un mortier de 120 », a-t-il expliqué, espérant l’approbation du juge-président, Cuno Tarfusser. « Vous voyez bien : mortier de 120 », dit-il haussant les épaules, comme s’il énonçait une évidence. « Oui ? », interroge le président. « On peut effectuer des tirs jusqu’à 7 000 mètres ! » Ces armes étaient destinées à la guerre et non au maintien de l’ordre, veut expliquer le témoin, qui estime qu’elles n’avaient pas leur place à Abidjan.

Le 31 mars 2011, Philippe Mangou s’était réfugié durant quelques jours à l’ambassade d’Afrique du Sud. « Le fait de ne pas avoir eu les munitions ne constitue pas l’unique raison [de cette défection momentanée], justifie le témoin. J’avais rendu compte au président Laurent Gbagbo et je lui ai dit que le combat ne méritait pas d’être mené. » Au début de la crise, en décembre 2010, le général Mangou est approché par un autre officier, qui lui suggère de faire une déclaration pour dire que le président Alassane Ouattara a emporté l’élection. « J’ai dit : “Je le sais. Mais il n’appartient pas aux militaires de faire une telle déclaration”. J’ai dit que le président Gbagbo avait fait un recours », demandant notamment à la communauté internationale de recompter les voix. Tancé par Me Claver N’dri, avocat de Charles Blé Goudé et beau-frère du témoin, qui lui reproche d’avoir fait partir ses hommes à la guerre sans raison si le combat était perdu d’avance, l’officier se replie derrière ses galons : « Nous, notre boussole, ce sont les institutions de la République. »

Ayant incité la jeunesse, au côté de Charles Blé Goudé, le ministre de la jeunesse pendant la crise et chef des Jeunes patriotes, à s’engager dans l’armée avant que les combats n’éclatent, le général Philippe Mangou a aussi accusé l’ONUCI, la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire, d’avoir « souvent tiré sur des jeunes Ivoiriens. Tout simplement parce qu’ils ont mis un branchage sur la route pour empêcher le passage du char, ou se sont opposés à son déplacement ».

« Commando invisible »

Le témoin a aussi évoqué les quatre sites de crimes retenus par l’accusation, dont le drame d’Abobo, une commune d’Abidjan, où sept femmes avaient été tuées lors d’une manifestation pacifique début mars 2011. Le général s’est dit « choqué de voir des femmes en train de chanter gaiement (…) être fauchées de la sorte » et a demandé une enquête pour « retrouver et punir les auteurs ». C’est lui, a-t-il encore expliqué, qui a poussé pour qu’Abobo soit déclarée zone de guerre, pas le président Gbagbo. « Il s’agissait pour nous de donner quarante-huit à soixante-douze heures à la population pour sortir de la zone. » Car l’ennemi, le « commando invisible », c’est-à-dire la rébellion anti-Gbagbo, se fondait dans la population et « arborait les mêmes vêtements que les civils ». Sans le savoir, Laurent Gbagbo, dit-il encore, a financé le « commando invisible » en tentant de retourner Zakaria Koné, un officier des Forces nouvelles, favorables à Alassane Ouattara. Plutôt que de servir à déstabiliser le front est, l’argent aurait finalement atterri dans les poches du « commando invisible », selon le général Mangou.

Face à l’ancien président ivoirien, emmitouflé dans une écharpe de laine et mal rasé, l’ancien chef d’état-major a assuré avoir déposé « pas pour faire condamner qui que ce soit, parce que la Côte d’Ivoire a besoin de tous ses enfants ». Puis il a assuré avoir déposé « sans contraintes, en toute liberté ». Interrogé une première fois par les enquêteurs du procureur de la CPI au cours de l’été 2011, il avait néanmoins fallu l’intervention des autorités ivoiriennes pour qu’il accepte d’être plus loquace.

Le général quatre étoiles a demandé « pardon » au nom de l’armée. Alors que la crise politique devenue confrontation militaire a, selon l’ONU, fait 3 000 morts au cours des violences perpétrées par les deux camps, l’ancien fils de pasteur a demandé « au Seigneur » d’accorder aux juges « la sagesse de Salomon ». Le procureur pourrait boucler l’audition de ses témoins d’ici la fin de l’année. Après quoi, les représentants des victimes appelleront quatre témoins, avant de laisser la parole à la défense de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé.

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