Document exclusif et très très explosif / Crise au FPI, Ouattara, sort des ex-chefs d’Etat africains, liberté de la presse / Rien de nouveau sous les tropiques
James Cenach avait déjà tout dit !
Cette interview-vérité de Guédé Pépé Léonard alias James Cenach, alors journaliste au groupe Nouvel Horizon (pro-FPI), date de 1993. Vingt-et-un (21) ans après les vérités de James Cenach sont encore d’actualité et cadrent avec ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Nous vous proposons à nouveau et en intégralité, l’interview prémonitoire qu’avait accordée James Cenach au quotidien pro-gouvernemental, Fraternité Matin.
Après l’expérience ivoirienne, vous venez de vivre les premières élections démocratiques togolaises. Quelles sont vos impressions d’ensemble ?
Ce n’est pas seulement les élections togolaises que j’ai suivies. J’ai vécu aussi les expériences béninoises, et maliennes. L’expérience togolaise a ceci de particulier que la transition a été très chaotique, elle a été marquée par des événements douloureux dans lesquels différents acteurs reconnaissent aujourd’hui leurs responsabilités. Que ce soit du côté de la sensibilité présidentielle ou de l’opposition, chacun reconnaît sa responsabilité dans ces dérapages. Au Togo, il faut dire que comparativement à ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, les circonstances n’ont pas été les mêmes. Au Togo, les élections se sont déroulées avec un nouveau code électoral, une nouvelle constitution, un gouvernement qui a été jusqu’à ce que l’opposition (le COD II) se retire, un gouvernement qui a été aux mains de l’opposition à 100%. Tout ceci a permis de jeter les bases d’un véritable renouveau. C’est plutôt sur la manière de meubler les institutions que les différentes personnalités ne se sont pas entendues. Cela a donné ce à quoi nous avons assisté parce qu’il y a eu, dès le départ, des velléités d’exclusion. Des exclusions qui se sont traduites au plan du droit par des textes qui s’adressaient, en les lisant attentivement, à des personnes bien déterminées qu’on voulait écarter. Tout cela a empoisonné l’atmosphère. Les Togolais n’ont pas suffisamment tiré de leçon de l’expérience béninoise où Mathieu Kérékou, ancien président, reconnu comme un homme intransigeant a partagé le pouvoir avec l’opposition béninoise dans une parfaite concertation et dans le consensus. Ils ont abouti à des élections sans heurts. Si les Togolais avaient tiré une leçon de cela pour ne pas rechercher dès le départ à exclure une sensibilité pour privilégier une autre, la transition aurait pris fin depuis longtemps.
Aujourd’hui, quand on regarde l’Afrique en démocratisation avec le Nigeria, le Togo, le Congo, le Zaïre, la Centrafrique et même le Cameroun, on est inquiet. La démocratie décolle plutôt de manière chaotique. Quelle analyse faites vous de cette situation ?
En Afrique, on n’a pas encore suffisamment compris la notion de République. Une République, c’est un Etat dans lequel les institutions sont établies et ceux qui les animent doivent obligatoirement détenir un mandat du peuple. Parce que le pouvoir appartient au peuple et qu’il faut le laisser s’exprimer librement. Personne ne peut se mettre au-dessus du peuple, personne ne peut prétendre détenir à la place du peuple la souveraineté nationale. Nous sommes en période de mutation, il faut aussi compter avec le passé. C’est vrai que le passé n’est plus suffisamment fort pour se maintenir, le nouveau non plus n’a pas suffisamment de force pour écarter le passé. Il faut un consensus et de ce consensus pourraient sortir des garanties mutuelles à offrir à ceux qui sont au pouvoir, qui sont restés longtemps au pouvoir, qui ont dirigé les pays dans des contextes totalement différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui. Il faut leur donner des garanties, oublier le passé pour bâtir l’avenir. Si on veut prendre ses sources d’inspiration seulement dans le passé sans tenir compte du présent et de l’avenir, on arrive à des solutions de vengeances. C’est ceci qui fait qu’on a en Afrique cette situation de chaos apparent que nous voyons. C’est normal, toute mutation passe par ces périodes là. Le problème aujourd’hui est de faire en sorte qu’un ancien président de la République puisse vivre en paix. Aux Etats-Unis, ils ont presque cinq anciens Présidents de la République qui y vivent. Ils n’ont jamais été menacés ; on n’a jamais mis leurs parents en prison. Ils vivent dans la totale tranquillité ; ils ont même un statut qui fait que quand ils n’ont plus le pouvoir ils ne tombent pas aux oubliettes. Il faut partout organiser ce genre d’espace où se trouveraient garanties la sécurité et la liberté des anciens qui, si le peuple ne leur accorde pas sa confiance, devraient quitter la scène.
Vous avez été longtemps pourfendeur de ce qui se passait en Côte d’Ivoire. En comparaison de ce que vous avez observé ailleurs, ne pensez- vous pas avoir été excessif avec votre pays ?
Vous savez, lorsqu’il s’agit de son pays, on en parle avec passion parce qu’on vit cela, parce que son pays est une partie de soi-même. C’est vrai qu’à des périodes données, la lutte atteint des intensités qui peuvent quelquefois conduire à des dérapages soit dans le comportement, soi dans le langage. Pour juger une situation, il faut l’intégrer dans le contexte qui lui a donné naissance. C’est vrai que lorsqu’on a commencé en Côte d’Ivoire à vivre les premiers jours du multipartisme, au niveau de la presse le ton était très dur. Depuis, il y a eu une relative décrispation qui fait que je vous parle aujourd’hui. En mars 90, je vous aurais parlé qu’on m’aurait traité de traitre à la cause.
En rapport avec le milieu de la presse qui vous est familier, on a remarqué ces derniers temps vous ne signez plus au groupe Nouvel Horizon alors que vous étiez l’une des grandes plumes. Pourquoi ce recul ? Déception ou désaccords sur la ligne ?
Je suis journaliste au Nouvel Horizon qui un hebdomadaire. Je travaille pour cet hebdomadaire et je crois que mon dernier article portait sur le cas Essoh Lath. Ça ne date pas de longtemps. Pour des raisons personnelles, j’ai demandé un petit repos de 20 jours. C’est ce qui fait que ces derniers temps je n’ai pas écrit. Sinon, je suis encore journaliste au groupe Nouvel Horizon.
Certaines personnes laissent entendre que votre recul est dû à une certaine déception. Une certaine promotion que vous attendiez n’est pas arrivée.
Ces personnes ne me connaissent pas sûrement. J’étais fonctionnaire ; en 1981 j’étais l’unique admis au CAPES de mathématiques en Côte d’Ivoire. Si je voulais de la promotion, je serais au moins actuellement inspecteur de l’enseignement des mathématiques. Au lycée technique où j’ai servi, il y avait ce principe qu’à compétence égale, on nomme le plus ancien. J’étais à l’époque le seul professeur ivoirien certifié en mathématiques au ministère de l’Enseignement technique. Mon second est actuellement inspecteur. Je pense que j’aurais pu l’être avant lui. C’est vrai que lorsque l’on travaille, on ne peut pas vivre que de la gloire. Ce qui m’intéresse plus en tant qu’être travaillant dans une entreprise, c’est de voir ma condition salariale s’améliorer. C’est la seule revendication que je peux porter. Mais demander qu’on me nomme ne me ressemble pas. Je pense que pour un journaliste, sa nomination vient de ses lecteurs. Ce n’est pas parce que je serai rédacteur en chef ou directeur des rédactions que je changerai, qu’on me lira plus. Il me parvient des échos du travail que nous faisons. Je pense avoir un certain lectorat qui apprécie le travail que je fais. C’est déjà pour moi l’essentiel, ça vaut mieux que n’importe quelle nomination.
Après trois ans comment jugezvous vous la ligne de votre journal ? Certaines grandes plumes (Diegou Bailly, Fidel Djessa) sont parties. Vous collaborez de manière irrégulière. Quel est le problème ?
Le Nouvel Horizon se définit comme un journal de combat. Le combat lui-même n’est pas rectiligne ; il passe par des hauts, par des bas, par des intensités et quelquefois il décélère. Nul combattant ne peut être valable pour toute forme de combat. Il y en a en périodes d’accalmie qui ne sont pas inspirés. Il y en a d’autres par contre qui le sont en période de haute intensité. Je suis de ce dernier groupe de combattants. Lorsqu’il y a accalmie, je pense qu’il n’y a rien à faire ; d’autres peuvent prendre temporairement la relève parce que ça convient à leur temporairement. Après le 28 février, j’étais en première ligne du combat. Je pense que ces moments de grande intensité viendront où je monterai peut être en première ligne.
Est-ce à dire que vous souhaitez pour la Côte d’Ivoire des périodes de troubles pour reprendre du service, Pour vous, journaliste de combat, vous ne recherchez que les troubles.
Je dis que le journal pour lequel je travaille se définit comme un journal de combat. Je ne dis pas que je suis un combattant. Je ne dis pas non plus que j’apprécie les périodes de troubles. Je sais que la vie est cependant ainsi faite. Il y a des moments d’accalmie, de tensions… c’est un processus dialectique. L’accalmie couve les contradictions qui éclatent à un moment donné. Lorsque les contradictions éclatent, jaillit une nouvelle entité. Mon tempérament correspond le mieux aux périodes de haute intensité. Cela ne veut pas dire que je les souhaite.
Sans être un professionnel de la communication, vous êtes conseiller en communication de plusieurs personnalités politiques. Comment avez-vous pu vous imposer et surtout comment arrivez-vous à les satisfaire ?
Je suis enseignant de formation. Je pense que l’enseignant est d’abord un communicateur. Si un enseignant n’arrive pas à faire passer son message il n’y a donc pas de cloisons entre les différents secteurs de la vie. Je ne suis pas conseiller attitré en communication des personnalités auxquelles vous faites allusion. Je sais que dans le courant de la lutte que nous menons, j’ai vécu toutes les transitions dans la sous-région : au Bénin, au Togo, au Mali. Je connais les différents acteurs. J’étais avec certains aux moments les plus durs. Aujourd’hui, ils sont au pouvoir, ils connaissent une nouvelle expérience. Nous avons gardé nos rapports d’amitié. C’est un honneur pour moi que ces amis devenus des personnalités me font le plaisir de me recevoir. Quand j’ai besoin d’eux, ils sont toujours restés les mêmes. Je suis avec eux. Si je trouve que dans l’opinion il y a quelque chose qui ne va pas, je discute avec eux en tant qu’ami et je leur donne mes avis. Ils ne sont pas obligés de les accepter. Quand ils sentent que mes avis sont pertinents, convaincants avec des aspects positifs pour eux, ils les mettent en application. Sinon, je ne suis pas conseiller attitré de quelques personnalités que ce soient.
Guédé Pépé à la UNE de Fraternité-Matin du 7 septembre 1993
Au moment où à l’extérieur vos avis sont écoutés, il nous est revenu que le Secrétaire général du FPI vous a chassé de son cabinet. Pourquoi ?
Chassé, le mot est trop fort. Le Secrétaire général, c’est d’abord un camarade de parti. A un moment, il a cru que je pouvais être utile auprès de lui, dans son cabinet personnel qui n’est d’ailleurs pas une structure du parti. Il m’a fait appel. Je crois avoir fait ce que je devais. Il est arrivé un moment où peut-être mon emploi du temps personnel ne me permettait plus de répondre à ses attentes. Il m’a appelé pour me dire que sa confiance vis-à-vis de moi s’était distendue. Et que cela résulterait des différentes déclarations que j’aurais faites ça et là. Je pense qu’il est libre. Tout comme il m’a appelé, il est libre de me dire merci. Je n’ai pas cherché à savoir quelles étaient ces déclarations. Je connais mes déclarations et je les assume. C’est peut être ces derniers temps les articles que j’ai écrits dans lesquels j’ai pris des positions qui ne lui ont pas plu.
Notamment votre article sur les indemnités parlementaires dans lequel vous le condamnez.
Je pense que nous sommes des démocrates. On aurait pu en discuter même si j’ai pu porter le débat sur la place publique. Ce que je cherche, ce n’est pas la confiance. Quand je milite dans un parti, je veux toujours être en harmonie avec la ligne de ce parti. Notre parti se fixe pour objectifs la justice, la liberté et la démocratie ; est-ce que je suis en désaccord avec ces principes ? Est-ce que j’ai lutté contre l’émergence de la liberté, est-ce que j’ai lutté pour l’injustice ? Si on me faisait de tels reproches, je dirais que c’est essentiel. La confiance est subjective : je peux vous la faire et vous la retirer. Ce n’est pas pour moi essentiel. L’essentiel c’est d’être en harmonie avec sa propre conscience et voir si on est dans la ligne de son parti.
Vous n’allez tout de même pas nous dire que vous connaissez la ligne du parti mieux que le Secrétaire général, qui lui considère que vous êtes en faute. Il vous a retiré sa confiance peut-être parce que vous n’étiez plus en accord avec la ligne du parti.
Non, le Secrétaire général a des fonctions bien définies par les statuts. Le Secrétaire général n’appelle pas un militant du parti pour lui dire tu n’es plus en accord avec la ligne du parti. Il dirige le parti ; c’est vrai qu’il connaît la ligne du parti. C’est d’ailleurs pour cela qu’on l’a choisi pour la mettre en application. Mais je le répète : si j’ai été en désaccord avec la ligne du parti, il y a des voies pour me le prouver. Si on me démontre que je suis en faute, j’assumerai les conséquences. La confiance est une notion subjective qui se passe entre un homme et sa femme. Lorsqu’on me parle de confiance, j’arrête le débat. En acceptant de travailler avec le Secrétaire général, ce n’était pas pour lui faire plaisir. C’était pour le sens commun à nous tous ; le parti n’appartient à personne. Peut-être que demain, si les camarades du parti pensent que je peux être le secrétaire général, ils peuvent aussi m’élire.
Depuis que M. Gbagbo vous a retiré sa confiance n’y a-t-il pas une tiédeur dans votre ardeur militante?
L’expression que le Secrétaire général a utilisée est que sa confiance s’est distendue. Dans ma réplique, quand j’ai dit puisque tu ne me fais plus confiance, il a repris la parole pour dire non. Peutêtre pour d’autres choses, je pourrai te faire confiance. Je le répète, les militants d’un parti n’ont pas besoin de se faire des confiances réciproques. Un homme peut ne pas faire confiance à sa femme, ils peuvent même divorcer et être dans le même parti. A l’intérieur d’un parti, le plus important c’est la ligne du parti, l’honnêteté des militants face à cette ligne. Ce n’est pas parce que le Secrétaire général me dit aussi que sa confiance s’est distendue que je vais jeter le fusil dans le blé. Ce n’est pas le Secrétaire général qui m’a dit d’être là où je suis dans le parti. Ce n’est pas en 1990 que j’ai senti qu’il fallait que je milite à gauche. Ce n’est pas parce que le Secrétaire général me dit que sa confiance s’est distendue que je vais quitter le parti. Cela voudrait dire que j’ai une conception erronée du parti ; je l’assimile à un homme aussi puissant soit-il. Non, le parti est la chose de ses militants. Il appartient à la collectivité des militants. En étant dans le cabinet, ce n’est pas pour ajouter un titre de plus à ma carte de visite. C’est un travail bénévole, absolument bénévole ; c’est ça le militantisme. On y perd plus qu’on y gagne.
Il y a dans cette déclaration de bonne foi une dose de naïveté qui me surprend. Le FPI c’est avant tout Laurent Gbagbo. Dans tous les partis, il y a la discipline du parti. Ne vous sentez-vous pas en faute à la manière de Djéni Kobena pour déclaration enfreignant la discipline du parti ?
Je ne partage pas la conception selon laquelle le FPI appartient à Gbagbo. C’est absolument erroné.
Il en est l’âme principale
Le parti n’est pas Gbagbo. La preuve : après le 18 février 92, le parti n’a pas succombé à l’arrestation de Laurent Gbagbo. Le camarade Sangaré a pris provisoirement le secrétariat général et je pense que …
Vous avez bien dit provisoirement
Oui, provisoirement parce que c’est le Congrès qui élit le secrétaire général. Nous étions dans un cas d’empêchement et l’intérim était assuré par le numéro 2, Sangaré Aboudramane. Ce camarade n’a pas déçu. Il a dirigé le parti de main de maître. Au point que, avec la lutte que nous avons menée, on a abouti à la libération de nos camarades incarcérés. Je ne partage pas du tout la conception qui dit que le parti appartient à Laurent Gbagbo. Le parti se veut une structure pérenne ; il survit à ses militants, aussi puissant soient-ils. C’est vrai qu’à un moment donné, une personne par sa carrure, peut émerger et être un dirigeant charismatique. C’est le cas de Gbagbo mais cela ne veut pas dire que le parti lui appartient. Lui-même ne se comporte pas comme le propriétaire de ce parti. J’ai travaillé avec lui ; c’est un homme qui écoutait beaucoup. On discutait ; j’argumentais. Il ne se comporte pas comme le propriétaire du parti. C’est vrai qu’il y a autour des militants aujourd’hui qui voudraient qu’il se comporte comme cela. Dans un même parti, tout le monde n’est pas au même niveau de conscience. Il y en a qui sont fraîchement arrivés du PDCI qui n’ont jamais milité à gauche. Et qui pensent que plus on est en de bons termes avec le chef, plus on fait ses louanges, plus on le dessine à la une des journaux, plus il sera notre ami.
Revenons à la discipline du parti.
Il y a des structures dans le parti qui veillent à la discipline du parti. Le Secrétaire général ne peut pas appeler au pif quelqu’un et lui dire toi tu n’es pas en accord avec la discipline du parti, vat- en ! Non ! Si je suis en désaccord avec la ligne du parti, nous avons un comité de contrôle présidé par notre camarade Don Mello qui est le garant de la ligne du parti. Je n’ai jamais été interpellé par cette instance ou qui que ce soit.
Vous vous considérez comme victime d’une sorte d’abus de pouvoir?
Ce n’est pas ce que je dis. Le Secrétaire général est libre. Je peux constituer en tant que personne un cabinet. Si je pense que je dois m’entourer de certaines personnes pour travailler, je les appelle. Je n’étais pas dans une structure du parti. Que cela soit clair : le cabinet est une structure informelle mise sur pied par le Secrétaire général parce qu’il pense qu’il ne peut pas être au four et au moulin. Il avait donc besoin autour de lui de personnes…
De confiance.
On n’a pas forcément besoin de faire confiance. C’est peut-être un expert qu’on recherche pour avoir ses avis techniques. Il les donne sans y mettre son état d’âme. Quand je dois confier une mission secrète à une personne, je dois pouvoir lui faire confiance.
Les Ivoiriens seraient surpris de vous savoir au Togo, en train de soutenir Koffigoh après avoir fustigé Houphouët-Boigny. Comment expliquez-vous ce revirement ?
Il n’y a pas de revirement. Je ne soutiens personne au Togo. J’ai mon ami qui est le chef du gouvernement, M. Koffigoh. Je suis avec lui. On discute en tant qu’amis. C’est tout. Tout comme je connais toute la classe politique togolaise : je connais tous les opposants dans la lutte. Je garde de très bons rapports avec eux. Je suis ici en tant qu’un observateur neutre. J’ai tenu à être là pour voir la conclusion de ce processus parce qu’au moment où il débutait le 5 octobre j’étais là. Voilà pourquoi j’ai tenu à voir la conclusion, c’est-à-dire les élections présidentielles. J’ai suivi les campagnes électorales, j’étais dans les meetings de tous les candidats. J’ai vu tout en tant qu’observateur, en tant que journaliste d’abord, pour rendre compte. Bon j’ai des amitiés que je ne peux pas renier pour telle ou telle raison.
Justement, il se trouve que votre ami Koffigoh, chef du gouvernement, est l’ami aujourd’hui d’Eyadema qui lui, est l’ami d’Houphouët- Boigny. L’ami de vos amis peut-il être votre ennemi ?
Je vous dis que je ne renie pas mes amitiés. L’amitié se nourrit de fidélité. Koffigoh est le chef du gouvernement. Le général Eyadema est le Président de la République. Il n’y a pas un seul pays au monde où le chef de gouvernement et le Président de la République passent tout le temps à se tirer dessus. Ils doivent dans l’intérêt des affaires publiques avoir un minimum de rapport. Parce que les affaires de l’Etat doivent être réglées dans une parfaite coordination. Je crois que la constitution togolaise et les travaux de la commission mixte paritaire qui se sont tenus ici même au Togo en août 92 ont exigé que le Président de la République et le Premier ministre aient des relations fonctionnelles pour gérer dans un esprit consensuel les affaires de l’Etat. Maintenant, sont-ils amis, ne le sont-ils pas ? Ce n’est pas ce qui me regarde. Lorsqu’on parle d’amitié, c’est du subjectivisme. Ils sont deux hommes d’Etat qui gèrent le même pays. je pense que c’est une bonne chose qu’ils le fassent en parfaite concertation. Chez nous, Alassane Ouattara, Premier ministre, passe-t-il son temps à tirer sur le Président Houphouët-Boigny, ou le Président qui passe son temps à tirer sur le Premier ministre ? Il n’y aura pas d’harmonie. L’opposition n’a pas su tirer des enseignements de l’expérience béninoise. Le Premier ministre d’alors Nicéphore Soglo n’est pas rentré en rébellion contre le général Mathieu Kérékou, l’ex-Président Kérékou présidait les conseils des ministres. Quand le moment est venu de lui donner des garanties pour se retirer, on les lui a données. On n’a pas créé une situation conflictuelle pour dire qu’il était dictateur et qu’il devait se retirer. Les Béninois ont compris que Kérékou a été président de son époque ; il s’est soumis au suffrage du peuple. Il a été battu, il s’est retiré tranquillement au Bénin sans être inquiété. Les Africains doivent lutter pour créer cela : il faut qu’un ancien président sente qu’il est dans un pays pour lequel il a travaillé. Même s’il a commis des fautes, il ne faut pas voir du noir partout. Dans un bilan, il y a des aspects positifs et des aspects négatifs.
Fac similé de l’interview dans Frat-Mat.
Aujourd’hui, quels sont vos rapports avec l’opposition togolaise?
J’ai toujours des amis à l’opposition. Me Agboyibo est un ami à moi. Peut-être, je n’apprécie pas, je regarde ce qui se passe. En tant qu’observateur, je garde mes remarques pour moi. Quand on me les demandera, je les donnerai, à qui voudra les entendre, mais je dis que je suis un ami de l’opposition togolaise. J’ai suivi la lutte du peuple togolais depuis octobre 90. J’ai vu les efforts qui ont été faits de part et d’autre. J’ai apprécié l’esprit de grande ouverture manifesté par la sensibilité présidentielle. Nous en Côte d’Ivoire, nous n’avons pas eu ce privilège il faut le reconnaître. C’est à l’actif de la sensibilité présidentielle et du Président Eyadema. Ils ont accepté de s’asseoir avec l’opposition pour discuter. Lorsque les conditions ont été créées. Des accords ont été signés en juin 91 pour convoquer une conférence nationale. Malheureusement, ces accords n’ont pas été respectés comme ils avaient été signés. La conférence est devenue souveraine ou a préféré à l’efficacité politique la justesse des termes. Mais je dis que la sensibilité présidentielle du Togo est une sensibilité de grande ouverture. Elle a accepté de partager le pouvoir. Elle s’est même retirée du pouvoir après la conférence nationale pendant un an. A la veille de la fin de la transition décrétée par la Conférence nationale, il y a eu encore une table ronde c’est-à-dire la commission paritaire. Les deux sensibilités ont trouvé un compromis pour relancer le processus démocratique. Il faut le reconnaître, il faut le dire. Il ne suffit pas de dire un tel dictateur. Il faut reconnaître chez les gens ce qu’il y a de positif. Il y a eu des fautes : les responsabilités sont partagées. Ce que l’opposition au Togo a eu comme ouverture de la sensibilité présidentielle, si nous l’avions eue en Côte d’Ivoire, depuis longtemps ou aurait eu un autre Président de la République.
Selon vous la sensibilité présidentielle a fait preuve de bonne foi en acceptant de se retirer ; le pays est resté paralysé. Finalement, c’est l’opposition qui aura été irresponsable.
Je ne veux pas accuser les gens en disant celui-ci est comme ceci. Je mets en évidence ce qu’il y a de positif. Quand je reconnais chez quelqu’un qu’il fait des efforts, je le souligne. Je n’ai jamais jeté la pierre à personne. Les Togolais savent mieux que moi pourquoi les choses sont comme elles sont aujourd’hui. En tant qu’observateur avec un oeil neutre, je dis le bien qui est fait.
Pour porter jugement, que pensez-vous avec le recul du temps de l’affaire Dacoury Tabley ?
Au-delà du débat juridique sur les transferts de fonds dans la sous-région, que pensez-vous de l’acte politique ? Je crois qu’on a assez épilogué sur cet acte là. Ce n’est pas à moi de juger un acte politique d’un militant de mon parti. Il appartiendra aux différentes instances du parti de juger l’acte posé par Dacoury qui au demeurant est un ami et un frère aîné que j’admire pour son courage et pour sa persévérance. C’est un militant intègre. C’est marrant que ce coup soit arrivé. On en a fait un véritable drame. Je le répète, Louis Dacoury Tabley est un militant intègre. J’ai pratiqué l’homme, je le connais : il a même été le tuteur de mon épouse. J’ai été très peiné de le voir traîné dans la boue en lui attribuant des fautes qu’il n’a pas commises. Je comprends aussi que tout homme politique qu’il est, ce qui lui arrive soit amplifié. Je vous laisse la paternité de vos affirmations mais je ne sais pas si c’est être intègre que de faire des études en France et percevoir son salaire pendant dix ans ou laisser une ardoise à Gagnoa dans son commerce de riz. Voilà des exemples d’intégrité que je vous laisse assumer. Je voudrais enchaîner avec une autre affaire. Dans sa dernière interview à Notre Temps, Gbagbo nous révèle que Arnaud est poursuivi sur plainte de ses autres associés. Encore une autre affaire pour un dirigeant du FPI. Ce n’est pas à moi de juger les affaires qui arrivent au FPI. Paul Arnaud et ses amis étaient en affaire. Certains ont jugé utile de le poursuivre. C’est dans l’interview en question que j’ai appris moi aussi qu’il était poursuivi. Je crois que les tribunaux saisis vont délibérer pour voir s’il y a faute ou non.
Le Sénégal vient de décider d’une diminution des salaires des fonctionnaires après le scandale des indemnités parlementaires. Que vous inspire les politiques d’ajustement structurels, les problèmes d’équipements budgétaires ?
Que pensez-vous des hommes politiques ? Lorsqu’on parle de restructuration, d’équilibres budgétaires, de programme d’ajustement structurel, tout cela sousentend des efforts que tout le monde doit partager. Il ne faudrait pas qu’il ait une couche sociale qui supporte les sacrifices de la majorité qui bénéficie des bienfaits des sacrifices de la majorité. C’est cela l’injustice. Je fais partie de ceux qui combattent cette injustice. J’ai été de ceux qui ont porté sur la place publique le problème des indemnités parlementaires en Côte d’Ivoire. J’ai trouvé que c’était horrible que des personnes qui doivent décider à la place du peuple se servent elles-mêmes avant de penser à ce peuple. J’ai abordé ce problème sous tous ses aspects. Sous l’aspect juridique, c’était une violation flagrante de notre constitution. Je n’ai pas apprécié que les députés de l’opposition qui sont dans l’Assemblée n’aient pas soulevé cette question de principe. La constitution, elle ne contient pas que l’article 5, c’est –àdire qu’elle n’interdit pas seulement aux étranger de voter. Elles a d’autres articles qu’il faut respecter. Si in ne la respecte pas aujourd’hui en son articles 38, demain on peut aussi la violer en son articles 5. Pour être conséquent avec soimême, lorsque les textes fondamentaux sont violés, il faut protester vigoureusement. Les députés étaient libres d’adopter une loi comme le prescrit la constitution pour se donner des indemnités qu’ils croient conformes à leurs besoins. Ils sont libres puisque c’est eux qui font la loi. Qu’ils prennent la responsabilité face au peuple de le faire, mais le faire en cachette en violant les textes de la République, c’est horrible. Au Sénégal, en plus des indemnités normales ils avaient une prime de 400.000F. Notre camarade Landing Savané a refusé de prendre ces 400.000F parce que cela lui paraissait louche. C’est ce qu’on exigeait de nos députés : qu’ils soulèvent la question de principe et qu’ils interpellent le parlement à adopter une procédure conforme à la légalité.
Il se murmure à Abidjan que vous êtes Alassaniste. Qu’en est-il ?
Il ya des gens de mauvaise foi, disons plutôt sans foi ni loi, que je connais qui murmurent ces choses. Ce sont des aigris qui hier étaient au PDCI et qui sont venus à l’opposition, avec des rancoeurs. Ils ont des problèmes personnels à régler avec Alassane Ouattara ou bien avec Houphouët- Boigny même. Parce que Houphouët n’a pas fait leur promotion ou qu’il a nommé d’autres personnes à leurs places. Subitement , ils se découvrent l’âme de démocrates, ils gonflent les rangs et parlent plus que les vraies militants de gauche. Pour eux, quand tu écris sur un sujet donné et que en tant qu’intellectuel honnête tu reconnais ce qui est bien, ils racontent : voilà, il a été acheté. Quand tu écris ce qui est mauvais chez la personne et qu’ils sont contre elle, ils disent alors : voici un bon journaliste, c’est un fonceur. Moi je ne suis pas un tirailleur à qui on dit « tire là » pour que je tire. « Tire ici ». Lorsque j’écris quelque chose, il faut que je le vérifie, que je sois en harmonie avec ma propre conscience. J’ai eu à faire de nombreux articles sur Alassane Ouattara et je ne retire pas un seul mot de ce que j’ai écrit. A un moment donné aussi j’ai critiqué certaines pratiques que j’ai vues chez Bédié, notamment de ce fameux article 11, des indemnités parlementaires et de son projet d’emprunts obligataires. On a tout de suite dit : Ah, il est passé dans le camp d’Alassane Ouattara. Il y a des personnalités sérieuses en Côte d’Ivoire qui ont émis des doutes et sont même par personne interposée venues pour savoir si j’étais vraiment acheté par Alassane Ouattara. On a même donné le nom de quelqu’un qui serait à la Primature et qui s’occuperait de moi… je laisse les bassesses mourir de leur propre poison. Si on parle de moi, c’est peutêtre parce que je représente un souci… Je ne suis l’homme de personne : je suis mon propre homme.
Etant assez mêlé au monde de la communication, quel regard portez- vous sur le printemps de la presse ivoirienne, trois ans après?
L’éclosion de la presse indépendante a été une bonne chose. C’était un élément catalyseur du processus démocratique. En Côte d’Ivoire, la presse a résulté des partis politiques mais aujourd’hui elle essaie de s’en détacher de plus en plus. Dans d’autres pays comme au Bénin, au Mali, au Togo, la presse libre a précédé l’ouverture démocratique. J’ai une forte déception cependant. La jeune presse semble être devenue le lieu des règlements de comptes. Aujourd’hui Monsieur X veut faire couler Y, il va à la presse et commence à raconter ce qu’il a fait. Et pan, pan, pan. On écrit, on le coule. Il y a des pressions déplorables qui sont faites sur des personnes. Il y a eu des cas malheureux où des gens ont fait du chantage, menacés d’articles à paraître sur eux. Il faut alors soudoyer. Il existe aujourd’hui des rapaces qui sont dans nos rangs et qui ne devaient pas être là où ils sont. Ils utilisent les supports de la presse indépendante à des fins de chantage, de règlement de comptes et d’enrichissement. Le plaisir c’est d’abord de se dire est-ce qu’on a bien informé, contribué à éduquer ? J’ai éprouvé le plaisir quand j’ai été invité par TV5 à l’émission chassés-croisés de Michel Polac sur la base d’une série d’articles que j’ai écrits dans « Notre Temps ». Ceux qui m’ont invité à Paris ont pensé que je pouvais répondre à un certain nombre de leurs préoccupations. J’ai été très heureux. C’est cette satisfaction qui doit guider tout journaliste et non l’argent. On peut faire un hold-up pour avoir de l’argent. Le journalisme est un métier noble parce que c’est un métier d’éducation. On ne devrait pas le travestir.
Propos recueillis à Lomé par Jean-Baptiste Akrou
In Fraternité Matin du mardi 7 septembre et du mercredi 8 septembre 1993
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