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Godi Wingod Marcelle« La jeunesse ivoirienne a peur de la politique et commence à douter de la démocratie »

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Auteur d’Une vie volée, Marcelle Wingod Godi  nous livre son sentiment sur la réconciliation en Côte d’Ivoire, et dénnonce les inégalités dans la gestion des victimes et la recherche d’une justice qu’elle estime à sens unique. Entretien

Par Roche Sossiehi

Une des innombrables victimes de la récente crise ivoirienne. S’inspirant de ce passé récent de son pays, elle a décidé par « devoir de mémoire » de publier en juillet 2016 aux éditions L’Harmattan-Côte d’Ivoire, son premier roman, Une Vie volée (105 pages) qui nous replonge dans la vie d’exilés et leur retour au pays.

Comment vous est venu l’idée et l’inspiration d’écrire votre roman ?

Sincèrement, et pour vous parler franchement, je n’ai jamais eu pour projet d’être écrivaine. Je ne dirai plutôt que la situation de mon pays et mon expérience personnelle de certaines situations m’y ont obligé. J’ai été frappé par la douleur de ma famille, mes frères et mes compatriotes. J’ai perdu ma mère biologique le 4 juillet 2011. Et j’ai décidé d’écrire. Je voulais que nos enfants et ceux qui n’ont pas vécu la récente crise ivoirienne sachent un peu de ce qui c’est passé. Une sagesse romaine antique dit que « Les paroles s’envolent, les écrits restent.» C’est donc par devoir de mémoire que je me suis lancée dans cette aventure. J’aime profondément mon pays et l’écriture de ce livre est la preuve de cet amour.

Fulbert Obou a perdu ses deux filles. La première, Fatou pendant la crise et la seconde Christine dans le camp de réfugié en exil. Quelles difficultés ou obstacles empêchent une « véritable réconciliation nationale » en Côte d’Ivoire ?

J’observe beaucoup autour de moi. La première difficulté que je perçois c’est que j’entends de plus en plus de personnes dirent qu’il y a un manque d’équité dans les actions gouvernementales. Par exemple, au niveau de la justice, même des organisations internationales parlent de « justice des vainqueurs ». On constate malheureusement que les poursuites, tant au plan national qu’international, sont engagées contre un seul camp, celui de l’ex-parti au pouvoir. Alors que l’autre camp, peut-être parce qu’au pouvoir, n’est pas inquiété. Or, vous conviendrez avec moi qu’il y a bien eu deux camps qui se sont affrontés dans cette crise.

Dans ces conditions, les nombreux appels à la réconciliation nationale des nouvelles autorités apparaissent comme une hypocrisie donc difficilement crédibles. Il y a des personnes inconnues dans les prisons qui n’ont jamais vu avocat ni n’ont été présenté à un juge depuis des années. Il s’y trouve des personnes sont très malades et n’ont pas accès à des soins, on peut les libérer provisoirement. Généralement on parle beaucoup des personnalités publiques. La libération de tous les « prisonniers politiques » ou d’opinion sera un grand signal. Cela pourra rassurer les exilés et les encourager à rentrer. Il faut aussi et surtout s’occuper des victimes, de toutes les victimes et de tous les camps. Vous savez, j’ai appris qu’on finance les partis politiques à des centaines de millions et même on leur donne de l’argent pour faire campagne pendant que les victimes elles souffrent. Cela ne favorise pas le (re)vivre ensemble à mon sens.

Dans votre roman, précisément aux pages 28 à 31, on constate les débats qui ont lieu dans le camp de réfugiés sur la nécessité de rentrer ou non pour répondre à l’appel des nouvelles autorités prônant la réconciliation.  A votre avis quelles sont les conditions pour réussir le retour et l’intégration des ex-réfugiés ?

En ce qui concerne la réintégration des ex-réfugiés, nous voyons les efforts faits par les institutions publiques notamment le ministère de la solidarité. Mais je peux vous assurer que beaucoup reste à faire. Par exemple en termes d’assistance au relogement et d’accompagnement social il y a une différence entre les ex-réfugiés qui s’installeront en milieu urbain et ceux en zone rurale. Par exemple pour la zone urbaine, il y a des domiciles privés encore occupés et en zone rurale il y a des plantations, des terres expropriées. Je propose aussi que le dédommagement initié par la Programme National de Cohésion Social pour les victimes de la crise prenne en compte les personnes vivant en exil dans les camps de réfugiés notamment les orphelins et les femmes veuves. Je peux vous dire, rien qu’en me fiant aux nombreux témoignages que j’ai entendus pour écrire mon roman, que la vie en exil n’est vraiment pas facile. On dit souvent qu’on ne vit que mieux que chez soi.

Le personnage principal, Fulbert Obou affirme à la page 30 « Je veux vivre loin de votre de politique, loin de vos débats politiques. » Croyez-vous que la crise postélectorale changera-t-elle la vision des Ivoiriens sur la politique et la Démocratie ?

Evidemment, on ne sort pas d’une crise de cette ampleur comme l’on sort d’un diner-gala. L’intrusion des armes dans le débat politique ivoirien avec son corolaire de viol, de tueries va profondément marquer et influencer l’esprit et les comportements des Ivoiriens. Cette situation a fait reculer les libertés et notamment l’exercice pacifique de la compétition politique. Les Ivoiriens qui vivent toujours des difficultés comme celles de manger et de se soigner n’ont plus confiance en la capacité de la Politique et même de la Démocratie à changer positivement et qualitativement leur vie. C’est le point de vue du personnage Fulbert Obou. Il y a une grande partie de la population qui ne s’est jamais engagée en politique qui a payé un lourd tribut dans cette crise. Cette partie ne s’intéressera peut-être jamais au vote par exemple. Vous voyez bien que malgré qu’on nous dit que les nouveaux majeurs sont d’environ 6 à 7 millions à chaque fois qu’on fait l’enrôlement sur la liste électorale on a jamais dépassé le chiffre de 500.000 personnes. Disons le clairement : la jeunesse a peur de la Politique et plus grave commence à douter de la Démocratie non seulement dans ce pays mais ailleurs en Afrique et dans le monde aussi.

Un appel à lancer aux Ivoiriens ?

Je souhaite vivement de tout cœur que les uns et les autres mettent l’intérêt supérieur de notre pays au-dessus de tout. La Côte d’Ivoire a besoin de tous ces enfants pour avancer. Tous les groupes sociaux et toutes les compétences doivent être mobilisés pour ce projet. Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire !

Ivoire Justice

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