Dans cet article ci-dessous, la publication La Lettre du continent datée du mercredi 3 décembre dernier, fait des révélations sur le vécu intérieur par Alassane Dramane Ouattara de la révolte des ex-rebelles devenus Frci du mardi 18 novembre 2014.
Se répandant comme une trainée de poudre dans tout le pays, le 18 novembre dernier, la mutinerie des soldats des ex-forces nouvelles (FN) absorbés au sein des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) a montré les limites d’une réforme de l’armée engagée à grands frais depuis plusieurs années. Cette contestation parfaitement coordonnée témoigne surtout des luttes d’influence que continuent de se livrer les sécurocrates d’Alassane Ouattara, en coupant progressivement ce dernier de la situation réelle des casernes ou, pire, en lui rappelant la faculté de nuisance d’une certaine frange de militaires. Inquiétant. « Les gens de Soro commencent sérieusement à me fatiguer ». Tout en trahissant un vrai désarroi en privé après les revendications synchronisées de quelque 8 400 membres des ex-FAFN, le chef de l’Etat est tombé des nues face à l’ampleur des dégâts. Ces rebelles auraient dû intégrer l’armée nationale en 2009 suite aux accords de Ouagadougou signés deux ans auparavant. Mais en raison de la crise politico-militaire, cette opération n’a pu avoir lieu qu’en 2011 avec l’arrivée de l’actuel président au pouvoir. Alors qu’Alassane Ouattara s’était engagé à faire remonter l’ancienneté de ces hommes à 2009 et de leur verser des arriérés de solde en conséquence – une présence de cinq années au sein de l’armée ivoirienne donne droit à de multiples aides comme des prêts pour des logements -, ce “rattrapage” n’a jamais été effectué depuis cette promesse. D’où la stupéfaction du palais d’Abidjan qui pensait l’affaire réglée depuis longtemps.
Si l’Etat a décidé de satisfaire immédiatement les doléances des mutins – avec à la clé, une facture de quelque 50 milliards fcfa -, ce contexte reflète une difficile coordination des services de l’Etat sur tout ce qui relève des questions militaires. En cause, l’éclatement des pôles de décision. A la présidence, le Conseil national de sécurité(CNS) dirigé par Alain Richard Donwahi est chargé d’équiper les soldats sous la supervision budgétaire de Téné Birahima Ouattara, frère cadet d’Alassane Ouattara. Au gouvernement, le ministre délégué à la défense, Paul Koffi Koffi,
sans réelles prérogatives, semble davantage préoccupé par les marchés de rénovation des casernes. Pour sa part, le chef d’Etat-major Soumaïla Bakayoko est bien en peine d’imposer son autorité à ses hommes, dont la moitié affichent leur fidélité aux ex-comzones de Guillaume Soro. Enfin, la présidence préfère miser sur ses propres unités d’élite comme le CCDO au détriment de la troupe. 500 milliards fcfa ont ainsi été investis depuis trois ans afin d’équiper ces forces spéciales. Pour parer au plus pressé et calmer les mutins, 5000 caporaux ont été élevés au grade de sergent, tandis que I’ex-comzone Herve Touré alias « Vetcho» a été bombardé commandant du 3ème bataillon de Bouaké d’où sont parties les contestations.
Aussi bruyantes que dangereuses (en 1999, le pouvoir d’Henri Konan Bédié était tombé après de telles mutineries), ces revendications ont fait monter d’un cran la lutte fratricide entre Guillaume Soro et Hamed Bakayoko. Relayant les inquiétudes d’Alassane Ouattara (LC N°689), le ministre de la sécurité intérieure, monté au front pour désamorcer la crise, n’a pas manqué d’envoyer un missile au président de l’assemblée nationale, en le tenant pour responsable de la situation. Muet au cours de cette journée, Guillaume Soro est, selon des sources, discrètement intervenu pour persuader les mutins de stopper leur action. Ces derniers, sans pour autant obtempérer, ont décidé de ne pas recourir à la violence. Ce changement de stratégie a malgré tout rappelé à Alassane Ouattara la capacité de nuisance, restée intacte, des hommes du N°2 ivoirien, au moment où premier cercle du chef de l’Etat cherche à maintenir celui-ci à bonne distance de présidence.
(Source : La Lettre du continent N°695 du 3 décembre 2014)