03312023Headline:

Guerre en Ukraine: à Odessa, l’heure est à la «dérussification»

En plus des opérations militaires, la lutte des Ukrainiens face à l’invasion russe passe aussi par un processus de rejet de tout ce qui est russe. Les tentatives d’effacer les références liées au grand voisin et à ses marqueurs idéologiques se multiplient. Même à Odessa, qui compte 80% de russophones, l’heure est à la « dérussification ».

En groupes de deux, une vingtaine de personnes converse en ukrainien sous la supervision de Tetiana Khamrail. Cette jeune artiste, qui toute sa vie a parlé russe, a fondé un club de discussion pour permettre à des gens comme elle de se sentir à l’aise dans la langue du pays. « À l’heure actuelle, ça me dégoûte de parler le russe, je l’associe à de mauvaises choses, explique-t-elle. De plus, on dit chez nous : la langue, c’est notre frontière et il me semble qu’il faut que nous passions tous à l’ukrainien pour défendre nos territoires. »

À chaque cours, Tetiana enregistre 30 % de nouveaux venus. Volodymyr Dugin, 49 ans, est décidé à passer à l’ukrainien, mais il manque de pratique dans une ville à majorité russophone.

« La guerre a été un déclic, dit-il. Je comprenais depuis longtemps qu’un État ne pouvait exister que s’il avait sa propre culture et sa langue. Je pense que je fais ça aussi pour que de soi-disant “libérateurs” ne soient plus tentés de venir “libérer” des russophones. »

Partout en Ukraine, les autorités s’attèlent à changer les noms des rues associées à la Russie. En l’absence de loi sur la « dérussification », la décision en revient aux maires. Peter Obukhov, député municipal du parti Solidarité européenne, a fait la liste des rues qui méritent, à son sens, d’être rebaptisées : « Odessa compte quelque 200 rues dont les noms font référence à la Russie et n’ont aucun rapport avec l’histoire d’Odessa. On a une vingtaine de rues qui portent les noms de villes, de lacs ou de fleuves russes. En premier lieu, on doit déterminer les rues qui doivent être renommées. Ensuite, il faudra leur trouver des noms. C’est un gros travail, mais il avance très lentement. Dans d’autres villes, comme à Kiev, c’est allé beaucoup plus vite. »

Polémique autour de la statue de Catherine II
À Odessa la russophone, le sort de la statue de l’impératrice Catherine II, considérée comme la fondatrice de la ville, a aussi fait l’objet de longues discussions et tergiversations. Après s’y être opposé, le maire a finalement donné son feu au démantèlement du monument. Il repose désormais, emballé, dans la cour du musée des Beaux-Arts. Le guide Valery Korshunov rappelle que la statue, déboulonnée après la révolution russe, n’avait retrouvé sa place qu’en 2007.

« La statue de Catherine II avait retrouvé sa place en 2007, grâce à l’argent de lobbyistes pro-russes et du fond de coopération culturelle de la Fédération de Russie, commente-t-il. C’est pourquoi les habitants de sensibilité pro-ukrainienne se demandaient à quoi bon garder ce monument dédié à notre grande amitié avec un pays qui est en guerre avec nous. »

Considérée par une partie de la population comme un symbole de l’impérialisme russe, la statue de Catherine II aurait pu rester à sa place, considère l’historien et archéologue odessite Andrij Krasnojon : « À mon avis, c’est de la pure vengeance, c’est compréhensible, c’est plutôt sain. Certains monuments fonctionnent comme des symboles de propagande. Mais pour les Odessites, cette statue de Catherine II représentait l’histoire locale, anti-soviétique, et non pro-russe. Il aurait suffi de changer la plaque, d’enlever “Catherine la Grande, impératrice”. On aurait pu mettre à la place : “Sophie Frédérique Augusta d’Anhalt-Zerbst, princesse allemande” qui a donné de l’argent pour la construction du port et de la ville. »

Sur le socle laissé vide, un drapeau ukrainien a été planté. À quelques dizaines de mètres de là, la statue du duc de Richelieu, un temps gouverneur d’Odessa, a précieusement été entourée de sacs de sable.

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