06032023Headline:

Kazakhstan: le pouvoir nerveux face à la grève des ouvriers du secteur pétrolier

Au Kazakhstan, des ouvriers du secteur pétrolier se sont mis en grève cette semaine, notamment à Janaozen, dans l’Ouest. Un mouvement qui a inquiété le pouvoir, lequel a plutôt réagi par des arrestations que par des négociations, et ce alors que les habitants de l’Ouest pétrolier kazakh ont marqué l’histoire sociale et politique récente du pays, comme lors de ce que l’on a appelé le « Janvier sanglant » début 2022. Éclairage.

 

À l’origine et au cœur de la grève, plus de 200 employés d’une entreprise de service pétrolier, Berali Mangistau, sous-traitante pour l’entreprise publique locale Ozenmounaigas, qui exploite un gisement au cœur de la steppe kazakhe. Ces employés, conducteurs, grutiers, techniciens se sont entendus dire que leur entreprise ne verrait pas son contrat renouvelé, une autre entreprise de service ayant remporté l’appel d’offre auprès d’Ozenmounaigas. Autrement dit, ils se retrouvent sans emploi du jour au lendemain.

Bien que cette grève soit modeste, on a senti le pouvoir nerveux. Pourquoi cette nervosité ?

Il y a des raisons historiques, dirait-on. Mais plus immédiatement, je crois que cela tient à trois facteurs. Le premier est que malgré les richesses du sous-sol kazakh, la population reste relativement pauvre. Le salaire moyen au Kazakhstan est de l’ordre de 700 euros par mois, mais avec beaucoup d’inégalités. Le second facteur est que cela passe d’autant plus mal que le secteur pétrolier est réputé corrompu au Kazakhstan, ce qui crée un sentiment d’injustice. Et le troisième facteur est qu’on pense, dans l’Ouest du pays, où se trouvent quasi tous les gisements, que la région ne profite pas de façon équitable des richesses de son sous-sol.

Quelles sont ces raisons « historiques » de la nervosité du pouvoir du Kazakhstan ?

Janaozen, une ville de 80 000 habitants perdue au cœur du désert kazakh, a une étonnante histoire de révoltes sociales et politiques depuis trois décennies. En 2011 notamment, cette petite ville, avec son gisement qui ne compte pas parmi les plus importants du Kazakhstan, avait été au cœur des tensions sociales du pays. À chaque fois, se pose la question des salaires et au fond, celle du partage de la manne pétrolière du Kazakhstan.

Cela commence en 1989 avec des heurts ethniques meurtriers qui ont opposé des cadres du gisement pétrolier local, qui s’avéraient être des Caucasiens, et des nieftianiki, des ouvriers du pétrole, qui eux étaient Kazakhs. Cela se poursuit en 2011, quand des questions salariales et une forte inflation vont mener à sept mois de grève de la part des employés de l’entreprise publique Ozenmounaigas. Le 16 décembre de cette année-là, le pouvoir choisit de disperser le mouvement par la force. Le bilan est lourd : 16 morts, et peut-être plus en réalité.

Dix ans plus tard, malgré cette tuerie, c’est encore de Janaozen que partent les importantes manifestations de janvier 2022. Cela va conduire à des manifestations dans tout le pays, grand comme cinq fois la France, et finalement à de profonds changements politiques nationaux. Cette fois, il s’agissait de contester l’augmentation drastique d’un carburant. On comprend pourquoi le pouvoir n’a pas pris à la légère la grève de la semaine passée.

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