04202024Headline:

Koné Katinan Justin depuis l’exil “Nouvelle Constitution ou Opération de marketing pour une vente aux enchères de la Côte d’Ivoire”

koné katina

Beaucoup d’observateurs, même parmi les plus avertis, s’interrogent sur l’opportunité et surtout l’urgence d’une nouvelle Constitution en Côte d’Ivoire. Il y a de quoi nourrir les interrogations eu égard au rythme infernal auquel le gouvernement ivoirien soumet son projet d’élaboration de sa nouvelle Constitution. Violation des principes élémentaires en matière d’écriture de Constitution, calendrier hyper raccourci et donc très chargé pour élaborer et adopter cette Constitution, engament total du gouvernement pour le vote du Oui, etc.

Pour faire campagne pour le Oui, des membres du gouvernement tiennent des propos que d’aucuns trouvent risibles. Pourtant, ces propos, loin d’être anodins, dévoilent le mobile réel de l’entreprise constitutionnaliste du Chef de l’Etat Ivoirien. Quand le maire de la commune d’Abobo avance que la nouvelle Constitution va aider Abobo à sortir de sa misère, ou quand le ministre en charge de la jeunesse soutient que la nouvelle Constitution va permettre la création d’emplois, tous les deux dévoilent le mobile caché de cette nouvelle Constitution, et, également, les raisons qui poussent le gouvernement ivoirien dans cette course folle pour le changement de la Constitution ivoirienne. Il y a, au bout de chemin, environ 1 milliard de dollars américains en jeu et des promesses d’investissements importants. Ces promesses sont assorties de conditionnalités qui vont sceller définitivement le sort des terres agricoles ivoiriennes.

Pour comprendre le passage en force qu’opère le gouvernement ivoirien, un bref rappel historique est nécessaire. Ce rappel historique devra permettre de mieux apprécier certains actes et faits que le gouvernement a posés ces derniers mois, et, surtout, de mesurer le danger qui plane sur l’avenir de la Côte d’Ivoire.

I/ un bref rappel historique.

En 2011, la puissance financière internationale, encagoulée sous le masque d’une communauté internationale humanisée, a misé gros sur deux pays africains pour bonifier ses affaires sur le Continent. Il s’agit de la Côte d’Ivoire et de la Libye. Les dirigeants incommodants ont été, l’un physiquement liquidé, et l’autre arrêté et déporté en Europe. Il comparaît devant la CPI. Malheureusement, la situation libyenne échappe totalement à toute maîtrise, à la différence de la Côte d’Ivoire, où la situation a été très vite mise sous contrôle grâce à deux actions complémentaires :

La première de ces actions consiste en une persécution qui combine assassinats, kidnappings à travers l’Afrique et emprisonnement massif des cadres jugés récalcitrants du régime du Président Laurent GBAGBO. C’est le rôle attribué à la justice ivoirienne.

La seconde action consiste en la corruption énorme de l’élite bourgeoise enclavée dans le régime précédent. Ainsi, de nombreux cadres de premier plan de ce régime sont devenus des bons amis de ceux qui gouvernent.

L’objectif de toutes ces action est d’anéantir toute résistance afin d’éviter que l’exemple libyen s’exporte en Côte d’Ivoire. Sur ce point, l’on peut dire que l’objectif est atteint. La classe dirigeante d’une frange de l’opposition, plutôt candidate au prix Nobel de la paix qu’à la conquête du pouvoir d’Etat, est devenue la collaboratrice appréciée du pouvoir ivoirien. Du coup, pour la diplomatie mondiale, la crise ivoirienne est totalement terminée. Tout y est beau dans le meilleur des mondes. Les nombreux prisonniers politiques, les violations des droits de l’homme, les procès honteux à la Hayes relèvent de simples détails qui finiront par trouver une solution. L’Africain noir n’est ni Berbère, ni Arabe. Il n’a pas l’âme d’un combattant endurant. Avec quelques travaux d’investissement et un slogan politique creux (l’émergence à portée de main), sa conscience trouve satisfaction. Pour dompter cette conscience facile, l’on a mis à la disposition du gouvernement beaucoup d’atouts financiers.

D’abord, l’annulation de plus de 70% de la dette dans le cadre du programme PPTE ouvre les portes de nouveaux emprunts au gouvernement ivoirien. Ensuite, la Banque mondiale et le FMI assurent le monitoring pour s’assurer que la Côte d’Ivoire, encore convalescente, ne fasse une rechute brutale. Si, au plan militaire, la présence de l’armée française et celle de l’ONU, véritables sentinelles pour le pouvoir, vise à contrecarrer toute velléité de révolte armée, il demeure que la menace d’une révolte populaire reste dans l’ordre du possible, surtout après l’expérience burkinabé. Il faut agir à ce niveau pour prévenir tout débordement. C’est à ce niveau que tout le système de l’ONU rentre en jeu.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU, pour se donner bonne conscience, pond la résolution 2062 du 26 juillet 2012 pour, dit-on, contraindre le gouvernement à faire des progrès énormes pour la réconciliation. Il est suivi immédiatement par son système financier. Le groupe Banque mondiale par l’intermédiaire de l’Association Internationale de Développement finance le Plan National de Développement préparé par le gouvernement. Il s’agit d’un plan à moyen terme qui couvre la période 2012-2015. Ce plan tourne essentiellement autour de la reconstruction des infrastructures détruite, ou dont la réalisation a été retardée à cause de la situation de guerre. Dans sa dimension emploi jeunes, deux projets ont été financés par l’IDA à hauteur de 200 millions de dollars US. Mais au terme de la période 2012-2015, le bilan est très loin des attentes des amis du gouvernement ivoirien. Des 5 conditions imposées au gouvernement aucune n’est totalement remplie.

• Au niveau de la stabilité sociale et politique. L’élection présidentielle de 2015 a clairement démontré que la Côte d’Ivoire est très loin de la stabilité politique. Les satisfécits donnés par les chancelleries amies du gouvernement ivoirien à cette élection n’ont pas suffi à enlever tous les doutes sur la stabilité politique. Quand l’on y ajoute la grogne des ex-combattants qui aiment se faire entendre par détonations, la cherté de la vie et les différents mouvements d’humeurs des populations qui en découlent, l’on en arrive à la conclusion que la Côte d’Ivoire reste un volcan endormi. Ce que la dernière crise des factures d’électricité n’a fait que confirmer. La présence encore en exil de milliers de personnes atteste de l’échec de la réconciliation dans un contexte où la justice a perdu toute crédibilité du fait de sa partialité attestée par les poursuites dirigées uniquement contre un camp, et son impuissance corrélative à poursuivre les proches du gouvernementdont les nombreux crimes sont connus de tous.

• Au niveau de la gouvernance économique, le résultat est plus que décevant. Malgré la manipulation des chiffres (voir l’étude du ministre Don Mello), le tableau économique du pays ne rassure pas. La dégradation de la balance de paiement qui est passée de 5 milliards en 2014 à moins de 2 milliards de dollars en 2015 (d’autres sources la déclarent même déficitaire) est le signe évident d’une économie malade. Le volume de la dette qui représente à ce jour à peu près 50% du PIB (52% pour d’autres sources) atteste du rythme d’endettement boulimique du gouvernement ivoirien. Un endettement qui contraste avec les investissements et surtout avec la capacité de remboursement du pays. le pays n’est pas loin d’un programme d’ajustement structurel.

Le déficit record de la SIR qui avoisine les 40 milliards de FCFA et celui, encore plus incompréhensible, de la PETROCI aggravent le risque d’une crise énergétique déjà forte au niveau du secteur de l’électricité.

• Au niveau du foncier rural qui était très attendu par les bailleurs de fonds, l’échec est total. Le programme de mise en œuvre du plan foncier rural (PFR) décliné pour le gouvernement par le G8 est en panne.

• La gouvernance économique manque de transparence. Lire le dernier rapport de la dernière mission Banque mondiale FMI.

• C’est seulement au niveau du développement du secteur financier que Ouattara semble tirer son épingle du jeu, parce qu’il a réussi à brader toutes les banques à capitaux publics nationaux.

Malgré ce tableau sombre, le gouvernement ivoirien sollicite encore un autre financement pour son programme 2016-2020 ; celui sur lequel compte le Chef de l’Etat pour achever son programme illusionniste d’émergence 2020. Il a sollicité de la Société financière internationale (SFI) un prêt de 1 milliard de dollars. Le Conseil d’Administration du Groupe de la Banque Mondiale a approuvé le Cadre de Partenariat pays pour la Côte d’Ivoire. Mais le Diagnostic Systématique pays pour atteindre les objectifs fixés par ce cadre de partenariat identifie encore les 5 conditions ci-avant relevées. De ces 5 conditions, deux sont jugées déterminantes. Il s’agit de la réconciliation et de la question foncière.

C’est pour tenter de satisfaire ces deux conditions que le gouvernement ivoirien fait feu de tout bois à la fois sur la question du retour des réfugiés et sur la nouvelle Constitution.

II/ La campagne pour le retour des réfugiés et la nouvelle Constitution valent 1 milliard de dollars

II-1/ le regain d’intérêt de la question du retour des réfugiés.

Après les avoir traqués et tenté de les kidnapper plusieurs années durant, le gouvernement ivoirien semble avoir opté pour une approche alternative, même s’il n’a pas encore totalement renoncé à ses habitudes de kidnapping. Il donne l’impression de privilégier la voie du retour sur pression diplomatique des exilés. Il convient de rappeler que, depuis 2013, dès sa sortie de prison, le Président du FPI d’alors avait décidé de sous-traiter cette question pour le compte du gouvernement. L’on se rappelle en effet de la rencontre qui a lieu entre une délégation du FPI et une délégation du gouvernement dirigée par le ministre de l’intérieur. Au perron même du ministère et en présence du ministre, la délégation du FPI avait fait un appel pressant aux réfugiés pour qu’il rentre.

Une délégation du FPI s’était même rendue au Ghana pour convaincre les réfugiés ivoiriens à rentrer au pays. Cette tentative, sans être concluante, avait tout de même donné un bon prétexte à certains cadres du parti à retourner au pays. Ce retour de ces cadres, même en nombre restreint, avait donné lieu à une vaste campagne médiatique qui ne visait, en fait, qu’à convaincre les amis du gouvernement ivoirien que la réconciliation était en marche dans le pays. Le pays avait même bénéficié des premiers décaissements au titre du financement de son programme 2012-2015.

Depuis le début de l’année 2016, la pression diplomatique s’est faite forte sur les gouvernements des pays qui accueillent les réfugiés, parfois en violation même de la convention de Genève de 1951 qui oblige les pays signataires à assurer la protection des personnes à qui ils accordent le statut de réfugié. Le gouvernement Libérien n’a pas tenu longtemps à la pression. Celui du Ghana continue de subir cette pression, qui s’exerce également sur les réfugiés. Alors qu’ils sont les plus récents dans ce pays, comparés aux Libériens dont le dernier camp a été officiellement fermé seulement en 2012, après plus de 20 ans d’existence, les réfugiés ivoiriens ne comprennent pas la pression assortie de nombreuses formes de chantage qui s’exerce sur eux.

Pour le cas ivoirien, c’est même le HCR qui joue les avant-gardistes. Sous le prétexte de la rareté de ses ressources, il a supprimé la maigre ration alimentaire qu’il allouait aux réfugiés ivoiriens depuis septembre 2015. L’option de chantage alimentaire n’a pas atteint ses objectifs. Les réfugiés continuent de réclamer la libération du Président Laurent GBAGBO comme l’unique gage d’une réconciliation vraie en Côte d’Ivoire. Ils ne font que traduire le sentiment général des populations ivoiriennes. La visite, en Juin dernier, d’une délégation gouvernementale conduite par madame la ministre en charge de la cohésion sociale s’inscrivait dans cette logique du retour des réfugiés. Dans la foulée, le Chef de l’Etat ivoirien avait annoncé, sans y croire lui-même, que d’ici la fin de l’année 2016, tous les réfugiés ivoiriens seraient rentrés au bercail.

L’effet d’annonce était destiné aux bailleurs de fonds comme une promesse de respecter la conditionnalité liée à la réconciliation nationale. C’est le même effet d’annonce qui a justifié la campagne médiatique qui a entouré le retour de la dernière vague des 4 réfugiés, ainsi que tous les grands soins que le gouvernement s’est appliqué à donner à ces derniers. Mais la pression ne s’arrête pas là. Le 15 septembre 2016, une délégation du HCR qui accompagnait un fonctionnaire de l’Ambassade des USA près du Sénégal, s’est entretenu avec une délégation des réfugiés. L’objectif de cette délégation : « convaincre », par des menaces insidieuses, les réfugiés ivoiriens à rentrer en Côte d’Ivoire alors que, dans la même période, le HCR élevait des vives protestations contre le gouvernement kényan pour avoir fermé le camp de Dadaad qui abrite les réfugiés somaliens depuis 1991. Il ne faut pas se tromper. L’amour débordant pour les réfugiés ivoiriens a un prix.

Le gouvernement ivoirien veut de l’argent. Pour en recevoir, il doit faire doit faire aboutir la réconciliation. Ne pouvant le faire, parce qu’il est quasiment impossible au bourreau de se réconcilier avec sa victime sans le consentement de celle-ci, le gouvernement ivoirien a recours à ses méthodes favorites. Faire peu et communiquer beaucoup là-dessus. Dans ce jeu, la symbolique a un rôle déterminant. Quand le ministreKadet Bertin, présenté comme le neveu de Gbagbo, met fin à son exil, ce n’est pas rien. Ça rapporte gros, et Ouattara, s’apprête à recevoir son chèque de 610 millions US dollars, obtenu le lundi 11 octobre 16, le jour même où l’Assemblée nationale ivoirienne lui a donné son feu vert pour le changement de la Constitution ivoirienne. Rien ne se fait au hasard en business. Le calendrier d’adoption du projet de Constitution n’est rien d’autre qu’une opération de marketing. Ouattara veut convaincre ses amis sur trois choses qui les dérangent :

• Il veut solder tous les comptes noirs de son passé politique. D’une part, il entend effacer toute trace de son alliance avec la rébellion ivoirienne en écartant de la succession monsieur Guillaume Soro après lui avoir coupé son aile militaire suite aux dernières nominations dans l’armée.

D’autre part, il fait acte de contrition vis-à-vis du Président Bédié par rapport au coup d’Etat de 1999, qu’une forte opinion, même parmi ses alliés d’aujourd’hui, lui attribue la paternité.

• Au moment où l’UA se monte de plus en plus critique vis-à-vis de la CPI, le Chef de l’Etat ivoirien veut rassurer ses amis occidentaux qu’il demeure le meilleur garant de leurs intérêts en constitutionnalisant la compétence de la CPI. Il fait ainsi d’une pierre deux coups. Il tient Guillaume Soro et ses soldats en laisse, et il espère aussi bloquer l’homme de toutes ses craintes, son pire cauchemar le Président Laurent GBAGBO qui pourrait, lui aussi, bénéficier de l’absence d’âge maximal pour briguer la magistrature suprême du pays.

• Enfin c’est sur le foncier rural, qui constitue l’une des exigences majeures de ses « amis » financiers, que le Chef de l’Etat mise très gros. La réforme agraire est l’enjeu essentiel du projet constitutionnel du Gouvernement ivoirien.

II/ La convoitise des terres ivoiriennes : mobile caché du projet de Constitution.

Le site afriquechine.net lève un coin de voile sur les intentions chinoises en matière d’exploitation des terres agricoles en Afrique. La Chine, à l’instar des pays dits émergents tels que le Brésil, la Turquie, la Corée du Sud, prévoit toujours une clause réservée à l’agriculture dans tous les contrats de coopération qu’elle signe avec les pays africains ces dernières années. Avant eux, l’Union européenne et les multinationales américaines avaient déjà marqué leur emprise sur lesdites terres. Au total, jusqu’en 2010, selon le centre d’études et de prospectives (CEP) attaché au ministère français de l’agriculture cité par le site afriquechine.net, 20 millions d’hectares des terres africaines étaient visés par les capitaux étrangers. Certains pays africains se sont déjà engouffrés dans la logique foncière ultralibérale. Ainsi, déjà en 2010, toujours selon le site afriquechine.net ci-dessus cité, l’on dénombrait plus de 803 000 hectares de terres aux mains des investisseurs étrangers à Madagascar, 600 000 en Ethiopie, 450 000 au Ghana 160 000 au Mali. Plus de 120 organisations dominées notamment par les multinationales se sont lancées à l’assaut des terres africaines. Des banques se sont même spécialisées dans l’acquisition des terres arables à travers le monde. Le leadership dans ce domaine est assuré par la banque américaine, la « Goldman Sachs ».

Les différents fonds américains qui disposent, dans leur besace, de la rondelette somme de 15 milliards de dollars américains pour l’acquisition des terres à travers le monde pourraient bien-être les prochains maitres des terres agricoles africaines. Cette invasion des terres agricoles par les multinationales soulève de nombreux problèmes d’ordre politique, économique et social que nous résumons ci-dessous

La mauvaise gouvernance des terres et leurs libres accès aux multinationales sont de nature à provoquer des distensions entre les dirigeants et les populations comme cela a été le cas à Madagascar. En effet, la firme sud-coréenne Daewoo qui avait reçu des larges superficies de terres agricoles du gouvernement malgache a dû renoncer à les exploiter à cause de la vive opposition des populations. Celles-ci s’étaient par la suite attaquées au gouvernement de leur pays dont elles critiquaient le manque de transparence dans la gouvernance des terres. Le gouvernement avait échappé de très peu, à un renversement.

Nos Etats, déjà affaiblis par la gouvernance démocratique contrôlée de l’extérieur, s’exposeront davantage à d’autres formes de déstabilisation venant de l’extérieur si l’infrastructure agricole tombe dans les mains extérieures parce qu’il n’y a pas de plus dangereux pour la cohésion politique qu’une aristocratie foncière non contrôlée.

C’est pourquoi, tout en se ruant vers les terres agricoles africaines, les puissances occidentales essaient, par des législations bien orientées, de protéger leurs terres contre l’invasion des capitaux étrangers. A ce propos, la France a pris une loi, le 13 octobre 2014, pour encadrer la gestion et la disposition des terres agricoles. Aussitôt votée, cette loi a connu une modification rapide votée par l’Assemblée nationale le 11 févier 2016. L’objet de la révision de cette loi, deux ans seulement après son adoption, est de protéger les terres françaises contre leur accaparement par des capitaux étrangers, notamment les capitaux chinois qui s’y font de plus en plus menaçants.

A cette allure, il ne sera pas surprenant qu’avant la fin du siècle en cours, l’Afrique ne se retrouve dans une autre lutte d’indépendance parce que le processus de prise de contrôle des terres africaines n’est pas un processus né de façon spontanée. Il correspond à une logique politicienne qui se cache derrière des enjeux économiques. Il faut remonter à la fin des années 90 pour connaître le point de départ de cette course folle vers les terres agricoles africaines.

Il faut savoir que les prochaines décennies jusqu’en 2040 sont décisives en matière foncière. Les Puissances financières veulent les terres africaines afin de s’assurer depuis la base, de la fourniture ininterrompue des matières premières agricoles. Le gouvernement ivoirien qui cherche l’argent partout, n’a pas d’autres choix que de se soumettre à ceux qui l’ont établi à la tête du pays. Mais en même temps, le gouvernement ivoirien est conscient qu’il prend un risque énorme en s’attaquant de front à la question foncière. Ces tentatives de 2012 ont échoué.C’est pourquoi, il adopte une approche emprunte de finesse pour détourner l’attention des populations sur les vraies intentions de son projet de changement de Constitution. C’est pourtant l’un des aspects dangereux de la nouvelle Constitution.

Les personnes avisées ne peuvent manquer de s’interroger sur la pertinence de prévoir une disposition constitutionnelle sur cette question alors que la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 la règle bien. Ouattara veut faire croire que cette question est si importante qu’il faut la traiter dans la loi fondamentale. Un tel argument peut convaincre facilement les esprits crédules. Pourtant, c’est justement pour combattre la loi de 1998 que le Chef de l’Etat confie le sort du foncier rural à la Constitution. Le piège se trouve dans le fait que la Constitution range l’Etat parmi les personnes éligibles à la propriété foncière rurale (art.12). L’on pourrait dire pourquoi pas ?

Mais, il est curieux que le gouvernement ivoirien qui a vendu tous les biens et tous les droits économiques urbains de l’Etat, au nom du libéralisme économique, veuille maintenant constituer un domaine rural pour le même Etat. A quoi pourrait bien servir ce domaine rural, si n’est que pour le céder d’une façon ou d’une autre à des puissances d’argent. Le fait que les personnes morales soient exclues de la propriété foncière dans le milieu rural n’empêche pas qu’elles puissent contrôler toutes nos terres. Il suffit de passer avec l’Etat des baux emphytéotiques de très longue durée, renouvelables fusils à la tempe, pour que les puissances étrangères deviennent maitresses de nos terres. La Constitution donne déjà à l’Etat le pouvoir d’exproprier les tiers pour cause d’utilité publique. Donc, à tout moment, dès que l’utilité publique se fait sentir, l’Etat peut exercer cet impérium que lui donne la Constitution. La nécessité de faire de l’Etat un potentiel propriétaire d’un domaine rural me parait donc suspecte, surtout de la part d’un régime qui a cédé tous les biens et les droits de l’Etat dans le domaine urbain. Qui peut croire que le gouvernement ivoirien a cédé à des particuliers tous les biens de l’Etat pour s’installer en brousse ?

Dans la réalité, Ouattara veut réinstaurer la théorie coloniale toxique « de terres vacantes sans maitre» en s’appuyant sur la notion de « non mise en valeur ». C’est une forme déguisée d’expropriation des populations des terres avec l’appui de la chefferie traditionnelle dont il entend tromper la vigilance en l’érigeant en institution de l’Etat. Une fois ce vaste domaine rural de l’Etat constitué, Ouattara pourra l’allouer sous forme de concession à long terme à ses amis et partenaires : les multinationales.

Le drame de notre Continent est notre incapacité à tirer les leçons de notre propre histoire afin de bâtir notre avenir. Ne pas comprendre que la conquête des terres par les multinationales est une recolonisation de l’Afrique, c’est ignorer les fondements de la colonisation des siècles précédents. Celui qui contrôle l’infrastructure économique de base en contrôle également la superstructure (l’Etat). Que vont faire les multinationales agricoles dans nos brousses que les milliers de jeunes africains ne peuvent pas y faire. La modernisation des moyens de production agricole est à la portée de chaque africain pourvu que nos Etats décident d’en faire une priorité. Quand l’on n’a plus de des 2/3 de sa population qui a moins de 30 ans, l’on ne brade pas ses terres.

Sinon, alors, l’on pousse cette population active dans les aventures périlleuses qui se terminent très souvent dans le fond de la mer méditerranée ou de l’océan atlantique. Au sommet de la Valette sur la migration tenu les 11 et 12 novembre 2015, l’Union Européenne avait annoncé le lancement officiel du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique mis en place pour lutter contre les causes profondes de la migration irrégulière. Des pays comme la Côte d’Ivoire sont déjà passés à la caisse tout juste après que les premiers vols de rapatriement des migrants ivoiriens ont eu lieu. Les sommes mobilisées par l’Europe dans le cadre de ce Fonds d’urgence pourraient bien servir à intéresser les jeunes candidats à la migration dangereuse à une l’agriculture modernisée.

Au lieu de les aider à devenir des agriculteurs modernes, le gouvernement ivoirien veut transformer les jeunes en ouvriers agricoles sur leurs propres terres. C’est ainsi qu’il entend juguler le chômage. C’est pourquoi, les propos du genre « la nouvelle Constitution va donner du travail aux jeunes » traduisent en réalité les intentions profondes du gouvernement. Or cette expérience s’est avérée désastreuse partout où elle a été implémentée. Ils sont nombreux les jeunes indonésiens, malaisiens, etc. qui préfèrent les humiliations sur les chantiers des pays du Qatar, que l’enfer des plantations de palmier à huile.

Par ailleurs, après les avoir transformées en bêtes de somme dans les plantations et autres champs des multinationales, nos populations vont être contraintes d’abandonner leurs habitudes alimentaires. Dans quelques années, l’igname, le taro, le manioc, le plantain, le mil, pourraient bien disparaître. En effet, les multinationales qui se ruent sur nos terres ne viennent pas pour cultiver ce que nous mangeons. Elles viennent pour cultiver ce qui est utile à l’économie de leur monde. Il suffit de regarder ce que font celles qui sont déjà en activité dans nos forêts. C’est notre identité culturelle qui est visée. Or quand un peuple est atteint dans son identité culturelle, c’est son existence, en tant que groupe social, qui court à sa perte. Dans ces conditions, il ne reste pas d’autres solutions que de se battre. Ce projet constitutionnel est une dangereuse entreprise qui compromet la survie de la nation. C’est pourquoi, aucune loyauté de quelque nature que ce soit, aucune appartenance politique, aucune considération religieuse ou tribale, ne peuvent justifier que l’on se mette à l’écart de ce combat. Je reste convaincu qu’on peut assurer le développement de notre pays, autrement que par cette voie.

Le ministre KONE Katinan Justin

Vice-Président du FPI en charge de l’Economie et de la Finance internationale.

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