Xi Jinping et Volodymyr Zelensky se sont entretenus par téléphone, mercredi 26 avril, pour la première fois depuis le début de l’invasion de la Russie. Le président ukrainien avait demandé à plusieurs reprises de rencontrer le chef d’État chinois, notamment après sa visite à Moscou en mars. Depuis février, Xi Jinping promeut un plan de paix en 12 points pour l’Ukraine, accueilli avec scepticisme par l’Occident, mais avec prudence par Kiev, qui y voit un signe de l’intérêt de la Chine pour une cessation du conflit. Entretien avec Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de la Chine.
Antoine Bondaz : Il faut avant tout relativiser ce qui a été annoncé. La visite en Europe et en Ukraine de l’envoyé spécial pour les Affaires eurasiennes, Li Hui, ne signifie pas que la Chine va envoyer un représentant pour la guerre en Ukraine, ou que cela est sans précédent. Il faut se rappeler du déplacement de Wang Yi, le diplomate en chef, au mois de février et au début du mois de mars en Europe. Li Hui a également un profil très particulier. Il est envoyé spécial pour les Affaires eurasiennes depuis 2019, après avoir passé dix ans comme ambassadeur en Russie.
La Chine, comme depuis le début de la guerre, a une stratégie qui est pragmatique et opportuniste. Elle a très certainement considéré qu’il y avait davantage de pression du côté des Européens et que la coopération transatlantique était en train de se renforcer. En ayant accepté, après 14 mois de guerre, d’appeler Volodymyr Zelensky, Xi Jinping envoie un message pour semer le doute chez les Européens lorsqu’il s’agit de savoir si la Chine est perdue ou pas.
L’entretien était attendu depuis longtemps par Zelensky. Xi l’a finalement appelé. Est-ce qu’il y a une volonté là de créer une brèche dans les relations sino-russes ?
Côté ukrainien, l’objectif a toujours été d’avoir des échanges au plus haut niveau avec la Chine, et jusqu’à présent, Xi Jinping refusait les mains tendues par son homologue ukrainien. Il faut d’ailleurs comparer la quasi-dizaine d’échanges entre Xi Jinping et Vladimir Poutine, que ce soit des rencontres, des appels ou des échanges de lettres depuis le début de la guerre, et cette toute première conversation téléphonique entre les deux dirigeants.
L’objectif de Kiev est peut-être d’essayer de distancier la Chine de la Russie, mais cela semble extrêmement compliqué. Il est possible également de mettre Pékin face à ses contradictions, notamment lorsque la Chine appelle à respecter la souveraineté, l’intégrité territoriale de tous les pays, mais, dans les faits, refuse de critiquer l’agression de la Russie.
Comment analyser toutes les déclarations chinoises telles que « nous avons toujours été du côté de la paix, nous ne resterons pas les bras croisés, nous ne mettrons pas de l’huile sur le feu » ?
La position chinoise, il faut la lire en creux : c’est avant tout une critique des États-Unis et des pays occidentaux. Ce sont les États-Unis et les pays européens qui sont présentés comme mettant de l’huile sur le feu en livrant des armes. Ce sont les États-Unis qui sont présentés comme facteurs d’instabilité, car ils refuseraient des pourparlers de paix. Nous avons donc une Chine qui cherche à se présenter comme une puissance responsable dans le discours, notamment auprès des pays non-occidentaux. Très clairement, elle va utiliser cet appel pour essayer de renforcer ces arguments.
Mais dans les faits, la position chinoise n’est pas très ambiguë. Il y a un soutien explicite de la Russie, qu’il soit diplomatique, politique et économique, même si, il faut le souligner, car c’est très important, il n’y a pas de soutien militaire de la Chine envers la Russie.
Que faut-il penser du fait que l’Ukraine compte envoyer un ambassadeur en Chine ?
C’est évidemment une bonne chose que l’Ukraine envoie un ambassadeur en Chine pour une raison simple : la Chine est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, et il est fondamental que l’Ukraine et la Chine puissent échanger. Mais ce qui sera très important pour l’Ukraine, c’est de voir le comportement de la Chine. L’Ukraine est dans une stratégie qui vise à mettre la Chine face à ses responsabilités, mais encore une fois, il faut souhaiter que la Chine fasse évoluer sa position, ce qui est loin d’être le cas pour le moment.