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Le juge Ramaël fait des révélations sur l’audition de Simone Gbagbo

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Disparition de Kieffer: Le juge Ramaël fait des révélations sur l’audition de Simone Gbagbo

Pour la première fois, l’ancien juge d’instruction sort un livre sur des affaires qu’il a traitées. Son ouvrage Hors Procédure, sort aujourd’hui aux éditions Calmann-Lévy.

Le magistrat français a plusieurs fois enquêté en Afrique, et notamment en Côte d’Ivoire. En 2003, d’abord, pour le meurtre de notre confrère de Rfi Jean Hélène, abattu le 21 octobre 2003 par un sergent ivoirien, arrêté et condamné. Et à partir de 2004, après la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer. Patrick Ramaël était, mercredi 28 janvier 2015, l’invité d’Afrique matin. Il a répondu à Sébastien Nemeth.

Rfi : Le meurtre de Jean Hélène survient sur le parking de la Direction générale de la police. Vous vous êtes « démené » pour organiser cette reconstitution. Racontez-nous un peu cet épisode.

Patrick Ramaël : L’ambiance était très tendue. Les policiers ivoiriens en treillis n’étaient pas très contents de voir qu’on s’intéressait à leur collègue. Il y avait bousculade et quelques écrasements de pieds, quelques crachats en direction du sol en passant à côté de moi.

Vous évoquez aussi l’affaire Guy-André Kieffer [ancien journaliste franco-canadien disparu en Côte d’Ivoire en 2004. Familier de la filière cacao, il enquêtait sur les turpitudes financières de l’entourage de Laurent Gbagbo, Ndlr]. Vous révélez avoir rencontré le président Laurent Gbagbo. Racontez-nous cette entrevue ?

C’est une entrevue que j’ai voulue, qui était destinée à lui faire savoir que j’étais un juge tenace et que j’irai jusqu’au bout. Donc après les propos liminaires d’accueil, ma seule phrase a été de lui dire – et elle n’était pas préparée, elle est sortie naturellement -, que je n’avais rien contre lui, rien pour lui, qu’il m’était parfaitement indifférent. Ça peut paraître un peu difficile de dire cela à un chef d’Etat, mais je voulais lui signifier que pour moi, c’était un justiciable. J’ai toujours pensé que les enquêtes menées en France, depuis la France et dans les pays étrangers où des Français sont victimes, c’était une forme d’assurance-vie pour nos compatriotes, savoir que l’Etat français ne laissait pas tomber les gens qui étaient disparus.

Et pourtant, régulièrement, on vous faisait comprendre que vous dérangiez ?

Ça, c’est le calendrier diplomatique. Il y a des moments où j’étais le bienvenu, d’autres où je l’étais moins. Le calendrier de la justice n’est pas le même que celui des diplomates.

Vous êtes parvenu à auditionner Simone Gbagbo, l’épouse de l‘ancien président ivoirien Laurent Gbagbo. Pour y parvenir, vous dites avoir utilisé « une stratégie frontale »…

La stratégie, c’était de faire savoir à Laurent Gbagbo que j’irai jusqu’au bout et de demander systématiquement l’audition de Simone Gbagbo. C’était un grand moment de coopération judiciaire dans lequel j’ai vu arriver un juge qui n’était pas saisi du dossier et qui a passé son temps à s’excuser de devoir entendre la première dame. Et puis, il y avait ce buffet surréaliste qui était préparé, où un cocktail dans la salle d’audience attendait madame Gbagbo. C’était un peu curieux, ce n’est pas ma conception de la justice surtout que, alors que d’habitude les juges sont au même niveau, on nous avait rabaissés au sens propre sur le côté d’un trône un peu surréaliste dans une salle d’audience qui était destinée à la première dame. J’ai trouvé une grande déférence, peut-être un peu trop de la part des collègues. La justice, pour moi, est quelque chose d’indépendant. C’est vraiment le pouvoir séparé autonome et quand elle se soumet comme ça au pouvoir en place par des signes d’allégeance, ça me met un peu mal à l’aise.

Au final, est-ce que ça n’a pas été, pour vous, une audition pour rien ?

Le procès-verbal a été réécrit. Je raconte dans le livre que j’ai essayé de récupérer la version originale dans la poubelle, mais que le juge ivoirien avait pris soin d’emporter la poubelle.

En mai 2011, vous revenez à Abidjan. La donne a changé. Le régime Gbagbo a chuté. Vous parvenez à perquisitionner le bureau de Laurent Gbagbo. Qu’est-ce que vous découvrez sur place ?

Effectivement, on s’aperçoit qu’il y avait une grande paranoïa, une grande angoisse du coup d’Etat, une crainte et que beaucoup de gens se servaient de cette peur pour demander des subsides, pour payer des informateurs, payer des voyages pour aller recueillir des renseignements.

Il y avait des retranscriptions d’écoutes, c’est ça ?

Il y avait des retranscriptions d’écoutes, oui.

Et vous avez découvert le fameux tunnel qui reliait à l’ambassade de France ?

J’ai voulu voir ce tunnel. Il était en parfait état, ce qui m’avait surpris. Et symboliquement, c’est très fort de penser que ça permettait des rencontres discrètes et peut-être une fuite un jour… Très curieux.

Le 5 janvier 2012, vous allez dans le Nord, à Korhogo interroger des prisonniers. Le site est sous le contrôle des Forces nouvelles pro-Ouattara et surtout un commandant que vous décrivez comme « le plus grand tueur en série de votre carrière ».

C’est assez choquant de voir un homme – Fofié Kouakou Martin, c’est son nom -, qui est cité et je le dis dans mon livre, à l’ordre du crime international. Il y a une citation extraite d’un rapport des Nations unies qui indique que cet homme est un criminel. Et quand j’y allais, il était toujours le seigneur et maître de cette ville, de cette région, et j’avoue que je comprends mal que, non seulement il soit encore là, mais surtout qu’il ait pu m’empêcher d’entendre des témoins.

Vous vous retrouvez aussi à un moment de votre enquête face à toutes ces archives de Laurent Gbagbo. Comment vous avez fait pour les traiter ces archives ?

C’était considérable. J’ai demandé et j’ai embauché une dizaine d’archivistes pour faire un tri et trouver les documents pertinents que je recherchais.

Est-ce que vous pensez que dans ces archives, il y a aussi beaucoup d’affaires qui pourraient ressortir ?

Je pense qu’il y a d’autres affaires et que ça aurait probablement pu être exploité par la justice ivoirienne et peut-être même la justice internationale, et sûrement la justice internationale.

Dans ces archives, il y a peut-être des Français qui pourraient être mis en cause ?

J’ai vu des noms de Français dans ces archives, oui.

Dans l’affaire Guy-André Kieffer, dix ans après sa disparition, personne n’a été condamné. On ne sait pas ce qu’est devenu le journaliste. Est-ce que vous avez un sentiment d’échec aujourd’hui ?

Oui. J’ai un sentiment d’échec, d’autant que j’ai toujours pensé que cette affaire sortirait. J’ai toujours dit aux parties civiles qui sont des gens extraordinaires, qu’il y a des gens qui savent ce qui s’est passé, qui y étaient ou dont des proches y étaient, qui savent où le corps a été inhumé et qui pourraient renseigner la famille pour leur permettre de récupérer les restes mortels.

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