03312023Headline:

Les distributions troubles d’Auchan en Russie

La société française, qui a fait le choix de poursuivre ses activités sur le territoire russe malgré l’offensive en Ukraine, aurait livré gratuitement des marchandises à l’armée de Vladimir Poutine, selon des documents obtenus par l’ONG Bellingcat, le site d’investigation « The Insider » et « Le Monde ». La direction du groupe dément.

En Russie, la chaîne de supermarchés Auchan ne nourrit pas seulement les populations civiles, malgré ce que ­le groupe français affirme publiquement. « Abandonner nos employés, leurs familles et nos clients n’est pas le choix que nous avons fait », avait déclaré l’enseigne, le 27 mars 2022, pour justifier le maintien de son activité en Russie depuis ­l’invasion de l’Ukraine, en février, à rebours de la grande majorité des entreprises occidentales.

Dans le même communiqué, publié quelques jours après un discours du président ­ukrainien, Volodymyr Zelensky, où il demande aux entreprises tricolores de se retirer du marché russe, Auchan affirme répondre à des « besoins alimentaires essentiels ». Selon des documents obtenus par l’ONG Bellingcat, le média indépendant russe The Insider et Le Monde, la société de grande distribution, propriété de la famille Mulliez, huitième fortune française selon Challenges, semble participer à l’effort de guerre russe.

Le 15 mars 2022, un e-mail est envoyé par Natalya Z., contrôleuse de gestion pour Auchan, à une vingtaine d’employés dans plusieurs magasins à Saint-Pétersbourg, dans l’ouest de la Russie, dans le but de « collecter les dons de l’aide humanitaire », écrit l’employée. Une liste est fournie, sous forme de tableau Excel : des milliers de cigarettes, des chaussettes en laine taille 43 ou 44, des cartouches de réchauds à gaz, du ragoût de porc en conserve, des haches et des clous, le tout provenant du stock de l’enseigne. Le chargement, d’une valeur de 2 millions de roubles (environ 25 000 euros), doit être récupéré dans cinq points de vente et acheminé jusqu’à un sixième magasin, près du centre historique de la ville. « Tout a été donné gratuitement par Auchan », affirme un employé impliqué dans l’opération, qui ­préfère garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.

Une semaine plus tard, deux camions viennent chercher ces cartons estampillés « aide humanitaire ». Alekseï R., un ex-employé de l’enseigne devenu lanceur d’alerte, aujourd’hui en exil, assiste à toute la scène. Il demande quelle est la destination de la cargaison à Natalya Z., l’une de ses responsables. Elle s’étonne de sa question, relate aujourd’hui le trentenaire barbu, en visio, habillé d’une veste polaire avec le logo de la marque et d’un bonnet. Il insiste. « Elle m’a répondu que ces cartons étaient ­destinés à l’“opération spéciale” », précise-t-il. Comprendre pour les forces armées russes engagées sur le front, comme le confirment deux entreprises locales impliquées dans la logistique.

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