Le 10 avril 1998, le jour du Vendredi saint précédant Pâques chez les chrétiens, les républicains favorables à une réunification avec l’Irlande et les unionistes attachés au maintien au sein du Royaume-Uni décrochaient un accord de paix inespéré après d’intenses négociations impliquant Londres, Dublin et Washington. L’accord mettait ainsi fin à trois décennies de violences qui ont fait plus 3 600 morts, entre unionistes, surtout protestants, et républicains en majorité catholiques, avec l’implication de l’armée britannique.
Dans les années qui ont suivi l’accord de paix, les groupes paramilitaires ont été désarmés, la frontière militaire démantelée et les troupes britanniques sont parties. Mais un quart de siècle plus tard, l’heure n’est pas à la fête, entre blocage politique et inquiétudes sécuritaires.
Blocage politique
Pour Fabrice Mourlon, spécialiste de l’Irlande du Nord, professeur à l’université Sorbonne-Nouvelle à Paris, au micro de Romain Lemaresquier, du service international de RFI, bien que cet accord soit historique, on ne peut pas parler de bilan positif. « Il y a eu toute une période des années 2000 jusqu’à 2016 on va dire, quand il y a eu la mise en place des nouvelles institutions qui étaient dans l’accord du Vendredi saint, où il y a eu pas mal de financements de l’Union européenne, il y avait tout un secteur associatif qui était assez flamboyant, etc., les choses commençaient à se mettre en place petit à petit, énumère-t-il. On parlait à l’époque d’une “paix négative”, c’est-à-dire quand il n’y a plus de violence souverainement. Donc, les institutions étaient en train de se réformer, notamment la police et la justice. Il y avait encore des problèmes liés notamment à la langue irlandaise. Et là-dessus, s’est greffé le Brexit qui a évidemment accéléré les tensions. En fait, depuis 2016, les institutions fonctionnent très mal et en particulier depuis les dernières élections où le DUP [Parti unioniste démocratique] refuse de former un gouvernement avec le Sinn Fein. »
Les institutions sont paralysées depuis plus d’un an en raison de désaccords liés aux conséquences de la sortie de l’Union européenne. Le parti unioniste, viscéralement attaché à l’appartenance de la province au Royaume-Uni, refuse de participer au gouvernement tant que les dispositions post-Brexit (contrôles douaniers, application de certaines règles européennes…) visant à éviter le retour d’une frontière physique avec l’Irlande n’auront pas été abandonnées. Une renégociation du protocole entre l’UE et le Royaume-Uni a été rejetée par le DUP ces dernières semaines.
La violence ravivée par le Brexit
Si politiquement la situation ne semble pas avancer, sur le plan économique l’Irlande du Nord a su se relever, explique Fabrice Mourlon. « Avant l’accord du Vendredi saint, l’économie nord-irlandaise était vraiment vacillante et surtout le pays n’était pas du tout développé économiquement. Depuis les accords, l’Irlande du Nord a complètement changé. Si vous allez à Belfast aujourd’hui, vous avez l’impression que c’est une ville britannique comme toutes les autres. Au niveau économique, ça s’est quand même développé. Les gens vivent une vie à peu près normale. »
Mais la violence est toujours présente. « En ce moment, il y a des dissensions au sein des groupes paramilitaires. Tous avaient déposé les armes : l’IRA a déposé ses armes en 2005 et les paramilitaires loyalistes, aux environs de 2010, ont à peu près fait la même chose. Mais les gens existent toujours et le Brexit a ravivé un peu ces tensions. »
Dans ce contexte, l’Irlande du Nord a relevé son niveau de la menace terroriste après la tentative d’assassinat d’un policier en février revendiquée par des membres d’un groupe républicain dissident.