04182024Headline:

Phénomène des microbes à Abidjan: qui sont-ils ? Et d’où viennent-ils ? Est-on en droit d’interroger

gang microbe

 Déconfiture sociale d’une nouvelle génération de gangs. Mode opératoire et mesures répressives

Qui sont-ils ? Et d’où viennent-ils ? Est-on en droit d’interroger. Plus jeunes et plus violents, leurs membres sont à l’origine d’agressions barbares récurrentes qui ont fait plusieurs morts et blessés dans la capitale économique abidjanaise depuis la fin de la crise post-electorale de 2011 en Côte d’Ivoire. Disputant ainsi les colonnes de l’actualité sociopolitique et économique du pays. On les surnomme métaphoriquement « les microbes ». Regard sur un phénomène social qui sème la psychose au sein de la population ivoirienne.

Armes blanches à la main,  fripouilles  toujours prêtes à répandre le sang humain, ces jeunes meurtriers qui se déguisent souvent en mendiants n’hésitent plus à faire parler d’eux à Abidjan. Le phénomène est en passe de gagner les autres grandes villes de la Côte d’Ivoire. Les ‘’Microbes’’, puisqu’il s’agit d’eux, se sont illustrés de fort mauvaise manière dans certains quartiers et communes d’Abidjan. En tuant à l’arme blanche très souvent en pleine journée leurs victimes. Agés de 9 à 15 ans, ces jeunes meurtriers n’hésitent plus à faire parler d’eux.

De la naissance des gangs de mineurs

Une bande ou gang est un groupe d’individus partageant une culture et des valeurs communes engendrées par leur association et le milieu social et urbain où ils vivent. Un de leurs traits caractéristiques est leur promptitude à employer la violence contre les autres gangs et à l’étendre contre à peu près n’importe qui. Ils s’engagent dans des activités criminelles de nature et d’intensité variables. Selon son étymologie, le mot gang tire son origine de l’allemand Gang, Gehen, qui signifie : marche, marcher. Par extension en français, deux mots anciens évoquent cette marche illégale : il s’agit du mot ‘’marauder’’, vol simple non qualifié, et ‘’vagabonder’’. Aux Etats-Unis, en Europe ou en Amérique latine, il existe des gangs de rue. Ces bandes sont issues à la fois des quartiers défavorisés. Ils commandent le plus souvent un territoire ou un quartier. Les gangs de rue les plus célèbres sont probablement les Bloods [1], le MS-13[2], le 18th Street Gang[3], la AryanBrotherhood [4] et les Crips [5] originaires de South Central à Los Angeles. Les membres de gangs de rue sont des Noirs en grande majorité, suivis par les Latinos et les Slaves. Ils sont issus de quartiers pauvres d’Amérique du Nord et d’Amérique Centrale. Les Bloods et les Crips ont été le sujet de nombreux films hollywoodiens dépeignant la vie de gangster à Los Angeles.  Statistiquement, la violence chez les jeunes remonte à la fin des années 1950. Cependant, elle connaît une forte accélération vers la fin des années 1970, et c’est durant les deux dernières décennies que l’on constate l’augmentation d’une délinquance violente et d’agressions gratuites commises individuellement ou en groupe par des adolescents de plus en plus jeunes et pour des motifs rationnellement inexplicables. En Europe, en Belgique, en France, en Finlande, en Grande-Bretagne ou au Japon, des nouvelles nous apprennent que des jeunes assassinent à coup de couteau, décapitent et poignardent des professeurs ou des passants gratuitement. Une autre forme de violence se fait plus récurrente dans la jeunesse d’aujourd’hui : la formation des bandes et les règlements de comptes pour des contrôles de territoires. Ces groupes sont souvent concentrés à la périphérie des grandes villes. En France, on les appelle les jeunes des banlieues. En Amérique centrale, on retrouve ce phénomène chez les ‘’maras’’[6]. Beaucoup de maras en effet sont essentiellement composés d’adolescents. Leurs activités vont du trafic de drogues,  du racket, des  cambriolages au proxénétisme. L’assassinat d’innocents fait partie intégrante de leur initiation.

Un phénomène appelé « les microbes »

La violence urbaine a atteint des proportions alarmantes ces derniers mois avec le phénomène des « microbes », un gang composé d’enfants âgés de 9 à 15 ans, voire 8 à 18 ans qui commettent des attaques en masse et meurtres dans des quartiers d’Abidjan. Les microbes sont des individus qui se sont constitués par groupe après la crise postélectorale de 2011, à laquelle certains ont pris part en tant que combattants, pour le fameux«Commando invisible ». Selon le chef du Centre de commandement des opérations de sécurité, Ccdo, le commissaire Youssouf Kouyaté, « Ces gamins prennent leur inspiration dans les fumoirs. Ils prennent leur dose de drogue grâce au fruit de leurs agressions ». Pour des observateurs, ce phénomène de gang d’adolescents est inspiré du film brésilien ‘’La cité de Dieu’’ qui s’articule autour des agressions des enfants des « Favelas », les bidonvilles brésiliens. D’autres, parmi la population, les comparent aux enfants soldats du Libéria ou de la Sierra-Leone. Mais c’est dans les récents évènements de la crise post-électorale de 2010 qu’il faudra chercher les origines de cette nouvelle forme d’attaque de bambins qui se font honteusement appelés ‘’Microbes’’ ou ‘’ Vohon-Vohon’’. Des terminologies évocatrices de la nocivité même de leurs actions. De fait, ni le microbe, vecteur de maladies ou d’infections, encore moins le ‘’Vohon-vohon’’, Insecte volant et dont la présence dérange, ne désignent des réalités positives. Ces enfants sont assimilés aux microbes pour respecter la forme de ces êtres et les effets dévastateurs de leurs actions. La preuve en est qu’en l’espace d’un an, ces « microbes » sont devenus en un véritable problème de société, pire un fléau urbain avec des victimes qui se compte chaque jour par dizaines. La violence de leur mode opératoire reste le même et laisse encore effrayés tous ceux qui ont eu le malheur de les croiser. 

Mode opératoire et mesures répressives

Le mouvement des microbes qui a vu le jour dans la commune d’Abobo, nord  d’Abidjan, au lendemain de la crise postélectorale a gagné ces derniers temps les communes environnantes. Les jeunes « microbes » ont infesté les quartiers d’Adjamé et d’Attécoubé.Pas moins de neuf (9) gangs de « microbes » sont identifiés dont les tristement célèbres gangs de Marley, Boribana et Warriors. Adjamé, Attécoubé, récemment Yopougon sont les lieux de prédilection de ces mineurs tueurs. Si pour l’instant, leurs actes semblent se limiter à des quartiers plus ou moins défavorisés, il est à craindre que le fléau gagne également les quartiers dits huppés d’Abidjan. Des rumeurs font état de ce que ces individus mal intentionnés se sont signalés ces derniers mois à la Riviéra-M’badon dans la périphérie de Cocody. Si l’on n’y prend garde, c’est tout le territoire national qui risque d’en être contaminé. Puisque des témoignages recoupés affirment que les jeunes délinquants qui composent le gang des « microbes » bénéficient de soutiens parmi « des brebis galeuses » au sein des Forces Républicaines de Côte d’ivoire, FRCI.  Leur mode opératoire basé sur la rapidité et la brutalité de leurs crimes consiste à se faire passer pour des mendiants avant d’attaquer de façon horrible à la machette. Ils encerclent leurs victimes en groupe souvent par des stratagèmes propres aux mendiants, font semblant de quémander une piécette ou de quoi manger puis au moment où on s’y attend le moins on se retrouve nez à nez avec une horde de bambins armés de machettes ou de gourdins.Une autre façon pour eux d’opérer est d’occuper les rues en simulant des bagarres entre eux avant d’agresser passants et commerçants. Ils n’hésitent pas à taillader ou blesser les victimes récalcitrantes. Des personnes ont ainsi été agressées le 16 Août 2014 à Yopougon alors qu’elles passaient du bon temps dans un maquis. Le bilan affiche un mort et plusieurs blessés. Aussi bien les tenanciers que les clients ont subi la furia des microbes qui ont pris le soin auparavant de les déposséder de leurs argent et biens matériels. Le phénomène fait peur et il gagne en intensité malgré la mise sur pied d’une unité baptisée brigade spéciale anti-microbes. Et comme mesure répressive, le chef du District de police de la commune d’Abobo, où ces gangs ont vu naissance après la crise postélectorale, avait décidé de faire de leur éradication son cheval de bataille. Ainsi, après plusieurs actions menées, l’on avait annoncé l’arrestation de 122 « microbes» dont deux cerveaux surnommés ‘’Tonneau’’ et ‘Ecomog’’ et qu’ils avaient même été mis aux arrêts et déférés à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan, Maca, pour 20 ans. Selon lui, le phénomène est combattu avec acharnement, et les forces de sécurité multiplient les patrouilles pédestres et motorisées.Le Centre de coordination des décisions  opérationnelles, CCDO, s’était livré à des traques de ces jeunes, mais l’opération n’a pas permis de définitivement les mettre hors d’Etat de nuire.

Montée de la violence chez les jeunes, une société en crise ?

Six morts et 252 blessés en 2011. C’est le bilan de l’activisme croissant de gangs de jeunes violents qui, n’hésitaient plus à attaquer frontalement les forces de l’ordre en France. Un rapport publié dans le journal français ‘’Le Figaro’’ mentionne que pas moins de 313 bandes ont écumé le pays. «La part des mineurs impliqués est en forte hausse», relève le rapport. Ils représentaient 56% des 992 aficionados de gangs interpellés, contre seulement 40% en 2010. Depuis quelques années, les experts ont prévenu que les constitutions de bandes juvéniles, moins de 13 ans, ont été détectées dans plusieurs cités d’Ile-de-France. Imitant le comportement des “grands” qui leur servent de référence en l’absence d’autorité parentale, ces jeunes s’approprient leurs “valeurs”. En Côte d’Ivoire, plusieurs ‘’microbes ‘’ sont tombés sous les balles de la police. Les plus ‘’chanceux’’ au nombre de 122 ont été conduits au cachot. Pourtant le serpent n’est pas mort. Les ‘’meneurs’’,  parrains, des microbes sont eux-mêmes descendus dans l’arène de la criminalité et de la délinquance au grand dam des unités de sécurité. Leurs victimes se comptent par dizaine dans les quartiers où ils sévissent. Nonobstant la situation sécuritaire délétère en Côte d’Ivoire, il faut rechercher à cette montée de la violence des facteurs sociaux et humains.

Causes plausibles du phénomène

D’après une étude[7] de l’organisation des Nations unies pour l’Education, la Science et la Culture, UNESCO, les faits montrent qu’année après année, les jeunes deviennent progressivement les principales victimes de la violence. De ce fait, leur image est de plus en plus associée à la délinquance et à la criminalité. Comme exemple frappant, on peut citer les jeunes d’Amérique centrale âgés de 15 à 24 ans, qui sont, victimes ou auteurs, particulièrement exposés à la violence. C’est dans ce contexte que des bandes de jeunes telles que les « maras » se sont développées dans toute l’Amérique centrale, intensifiant la violence entre elles et touchant la population locale. Cette situation incite les gouvernements à prendre des mesures pour réprimer et punir les membres de bandes. Or, l’Unesco pense qu’avant de devenir agresseurs, cependant, la plupart de ces jeunes sont eux-mêmes victimes de la violence et de l’exclusion sociale. De plus, l’institution est ferme sur le fait que certains facteurs culturels peuvent contribuer à l’émergence et à l’expression de la violence. Il s’agit de la perte d’identité ou l’aliénation culturelle, l’absence de respect et de reconnaissance de la spécificité culturelle et notamment religieuse des personnes ou des communautés, la marginalisation culturelle, etc. Cette violence a souvent des causes multiples, inégalités économiques, exclusion sociale, discrimination raciale, etc., qui sont aussi à considérer. En outre, l’identité culturelle joue un rôle dans les situations de violence chez les jeunes, notamment ceux appartenant à des groupes minoritaires, elle est souvent instrumentalisée pour justifier les préjugés ou pour servir d’alibi à des revendications d’ordre socioéconomique ou politique par des groupes étant ou se sentant exploités, appauvris, discriminés ou opprimés. « La violence n’est que l’un des symptômes d’une société mondiale en crise, autrement dit le problème n’est pas celui des jeunes mais des sociétés dans lesquelles ils vivent. Par ces actes, ne revendiquent-ils pas leur droit et leur place au sein d’une société négligeant souvent leurs rôles ?»  s’interroge l’Unesco. Quant de son côté, Pr Christophe Yahot, de l’université Alassane Ouattara de Bouaké dans une contribution parue le 6 Avril 2014 dans le quotidien Fraternité Matin, questionnait : « Les microbes, n’est-ce pas le symptôme d’une terrible maladie dont souffre notre société ? Les microbes sont-ils des démons brusquement sortis de nulle part ou sont-ils les victimes d’une société impuissante ou indifférente face à leurs problèmes existentiels ? » questionne t-il, vues les terribles difficultés à tous les niveaux, crise politique, pauvretés des ménages, chômage des jeunes, crise des valeurs morales, etc , auxquelles fait face la jeunesse ivoirienne. La Ministre de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, Anne Désirée Ouloto, elle, voit plutôt dans l’émergence de cette nouvelle génération de gangs, tout simplement une démission, une faillite de la société et de la cellule familiale. La convention des organisations de la société civile de Côte d’ivoire regroupant 133 organisations de différents domaines, a dans son rapport sur l’Etat des lieux des droits de l’homme dans le pays, 9 décembre 2013, attiré l’attention sur le phénomène de «  ces groupes d’enfants connus aujourd’hui sous le nom de « virus » et de « microbes » qui sévissent à Abidjan ». Dans l’observatoire du mois d’Août 2014, l’Organisation panafricaine ‘’Jeunesses sans frontière ‘’ a tiré la sonnette d’alarme sur cette nouvelle forme d’insécurité urbaine qui trouble la quiétude et la sécurité des Ivoiriens dans leur majorité. Non sans dénoncer qu’elle « connait une certaine croissance, synonyme de l’impuissance de nos autorités ».

 Regard du Religieux

Pour connaître les véritables relents de ce phénomène social, il faut se référer à cet aveu cinglant fait par l’Imam de la mosquée Ifpg au Plateau, guide religieux, collaborateur de l’Opération des nations unies en Côte d’Ivoire, Onuci, et président de l’Ong “Nouvelle Vision contre la pauvreté’’, Diaby Almamy. Il révélait le Mercredi 20 Août 2014 à propos des “Microbes” : « …C’est une affaire qui concerne trois types d’enfants. Il y a celui des ex-combattants, celui des enfants qui ont servi d’indicateurs pendant la crise et ceux qui ont intégré ces groupes juste par suivisme. Mais, le fond du problème est purement politique. Le politique a utilisé ces enfants pendant les heures chaudes où il fallait trouver le moyen de faire partir le président Laurent Gbagbo. Et, une partie de ces enfants brûlaient les pneus, participaient aux opérations ville morte. Ils paralysaient tout le système dans les communes d’Adjamé, d’Abobo et d’Attécoubé. Aujourd’hui, ils ont vu que la situation s’est normalisée. Et, ceux qui les mettaient dans la rue sont aujourd’hui à l’aise pendant qu’eux souffrent. C’est l’une des parties du problème. Il y a aussi le cas des ex-combattants. Des enfants se sont battus avec eux pendant la crise. Ils avaient entre 18 et 25 ans. Et maintenant qu’on doit s’occuper d’eux, on leur dit qu’ils ne savent ni lire, ni écrire. Ils ont donc décidé de constituer un bloc à Attécoubé. Des gens bien connus aujourd’hui, qui ont participé à la rébellion, aujourd’hui des hauts gradés, manipulent ces enfants. Quand ces enfants prennent des portables, des bijoux de valeur, ils viennent les remettre à ces soi-disant chefs. La plupart de ces enfants sont des ressortissants des pays voisins. ..Tous ceux-là sont soutenus par des chefs de guerre. Il ne faut surtout pas oublier ce côté Concernant les gamins qui ont tué le Dr. Kouyaté Ibrahim, l’imam révèle qu’«ils ont des ex-combattants derrière eux, à qui, ils reversent leur butin. Une sorte de commandement. A Attécoubé, ce sont les éléments de la Marine. Il y avait deux groupes. Un qui acceptait de travailler pour eux quand un autre groupe refusait. Ce qui faisait que lorsque les deux groupes s’affrontaient, au lieu de les séparer, ils choisissaient de tirer sur ceux qui ne travaillent pas pour eux. Attécoubé était devenue infréquentable. Je suis allé voir le commissaire pour lui demander les raisons de cette situation. Elle m’a fait savoir que quand on arrête ces enfants, des hommes en armes, en treillis, viennent les libérer sous prétexte que ces enfants ont combattu avec eux. Je suis allé à la Marine pour discuter avec le commandant. Il m’a dit que ce ne sont pas eux les responsables. Mais, après nos investigations, nous avons compris que ce sont ses éléments qui le faisaient. Pour aller plus loin, je vous informe que le chef des microbes de Boribana dormait à la Marine». C’est pourquoi Le Conseil Supérieur des Imams de Côte d’Ivoire, COSIM, a publiquement invité ses fidèles à « prier pour ces jeunes qui sont des victimes d’une société qui a perdu ses valeurs » et a faire de « … l’éducation familiale un fondement » .Face à la délinquance juvénile et ses dérivés,un prédicateur de la mission du prophète Williams Wade Harris propose aux parents de revoir l’éducation à la base en se fondant sur l’enseignement des Saintes écritures et du Christ, la crainte de Dieu. S’appuyant sur le Psaume 78, verset 1-8, l’homme de Dieu préconise que ceux qui connaissent la Parole de Dieu pensent à la « transmettre » et l’ « enseigner » aux enfants. « Ce n’est pas une option, elle n’est pas facultative, mais c’est une recommandation. Il convient de leur enseigner une discipline biblique pour qu’ils se détournent des mauvaises pratiques, broutage, alcool, drogue, immoralité », dixit le prédicateur. Qui prévient que le cas échéant les enfants deviendront des captifs de la rue, ou de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, MACA.

La Côte d’Ivoire en proie à des mutations politiques doit encore faire face à la montée en puissance des gangs de ‘’Microbes’’

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QUESTIONS ESSENTIELLES A…

Koné Fahiraman Rodrigue, sociologue au Centre de recherches et action pour la paix, CERAP,ex chargé de programmes à l’ONG Freedom House sur la question des Microbes.

KONE RODRIGUE  –  sociologue :

« C’est la conséquence d’une marginalisation socio-économique »

Quelle lecture sociologique faites-vous du phénomène des microbes ?

C’est un phénomène criminel de bande, comme on peut le constater dans nombre d’espaces urbains à travers le monde. D’ailleurs, ces phénomènes de bandes criminelles ne sont pas nouveaux à Abidjan. Mais celui qui vient d’apparaître à la particularité de se nourrir des dynamiques de l’histoire politique récente de la Côte d’Ivoire et à emprunter à un imaginaire psychologique spécifique de construction de soi par la violence. C’est donc quelque chose de très intéressant qui va nous renseigner sur l’état d’évolution éthique, moral et politique de notre société.

Pourquoi la désignation Microbes?

Ôter la vie est l’une des marques distinctives de l’action de ces bandes de jeunes popularisées dans l’opinion publique sous le nom de « microbes ». Une appellation inspirée du nom des gangs d’enfants des favelas dans le film brésilien La Cité de Dieu. Cette métaphore médicale pour faire référence la petitesse de ces êtres vivants, insoupçonnables à l’œil nu mais virulent et nuisibles à la santé du corps social.

Quels sont les mécanismes sociaux à l’œuvre dans la violence juvénile que nous observons actuellement à Abidjan ? De quelles mutations sociales rendent-elles comptent ?

La violence urbaine portée par ces jeunes est un phénomène urbain universel… mais bien enracinée dans un contexte socio-historique particulierDe prime abord, notons que la violence juvénile en bande touche aussi bien les pays pauvres que les pays riches. La France, les USA ou encore le Canada font face à cette violence, souvent connectée aux rivalités économiques des réseaux criminels autour du trafic de drogue dans les quartiers dits défavorises. Les « microbes » en Côte d’Ivoire, nous l’avons déjà mentionné, se sont inspirés de l’histoire réelle des gangs d’enfants des favelas, bien illustré par le film brésilien La cité de Dieu.  Toutefois cette inspiration rendue possible par la démocratisation des supports médiatiques de diffusion de l’image, suffit-elle à conclure que les « microbes » n’ont été pris que par une envie d’imiter ? La violence de groupe en tant que fait social n’est jamais gratuite. Celle-ci à toujours une justification qui s’enracine le contexte socio-historique et le vécu quotidien de ses auteurs.

Quels sont donc ce contexte et ce vécu ?

La société ivoirienne est en proie depuis au moins deux décennies, à de nombreuses et terribles difficultés à tous les niveaux, crise politique, pauvretés des ménages, chômage des jeunes, crise des valeurs morales, etc.. L’incapacité des pouvoirs publics a assurer une fourniture adéquate et continue des services sociaux de base dans nombre de quartiers populaires d’Abidjan, en proie a une démographie et a une demande sociale croissante, a pernicieusement crée une dégradation et une précarisation du cadre de vie ainsi qu’une exclusion progressive des habitants de ces quartiers des retombées du développement national. Dans le même temps, ces populations faisant déjà partie des économiquement faibles ont connu la perte de leurs emplois ou au mieux la baisse drastique de leur revenus, les limitant ainsi dans l’accès aux biens et services élémentaires. Ces mutations socio-économiques qu’il faut situer des le début des années 90 se sont accentuées avec les crises politiques a répétition. Elles ont progressivement structuré dans ces quartiers des stratégies alternatives de survie, très souvent illicites, commerce de drogue et contrebande de tout genre, et remettant en cause les bases éthiques et morales de la cellule familiale comme rempart des normes sociales. C’est dans ce contexte de marginalisation socio-économique et de « ghettoïsation » des quartiers populeux qu’il faut comprendre l’entrée progressive des bandes d’adolescents dans les activités criminelles. Il faut d’abord noter que les bandes de jeunes et d’adolescents existaient bien avant les années 90 dans les sous quartiers d’Abidjan. Mais ces groupes se rivalisaient plutôt autour de compétitions sportives.Des les années 2000, selon le témoignage d’un habitant d’Abobo, un célèbre trafiquant de drogue du nom de Zaadi à Abobo utilisait les adolescents, lâchée de l’emprise familiale et déscolarisés, dans la distribution de la drogue dans les nombreux fumoirs de la commune. Toutefois, la mutation de ces bandes en « microbes », semant la terreur telle qu’on le constate aujourd’hui, s’est faite avec la survenue de la crise postélectorale à Abobo.

Quelles sont les conséquences de cette marginalisation ?

Cette instrumentalisation des adolescents dans les activités de guerre a eu une double conséquence à la fois psychologique et pratique dans leur rapport à la violence. Psychologiquement, les verrous des codes moraux et éthiques d’usage de la violence ont sauté, laissant libre cours à la possibilité illimitée de mobilisation de celle-ci sous toutes ses formes. Les enfants ont vu des adultes censés être leurs modèles, donner la mort souvent de façon atroce à d’autres adultes. Ils ont ensuite vu ces adultes être célébrés et adulés pour leurs actes héroïques. La banalisation de la violence et de la mort a fait reculer d’abord les limites de la peur, ensuite elle a suscité un imaginaire d’héroïsme et enfin elle a désacralisé l’autorité aux yeux de ces enfants précocement propulsés à l’âge adulte. Les cibles des « microbes », adultes, Imams, commissariats, etc., sont assez symboliques de cette désacralisation de l’autorité sous toutes ces formes, familiale, morale ou étatique. D’un point de vue pratique, l’instrumentalisation des adolescents les a familiarisé et aguerri a la manipulation des armes et a développé en eux un sens tactique d’usage de la violence comme on peut le lire dans les techniques de ruse qu’ils utilisent.

Les Microbes sont t-ils finalement des victimes d’un système…

Oui c’est le besoin d’être reconnu par une société sans perspective pour les plus jeunes. La pauvreté, la désertion des pouvoirs publics, la déstructuration familiale, le trafic de drogue et enfin la guerre ont favorisé l’émergence du “pouvoir adolescent” dans ces quartiers. L’expression violente de ce pouvoir est également celle du mal être profond d’une jeunesse urbaine en crise d’identité et de reconnaissance. Si la formation des bandes est avant tout le résultat d’une « socialisation de rue » et d’une exclusion sociale, c’est surtout l’absence de perspectives réelles qui restitue à la violence son sens pour ces jeunes. Ces adolescents sortent de l’anonymat, les medias parlent d’eux. Les adultes, «  les « vieux pères » et les « vielles mères », leur reconnaissent enfin un pouvoir dans une société ou la violence contre les enfants est encodée dans les pratiques dites de « bonne éducation ». Dans ce sens, la violence structure une identité de groupe et donne une existence à ces adolescents. Le besoin de reconnaissance est bien traduit dans l’acte violent qui cherche à marquer à jamais le corps de la victime d’entailles qui en cicatrisant y laisseront des marques bien visibles. 

Quelles solutions durables pour y mettre un terme?

Dans notre perspective sociologique, nous dirons que la répression ne peut pas être une solution durable, encore moins les discours moralisants. Il s’agit de s’attaquer aux maux à la racine du « pouvoir des microbes ». Le phénomène est un produit social de notre histoire socio-politique empruntes de violence. Il exige certes des efforts concertés de tous les acteurs sociaux, les services sociaux, la police, le gouvernement, l’école et la famille, mais en priorité ceux de l’Etat en terme de politiques publiques adéquates. Ces actions publiques doivent urgemment cibler dans ces quartiers, les jeunes à risque et leurs familles, en visant une prise en charge psycho-éducative et sociale. Il faut également infléchir la tendance répressive en mettant en place dans ces quartiers des services de police communautaires orientés davantage vers la prévention du crime. A moyen terme il importe que des mesures gouvernementales offrent aux jeunes des perspectives d’emploi.

 sociologue 150x150 Phénomène des microbes à Abidjan : Déconfiture sociale d’une nouvelle génération de gangs. Mode opératoire et mesures répressivesKoné Rodrigue Fahiraman, Sociologue ivoirien porte une analyse sociale sur le phénomène des microbes

[1] Gang de rue fondé en 1972 à Los Angeles en Californie[2]  Mara Salvatrucha, abrégé en MS-13MS ou Mara, est un gang de plusieurs dizaines de milliers de membres impliqué dans des activités  criminelles aux Etats Unis, au Canada, au Mexique en Amérique centrale aux Philippines ainsi qu’en Europe comme au Portugal ou en Espagne.[3] Le 18th Street gang fut fondé en 1959 à Pico Union, quartier ouest de Los Angeles. Ils sont décrits comme étant le gang le plus violent et le plus agressif de tous les États-Unis.[4]L’Aryan Brotherhood, AB, en français : Fraternité aryenne, est un gang de détenus fondé en Californie en 1967, dans la prison d’état de San Quentin.[5]Les Crips sont l’un des plus violents gangs des États-Unis1. Le nombre de membres est estimé entre 30 000 et 35 000[6]Les maras, ou marabuntas, sont des gangs armés principalement impliqués dans des affaires de transferts de stupéfiants qui s’étendent à toutes les formes d’activités illicites. Ils sont regroupés en structures plus importantes de type mafieux. Le mot mara proviendrait du caliche, un argot salvadorien. En Amérique hispanique comme aux États-Unis, son sens aurait évolué de « groupe d’amis » à « groupe de criminels ». Mara désigne originellement la fourni légionnaire mais s’emploie aussi comme abréviation de marabunta, une migration massive et destructrice de ces fourmis chasseuses.[7] L’UNESCO a également organisé, en septembre 2009, une Conférence internationale intitulée « Le rôle des jeunes dans l’instauration de la paix : vers un monde futur sans radicalisation violente » en collaboration avec le Ministère indonésien de la jeunesse et des sports et les autorités des provinces de Banten et de Java occidental. Cette conférence a réuni des représentants de gouvernements, des dirigeants politiques, religieux et civils ainsi que 150 jeunes gens talentueux – tous représentants d’organisations ou d’institutions de jeunes du monde entier.

Source: Highprofilesnews

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