Le week end écoulé a vu en France la célébration de la journée du patrimoine. Qu’en est-il en Côte d’Ivoire ? PoleAfrique. s’est arrêté sur un bâtiment qui était cher au coeur du premier président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, la maison des congrès du PDCI-RDA. Sur les traces des ruines et des « regrets » de Boigny.
Treichville. Entre l’avenue 1 et 2 se dresse fièrement malgré les balafres du temps, la Maison des Congrès du PDCI-RDA. En ce lieu où le sort de grandes personnalités de l’ex-parti unique s’est scellé, où de grandes décisions de la Nation ivoirienne naissante se sont prises, où le Démocrate, l’ex-organe de presse du parti unique, avait sa rédaction, c’est le silence. Celui d’après la mort, de la déchéance, de l’oubli et de la parenthèse des pères fondateurs que l’on a voulu sûrement vite oubliée.
26 juin 2016, par une matinée naissante, notre équipe de reportage franchi les marches d’accès à ce qui a été pendant bien des années, la maison où avait lieu le conseil de gouvernement avant celui du conseil des ministres au Plateau. Un lieu empli d’histoire, hanté par l’ombre tutélaire du fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, Félix Houphouët-Boigny. Honoré Dagri n’a-t-il pas, comme pour prendre à témoin l’opinion, inscrit sur ses fresques encore bien visibles, cette histoire et ce rêve de Félix Houphouët-Boigny ? Nous sommes en octobre 1975. Je n’étais pas encore né.
Une visite des lieux, seul avec mon photographe, permet ainsi de découvrir l’histoire de la marche des femmes sur Grand-Bassam sur le large mur de droite, à côté de l’entrée de la salle des congrès, aujourd’hui fermée.
A gauche, une autre fresque, qui dessine l’avenir ou mieux, le rêve de ce que Félix Houphouët-Boigny voulait pour Abidjan, la vitrine de ce pays adolescent de 15 ans au moment où l’artiste la peint. Sur la terrasse, des pots et des bidons découpés pour recueillir l’eau qui tombe des toitures en ruine. Quelques flaques d’eau traduisent les pleurs de ce bâtiment. Il y a de quoi larmoyer. Honoré Dagri, artiste-peintre, frère aîné du Pr Henriette Dagri-Diabaté, a immortalisé sur ce mur de l’espace d’accueil de la maison des Congrès du PDCI-RDA, le passé colonial. Une scène de vente de produits agricoles par deux indigènes à un colon s’étale sous nos yeux.
Dans les entrailles dévastées
Au premier étage, des vitres brisées, des casiers de bureaux suspendus au mur, ouverts. Onze tables de bureaux attendent sans espoir leurs occupants disparus ou qui se sont tournés vers des bâtisses plus récentes. On peut s’empêcher de penser avec tristesse aux heures de gloire de cette belle figure du peuple Akan qui a accueilli le monde, à des moments de l’histoire. Houphouët-Boigny n’y-a-t-il pas donné ses plus grandes conférences de presse, durant des heures, applaudi par ses militants, scruté par les étrangers qui venaient s’abreuver à cette source historique ? Il aimait y raconter sans se lasser, l’Histoire du Rassemblement Démocratique Africain (RDA). La terrasse a noirci, le tapis a bu l’eau jusqu’à débordement. Une salle, avec une table en demi-cercle, accueille les fantômes de ceux qui animaient cette maison.
Un vieux téléphone à fil est posé sur une étagère, une armoire à quatre étagères renferme des courriers. Un pan de l’histoire de la vie du vieux parti. Dans ce qui était le bureau de la présidente de l’Union des femmes du PDCI-RDA, Léopoldine Tiézan Coffie, une carte de visite traîne encore, celle du maître –assistant en Informatique, professeur au département Formation Scientifique de l’Institut National Supérieur de l’Enseignement Technique (INSET), Kouacou Gnrangbé Kouadio Jean. Au verso de la carte, un mot pour l’ex-présidente de l’UFPDCI : « Chère sœur, je voudrais te voir vers 19h pour préparer la réception. Je suis à la maison en train de mettre la dernière mains aux préparatifs, fraternellement » écrit-il.
Sur une carte de visite du journal « Le Patriote », deuxième version, un journaliste de cet organe de presse, créé à l’origine pour défendre vigoureusement l’œuvre de Félix Houphouët-Boigny et du PDCI-RDA face à l’opposition, a adressé un mot à un des responsables de la Maison des Congrès. « Bonsoir M.KONE ; je pars compte tenu des impératifs de rédaction. Mais, je compte sur vous pour le règlement de mon problème », lit-on sur cette carte. Son nom de code « le 130 ».
Dans la documentation encore enfouie dans les tiroirs, on découvre des documents des tournées en vue du congrès constitutif de l’UFPDCI. Ainsi, l’histoire de ce lieu dévoile Mme Dacoury-Tabley née Bernadette Zézé, accompagnée de Bastart Monique, en mission à Yamoussoukro pour l’installation de comités et de sections de base. Son compte rendu est daté du 22 mai 1992. Une autre carte, cette fois-ci du PDG de l’ex-EECI (Energie électrique de la Côte d’Ivoire), Kroko Diby Marcel, mentionne « 100.000 FCFA pour les achats de maman comme convenu, bonne année ».
Dans la mémoire qui traîne, un document indique que du 13 au 15 octobre 1992, sous le thème « Les grandes questions économiques de l’Afrique », l’association économique de l’Afrique de l’Ouest et l’association des économistes de l’Afrique de l’Ouest » avait choisi comme parrain, Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée Nationale.
Le 20 septembre 1996, Léopoldine Coffie adresse une longue lettre au désormais président de la République, Henri Konan Bédié. Elle y rappelle ses bonnes intentions et l’égard de Bédié. « L’évacuation de M.Faustin Coffie, mon époux, à l’hôpital broussin à Paris pour des soins médicaux, les frais d’étude pour Marc-Antoine Coffie, mon fils, à l’université Laval de Québec au Canada », sont rappelés au bon souvenir du président de l’actuel PDCI-RDA.
Juste à côté, le mot « Regrets » est inscrit sur un papier coincé sous le vieux téléphone. Il y a de quoi regretter ce passé. Un pied de chaussure de femme traîne comme abandonné dans une débandade.
Au nombre des sollicitations découvertes, celle de la présidente de l’UFPDCI de Kongasso qui priait sa présidente nationale de transmettre au président du PDCI et Chef de l’Etat, nous sommes en février 1993, les « doléances portant sur l’électrification de la sous-préfecture de Kongasso, le bitumage de l’axe Zuénoula-Mankono et la construction d’une maison de la femme à Kongasso ». Le Préfet à la retraite Gohi Bi Kié Albert, lui, écrivait une lettre datée du 9 septembre 1996, « à son Excellence Monsieur le Président de la République » qu’il sollicitait pour « une aide en vue de faire face à des affaires de famille », relevant que « ma vieille voiture qui me permettait de faire des courses a rendu l’âme ».
Les courriers au « cher papa Bédié » comme l’écrit Dame Konan Akissi, ménagère à Katiola, pour informer le président de son parti de sa situation qualifiée « d’enfer », indiquent que les sollicitations provenaient de tout le pays. Mais, tous les militants n’écrivaient pas pour quémander une assistance. Ainsi, « les responsables des structures de base PDCI-RDA de Treichville » dont le siège était à l’avenue 12 rue 14 barrée, adressent-ils le 13 janvier 1996, une lettre de démission collective au président de leur parti.
La lettre de plusieurs pages, retrouvée dans les décombres des bureaux, traduit la colère de ces responsables de base dont Moctar Touré, Amichia François Albert, Abbadé Adjéhi Dominique, Orsot Elisabeth, Kouassi Germaine, Thès Blesson Jules et leurs camarades. Ils entendaient par cette démission collective se dresser contre le choix des têtes de listes PDCI-RDA « retenues par le parti dans le cadre des municipales 1996 ». Ainsi, les bureaux des sections de Treichville, des comités de base, de la JPDCI, de l’UFPDCI, réunis le samedi 13 janvier 1996, faisaient savoir que leur parti « a ignoré le choix issu des structures de base » en la personne d’André Kouassi-Lenoir et donc, et démissionnaient.
Au 2è étage que l’on atteint difficilement par un escalier poussif, entre flaques d’eau et débris de ciment, la végétation fait partie désormais du décor. Des fougères ont poussé et se dressent fièrement. Arbustes, herbes, bureaux détruits, rappellent que le temps et les scarifications de la politique à l’ivoirienne ont eu une main désastreuse sur cette maison qui était, avant le coup d’Etat du 24 décembre 1999, un havre de paix et de réconfort pour ceux qui se reconnaissaient en Félix Houphouët-Boigny.
Derrière une porte capitonnée avec l’écriteau « privé », un drapeau est à terre. Tout un symbole de la chute du PDCI-RDA du pouvoir d’Etat. Une seconde mort pour Houphouët-Boigny. A l’image des verres brisés, des portes cassées, de la décrépitude, les enfants de « nanan » se sont dispersés et se sont livrés bataille. La dalle qui résiste, ressemble à une grotte galactique.
Histoire d’un « tabouret »
La Maison des Congrès du PDCI-RDA est la représentation architecturale d’un tabouret Akan, pour les femmes, révèle Kiénou Fanko, le gardien des lieux, qui accepte de confier le peu qu’il a appris de son père, ami de Félix Houphouët-Boigny et premier gardien des lieux. « Ce bâtiment n’est pas n’importe quel bâtiment. Mon père m’a raconté un échange entre lui et Houphouët, c’est un tabouret Akan, pour les femmes royales », fait savoir le gardien. La maison des Congrès du PDCI-RDA est évoquée en 1961 au moment du lancement des travaux du palais présidentiel du Plateau, représentation architecturale du tabouret Akan pour homme. En 10 mois, selon le numéro du journal Fraternité n° 118 du 28 juillet 1961, la société de travaux d’équipement de la Côte d’Ivoire construit le palais présidentiel du Plateau. Cette exigence répondait au besoin de célébration de l’An 1 de l’indépendance.
Les travaux de la Maison des Congrès, eux, débutent en 1963, indique Kiénou Fanko, qui rappelle quelques événements majeurs qui ont eu pour cadre cette grande maison aujourd’hui abandonnée de tous. « Depuis 1990, je suis ici (il habite au sous-sol du bâtiment, à droite à l’entrée). C’est mon père, ami de Félix Houphouët-Boigny, qui s’est installé ici pour être le gardien de ce site. Mon père, lui, était ici depuis 1964 et habitait sur place, au même endroit où je loge avec la famille. C’est après le coup d’Etat (24 décembre 1999) que le bâtiment n’a plus été utilisé. Deux ans après, le journal Le Démocrate qui avait ses bureaux ici s’est arrêté. De 1982 à 1986, c’est ici, dans la salle des congrès, que se déroulait l’émission Podium de la RTI », rappelle le maître des lieux.
« Ce qui a été fait ici ne permet pas que ce bâtiment soit dans cet état », indique le gardien qui dit avoir adressé des courriers à plusieurs dignitaires de l’ex-parti unique, sans aucune suite. Même si « des gens sont venus faire plusieurs fois un état des lieux » reconnaît-il. « Cela m’étonne que les patrons ne réagissent pas » se désole-t-il.
Nous indiquant la salle des congrès, Kiénou Fanko fait savoir que « c’est dans cette salle des congrès que Djény Kobénan a claqué la porte en avril 1994 » pour aller créer le Rassemblement Des Républicains (RDR). « Du temps de mon père, jusqu’en 1990, les décisions se prenaient ici avant le conseil des ministres chaque mardi et quand Houphouët-Boigny arrivait ici, le tapis rouge était dressé à partir du carrefour de la mairie » se souvient le gardien, alors encore enfant.
Le temps a passé et avec lui, la disparition du père-fondateur du PDCI-RDA et de cette Maison des Congrès du PDCI-RDA. Les mats qui accueillaient les drapeaux orange-blanc et vert sont toujours fièrement dressés, rongés par la rouille et la mélancolie. Le vieux bâtiment, silencieux et blessé par attaques du temps et de l’abandon, garde la majesté du lieu glorieux où a battu le coeur de la Côte d’Ivoire. Relégué à figurer en forme d’illustration dans les livres d’histoire. Sans avenir, vraiment?
Au PDCI-RDA, réhabilitation programmée
Le 18 mai dernier, le Directeur du patrimoine du PDCI-RDA, Directeur Général du parti d’Henri Konan Bédié répond à notre sollicitation. N’zi Assamoi trouve notre démarche atypique et se fait un plaisir de nous recevoir. A notre préoccupation, il atteste que « tout le monde constate que l’ancien siège est dans un état catastrophique » mais précise que « Au PDCI, on n’abandonne pas ces choses. »
« Avant de parler de réhabilitation, il y a Yamoussoukro (où il y a un autre bâtiment du PDCI-RDA), nous travaillons de manière méthodique à ce sujet, l’inventaire est en cours », fait savoir N’zi Assamoi.
La « régularisation de la documentation foncière », selon le Directeur Général du PDCI, a permis la réhabilitation du nouveau siège de Cocody « avec tous les effectifs du secrétariat général » soutient M.N’zi.
Se voulant rassurant, il maintient qu’il « y aura une réhabilitation » de la maison des congrès de Treichville. « C’est une de nos priorités au niveau du patrimoine », soutient-il.. Sur le détail des travaux qui seront entrepris, à une date non encore connue, N’zi Assamoi indique qu’il « n’y aura pas de destruction totale, mais nous allons raser le dessus ».
Prenant exemple sur les travaux entrepris à Cocody, il fait savoir qu’en 2013, le siège a été fermé pour des travaux de rénovation. « Nous ne faisons choses à moitié.. Nous préférons faire du définitif car nous y allons selon nos moyens », maintient N’zi Assamoi.
La maison des congrès du PDCI-RDA est située à quelques encablures de la mairie de Treichville, dirigée par un des hauts cadres de l’ex-parti unique, Amichia François Albert.
Adam’s Régis SOUAGA
Source : PoleAfrique.