Procès en assises (Lu pour vous) – Voici la déposition intégrale de Lida Kouassi en 3 vérités :
« Je ne suis pas un assassin »
Vérité 1
Mr le président, lorsque que j’ai appris que j’étais cité dans cette affaire (ndlr complot contre l’autorité de l‘Etat), je suis tombé des nues. Mr le président, Mr l’Avocat général, Mrs les Jurés, avec votre permission, j’aurai deux (2) ou trois (3) observations à faire avant d’en venir aux faits et avant de me soumettre à vos questions.
Mr le président, la première observation que je voudrais faire, elle a trait à ma personne et à ma qualification académique. Je suis Lida Kouassi Moïse, Ivoirien originaire de Lakota. Je suis enseignant chercheur, je suis vice-président du Front populaire ivoirien et je suis ministre d’État. Mr le président, j’ai fait des études supérieures pour le premier cycle, à l’université d’Abidjan, pour le second et troisième cycle, à l’Université Robert Schuman, à Strasbourg, en France et à l’université de Hambourg, en Allemagne.
Mr le président, mes études ont été sanctionnées par un doctorat en sciences politiques, avec pour spécialité, Étude de défense et stratégie générale. C’est sur ce point qu’il y problème Mr le président.
Mes adversaires politiques ont tendance à croire que cette spécialité que j’ai faite, comme le font les médecins, une spécialité cardiologie et en chirurgie dentaire, ou comme des juristes font une spécialité en droit fiscal, leur fait peur et ils ont tendance à croire que je suis devenu un expert en complot, en coup d’État. Mr le président, Mrs les Jurés, je voudrais vous demander de m’aider à dissiper de la tête de mes adversaires ces idées reçues. Parce que je ne suis pas un expert en coups d’État. J’ai fait une spécialité académique, qui certes à l’époque où je la faisais, elle était rare dans les universités francophones, mais très développée aux États-Unis. D’ailleurs, quand je suis rentré en Côte d’Ivoire pour enseigner, j’ai demandé à créer un institut d’étude stratégique ici, j’ai demandé à enseigner à l’Efa (ndlr École des forces armées). Le Président Houphouët-Boigny a demandé une enquête spéciale sur moi, il a refusé le projet. Mais ce projet a été réalisé au Gabon, parce qu’un des officiers français qui avait été mon professeur en Dea de défense nationale, le professeur Pierre Dabidy avait été nommé Ambassadeur au Gabon. C’est lui qui a créé un institut d’étude stratégique au Gabon où j’ai enseigné pendant un an avant de revenir en Côte d’Ivoire.
Mr le président,
je sais formater les forces armées dans un État,
je sais mettre en place une loi de programmation militaire pour la maîtrise des dépenses militaires,
je sais élaborer une doctrine d’emploi pour l’usage et pour l’engagement des forces armées. Mr le président, je peux enseigner sur la pensée militaire allemande, la stratégie israélienne,
je peux exposer sur la typologie des coups d’État en Afrique.
Tout ça, je peux le faire, mais pour autant, je ne suis pas devenu un expert en coup d’État et que mes adversaires politiques veuillent bien le comprendre. On me considère comme un animal dangereux qu’il faudrait maintenir en cage pour rester tranquille. C’est ça le problème.
Le pouvoir par l’alternance démocratique
Le Front populaire ivoirien où je suis, le président Laurent Gbagbo nous a donné un credo. La transition pacifique à la démocratie. Ce credo nous oblige à chercher la conquête du pouvoir dans les urnes et non par les armes au bout des fusils. C’est ce que nous avons eu comme pratique depuis le temps d’Houphouët jusqu’aujourd’hui. Donc de grâce, qu’on ne me considère pas comme un animal dangereux qu’il faut garder parce qu’il est dangereux.
Vérité 2
La deuxième observation que je voudrais faire a trait à mon arrestation au Togo et à mon extradition en Côte d’Ivoire. Lorsque le 11 avril 2011, l’escalade de la violence et les tueries ont dépassé toute mesure, j’ai échappé moi-même à deux reprises, de justesse, à un assassinat et j’ai décidé d’aller en exil pour préserver ma vie. D’abord, j’ai atterri au Ghana avec mes trois enfants. Mais nous n’avions pas assez de moyens de survie. Au bout d’une semaine, nous étions en extrême détresse et une chance s’est offerte à moi. Un ami que j’ai aidé en son temps, a offert de m’accueillir à Lomé. C’est comme ça que je me suis établi à Lomé au Togo. Dès les premiers mois, j’ai cherché à demander et à avoir le statut de réfugié politique. Je suis allé voir un ministre togolais, pour signaler ma présence sur le territoire togolais. Il s’agit du ministre Gilbert Badjilembayéna Bawara. J’étais donc au Togo en situation de demandeur d’asile, pendant un an et un mois et demi, lorsqu’un matin, la gendarmerie togolaise a fait irruption à mon lieu de résidence, m’a arrêté et menotté, sous les yeux de mes enfants. Elle a perquisitionné le local que j’habitais et m’a conduit au bureau de recherches et d’investigations. J’y ai été maintenu pendant toute la journée et le soir venu, les mains menottées dans le dos, j’ai été conduit à l’aéroport pour être livré aux autorités ivoiriennes.
Vice d’extradition
Mr le président, vous comprenez que ce n’est pas là une extradition en bonne et due forme. C’est un rapatriement manu militari, parce que cette extradition s’est faite en violation totale des règles en la matière. Pis, Mr le président, dès qu’au pied de l’échelle de couper, j’ai été livré aux autorités ivoiriennes, et bien, les agents de la Dst (ndlr Direction de la surveillance du territoire) et les agents de la garde rapprochée du ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko, se sont jetés sur moi à bras raccourcis et m’ont battu violemment en terre étrangère, sous les yeux des gendarmes togolais. J’ai été ramassé comme un colis et jeté dans l’avion. Si vous visionnez le film de mon extradition à Abidjan, vous verrez que j’ai des tuméfactions sur le visage, des poignets en sang du fait des menottes et les habits déchiquetés. C’est dans ce piteux état que j’ai été conduit à la Dst.
Dans le mouroir de la Dst
Mr le président, j’ai été détenu au secret pendant 15 jours au secret à la Dst. Sur les 15 jours, j’ai subi 11 jours d’interrogatoire et après on m’a laissé entendre que j’avais fait un complot contre l’autorité de l‘État, la Défense nationale etc…. et j’ai été conduit à la prison civile de Bouna.
Mr le président, je voudrais surtout faire observer que mon extradition n’a respecté aucune règle en la matière. Ensuite, j’ai subi un traitement cruel en terre étrangère, sans égards pour la haute fonction que j’avais occupée au sommet de l’État. Ce traitement a profondément porté atteinte à ma dignité humaine.
Vérité 3
Mr le président, la troisième observation que je voudrais faire a trait à la raison pour laquelle je suis devant vous ici dans cette Cour. Curieusement, j’entends souvent les déclarations des responsables gouvernementaux de Côte d’Ivoire, dire que nous qui sommes détenus, c’est parce que nous avons attaqué des postes frontières, des commissariats et des Brigades de gendarmerie. Que nous avons assassiné des forces de l’ordre. Mr le président, je voudrais dire ici haut et fort, que je ne suis pas un assassin. Je n’ai jamais attaqué de poste frontière, encore moins de Brigade de gendarmerie ou de commissariats.
Ceux qui l’ont fait en Côte d’Ivoire sont connus de tous. Je ne suis pas un assassin. Je suis devant vous Mr le président, non pas comme un assassin, mais je suis devant vous sous le motif de complot contre l’autorité de l’État. Mr le président, le délit de complot contre l’autorité de l’État est un délit éminemment politique. Je suis enseignant, et je pense que même si je ne suis pas juriste, mais il n’y a pas d’autre qualification qui soit plus politique que le complot contre l’autorité de l‘État. Cela, vous le savez-vous êtes juriste. L’État et le pouvoir sont au cœur même de la définition de la politique. Donc je suis devant vous en tant que prisonnier politique et c’est en tant que tel, vous allez me juger Mr le président. Je suis heureux tout de même, d’être devant vous aujourd’hui dans un procès public, parce que cela fait cinq (5) qu’on me traîne dans les prisons. J’ai été à la prison de Bouna, pendant un (1) an trois (3) mois, j’ai été à la Maca (ndlr Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan) pendant onze (11) mois, j’ai été au camp pénal de Bouaké pendant sept (7) mois. Et je suis maintenant à la Maison d’arrêt militaire d’Abidjan depuis plus d’un (1) an et demi. De tous ces temps de détention, c’est la première fois qu’on me présente dans un procès public. J’espère que mes accusateurs ont produit des preuves matérielles irréfutables qui expliquent cette longue détention. Mr le président, j’espère que ce procès public sera honnête, transparent et juste. Mr le président, je compte sur vous parce que je fais encore confiance en la justice de mon pays. Je ne me reconnais pas d’avoir été associé, d’une quelconque manière que ce soit, à un complot contre l’autorité de l‘État. Ce qui m’est reproché et qui me paraît curieux dans l’Arrêt de renvoi, c’est que c’est brusquement en 2017, on m’apprend que je serais dans un complot avec le Colonel Katé Gnatoa. D’après ce que j’ai lu dans l’Arrêt, le Colonel Katé m’aurait informé de son projet de coup d’État. Deuxième fait, au moment de mon attestation à Lomé, on aurait trouvé dans mon bloc-notes confidentiel deux (2) écrits. L’un portant le titre de plan de communication de crise, l’autre portant le titre de plan de transition militaro-civile. Comme ces notes ont été trouvées dans mon carnet confidentiel, et que cela paraît concomitant avec le complot de Mr Katé, donc je serais son complice. Voilà ce qui est dit. C’est pourquoi je rappelle que je tombe des nues.
(source : Léo Côte d’Ivoire IV)