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Rébellion en Côte d’Ivoire: « Un pompier pyromane – L’ingérence française en Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny à Ouattara ».

« Un pompier pyromane – L’ingérence française en Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny à Ouattara ». C’est le titre du livre publié par l’Association Survie (Une association loi 1901 créée en 1984 qui dénonce toutes les formes d’intervention néocoloniale française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique étrangère de la France en Afrique). David Mauget, co-auteur, était l’invité du journal Afrique de Tv5monde du mercredi 22 août 2018. L’écrivain donne les grandes lignes du nouvel ouvrage sur la Côte d’Ivoire en faisant des révélations, de la mort d’Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo, ainsi que des précisions sur l’arsenal de ”la Françafrique” déployé en Côte d’Ivoire : diplomatie parallèle, réseaux officieux, affaires troubles…

Vous avez choisi de faire l’inventaire de l’implication française depuis l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Pourquoi ce parti pris ?

On s’est concentré sur la période de la crise ivoirienne qui va de 2002 à 2011 avec quelques rappels sur la période qui a précédé, notamment sous Houhphouët, sous Bédié… et cette période française en Côte d’Ivoire qui date de l’époque coloniale. Beaucoup de Français ne savent pas que la présence militaire française, à savoir le camp militaire qui se trouve du côté de l’aéroport d’Abidjan, n’a jamais cessé depuis l’époque coloniale. On revient sur les fondamentaux qu’on appelle ”la Françafrique”. C’est un style particulier qui perdure entre la France et les anciennes colonies en Afrique, notamment à travers notre dispositif militaire et le Franc cfa. Dans cet ouvrage, on en vient à la crise militaire qui démarre avec la succession d’Houphouët et qui connaît son épilogue en 2011 avec l’installation d’Alassane Ouattara. Nous, on analyse cela, pas en tant que crise ivoirienne en tant que telle, mais on analyse l’ingérence française dans cette crise.

En insistant sur le rôle de la France, ne risquez-vous pas d’avoir une vision biaisée quand on sait qu’il y avait d’autres acteurs extérieurs comme le Burkina Faso ?

C’est vrai qu’on prend nos précautions dès l’avertissement qui est au début du livre. En fait, il y a eu un certain nombre de travaux français sur cet aspect-là, c’est-à-dire l’étude en elle-même de la crise ivoirienne, du jeu entre les différents acteurs politiques ivoiriens, les revendications de la rébellion… Mais très souvent, ces travaux ont délibérément ou pas laissé de côté le rôle que peut jouer la France. Or, nous, en regardant les choses de plus près, les négociations de Marcoussis qui ont eu lieu à Paris entre les acteurs ivoiriens, en janvier 2003, en regardant aussi le jeu de la France à l’Onu, à travers des résolutions qui, le plus souvent, étaient écrites par la France, on essaie de mettre à jour ce qui a consisté à déposséder Laurent Gbagbo, le président ivoirien de l’époque, de la plupart de ses pouvoirs.

Vous soutenez que l’ingérence française trouve son origine dans les conditions de l’indépendance sous Houphouët-Boigny. Pourquoi ?

Il faut savoir déjà que Houphouët-Boigny avait une vie politique en France très importante. C’est un ministre d’État. Il fait partie des hommes politiques français qui seront à l’origine de la Ve République. Et lui voyait relativement d’un mauvais œil l’indépendance qui était, en fait, accordée à la Côte d’Ivoire. C’est d’ailleurs lui qui a forgé l’expression ”Françafrique” puisqu’il y voyait quelque chose de très positif. Finalement, c’est à lui qu’on a confié la Côte d’Ivoire en 1960. Mais aussitôt, en 1961, il y a eu des accords qui ont été signés entre Paris et ses anciennes colonies : quatre pays, dont la Côte d’Ivoire. Ces accords installent de manière durable les forces africaines et expliquent que les matières premières stratégiques devraient être destinées, avant tout, à la France. Il y a parallèlement aussi tout un ensemble de coopérants français qui vont à Abidjan et sont dans tous les rouages : le cabinet à la présidence, dans le gouvernement, au sein de l’armée ivoirienne…

En 1993, le président Houphouët-Boigny meurt. La guerre de succession est déclarée. Selon vous, la France prend parti. Quel était l’enjeu à ce moment-là ?

Au moment de la succession d’Houphouët, il faut se rappeler qu’Alassane Ouattara, aujourd’hui président, était à l’époque Premier ministre. Le dauphin constitutionnel, c’était Henri Konan Bédié, qui était un homme du parti unique, alors qu’Alassane Ouattara, lui, avait eu une carrière internationale, notamment au Fmi. Il y a eu une bataille entre ces deux personnes pour savoir qui est-ce qui allait finalement succéder à Houphouët. Finalement, Henri Konan Bédié, le dauphin constitutionnel, a récupéré le pouvoir. Il va être élu en 1995. Il y avait déjà, dans les années 1990, le parti de Laurent Gbagbo qui, à l’origine, était clandestin mais qui a été le premier opposant à se présenter contre Houphouët. Finalement, le début de la crise politique en Côte d’Ivoire, c’est la rivalité entre ces hommes politiques-là.

Comment on passe d’un conflit politique à un conflit armé à cette époque ?

Les années 90 ont été très douloureuses en Côte d’Ivoire. J’ai connu la Côte d’Ivoire, en fait, en 1996. Et ce qu’on a appelé l’ivoirité, on l’a lu dans beaucoup d’articles en France sous l’époque Gbagbo. En fait, c’est dans le milieu des années 90 que l’ivoirité se voyait à l’œil nu quand on voyageait en Côte d’Ivoire. C’est cette politique où on cherchait de manière délibérée à exclure une partie des habitants du nord de la Côte d’Ivoire du jeu politique parce qu’ils étaient soupçonnés de soutenir Alassane Ouattara. A l’époque, c’était Henri Konan Bédié qui avait le soutien de la France. Elle n’avait rien à redire à la politique d’ivoirité mise en place à ce moment-là. C’est uniquement lors de l’accession de Laurent Gbagbo au pouvoir que l’ivoirité va être dénoncée.

C’est ce concept d’ivoirité qui a été finalement le déclencheur de la guerre civile ?

Disons que la rébellion qui voit le jour en septembre 2002, deux ans après l’élection de Laurent Gbagbo, brandit cette question en tant que revendication politique. Elle dénie à Laurent Gbagbo une grande partie de sa légitimité en disant qu’il a été mal élu et continue à distiller le poison de l’ivoirité. Nous, sur ce jeu politique strictement ivoirien, on ne prend pas réellement position. On rappelle certains faits, mais ce qui nous intéresse, c’est de voir l’évolution de la grille d’analyse française entre l’époque d’Henri Konan Bédié, où Paris n’avait rien à redire sur ce qui se passait en Côte d’Ivoire, l’époque de la junte militaire, où il y a eu pas mal de remous au sein de la Côte d’Ivoire, et finalement l’époque de l’élection de Laurent Gbagbo. Il faut se rappeler qu’à cette époque, Jacques Chirac était président en France. Mais la doctrine à l’époque, c’était ni indifférence, ni ingérence et on a laissé un petit peu faire les choses. C’est de cette manière finalement que Laurent Gbagbo a été élu. Mais dès que Chirac a récupéré les rênes du pouvoir au printemps 2002, les choses se sont accélérées et il y a eu une rébellion effectivement qui a vu le jour en septembre 2002.

On en vient à 2002. Une rébellion se déclenche dans le Nord. Vous dites clairement qu’elle est soutenue par le Burkina Faso de Blaise Compaoré. Sur quoi vous vous basez ?

C’est tout à fait avéré. Il suffit de voir les analyses, les recherches du groupe d’experts qui étaient en charge de la surveillance de l’embargo sur la Côte d’Ivoire qui concernait aussi bien les forces loyalistes de Laurent Gbagbo que la rébellion de Guillaume Soro, pour s’apercevoir que la filière était assez claire. Il y avait de la contrebande de cacao, de diamant, de coton qui partait vers le Burkina Faso et passait par le Togo et le circuit inverse pour les armes. C’est absolument clair dans les rapports de l’Onu. Mais là, pareil, les autorités françaises n’ont jamais mis l’accent dessus. L’attitude ou la priorité française a toujours été la résolution de la crise, qui passe par des élections dans lesquelles Alassane Ouattara pourrait se présenter. Et on mettait sur le dos de Gbagbo une Constitution qui l’empêchait de se présenter. En fait, c’était la junte militaire qui avait mis en place cette Constitution qui empêchait Alassane Ouattara de se présenter. Je voudrais revenir sur l’épisode du déclenchement de 2002 qui explique, en partie, le titre de notre livre : ”Pompier pyromane”.

En septembre 2002, il y a une tentative de coup d’État qui échoue, prend finalement la partie nord de la Côte d’Ivoire et s’installe à Bouaké. Il y a une première intervention française pour extraire les ressortissants étrangers. Ça c’est la partie pompier. Mais, parallèlement, et ce qu’on sait moins, c’est qu’un commandant français, le commandant Luc Courcelle, était déjà chargé, à l’époque, de maintenir le contact avec les rebelles. Et c’est quelqu’un qui s’est retrouvé sur les théâtres des opérations, notamment lors de la prise de Vavoua aux côtés des rebelles. C’est lui qui va demander à ce qu’on soigne Chérif Ousmane lorsqu’il sera blessé au cours de la tentative de reprise de Bouaké. Et ça, c’est le côté pyromane. C’est-à-dire que la France a plusieurs fers au feu et, finalement, va n’avoir de cesse de légitimer la rébellion de Guillaume Soro qui, au départ, part de pas grand-chose.

Justement à ce moment, Laurent Gbagbo invoque les accords de défense. En quoi consistaient ces accords ?

Ces accords de défense, ils datent de 1961. Ils ont été signés entre la Côte d’Ivoire, la France et certains autres pays africains. Ces accords stipulaient, notamment, qu’en cas d’agressions extérieures, la Côte d’Ivoire devait être protégée. Il y avait eu tout un débat à l’époque pour savoir est-ce que la rébellion vient du Burkina Faso ou pas, notamment avec le premier ”père de la rébellion”, Ibrahim Coulibaly dit IB ? Il était un militaire déjà à l’origine du coup d’État de 1999 qui avait évincé Henri Konan Bédié, réfugié au Burkina Faso. Il avait constitué un embryon de rébellion qui va se déclencher d’abord en janvier 2001, la première tentative qui échoue. C’est finalement en septembre 2002, avec une tentative qui échoue un tout petit peu bien, c’est-à-dire qui n’arrive pas à renverser le président Laurent Gbagbo à Abidjan, mais arrive à prendre la moitié du pays. Disons que si elle arrive à prendre rapidement la moitié du pays, c’est parce que, très rapidement, les Français s’interposent le long d’une ligne allant de l’ést à l’ouest en Côte d’Ivoire. Là, l’analyse que nous faisons de l’intervention officielle de Licorne, c’est qu’elle va figer le front, elle va empêcher les rebelles de descendre sur Abidjan. Il faut dire que Paris n’aurait pas vu d’un très bon œil la pagaille arriver à Abidjan et mettre, sans doute, à mal les intérêts français. Et elle va empêcher aussi la reprise du nord du pays. Il y aura une tentative en 2004 qui va se solder par ce qu’on considère, nous, comme la plus criminelle du point de vue de la France.

Pourquoi, selon vous, la France avait tout intérêt à ce Laurent Gbagbo perde le pouvoir déjà en 2002 ?

Il faut voir qu’à l’époque où Jacques Chirac était président, lui, c’est quelqu’un qui est très empreint d’une époque d’Houphouët, d’Henri Konan Bédié, où les pouvoirs mis en place, les pouvoirs appuyés par la France, sont des gens qui fournissent des contrats à la France, ou encore sont des obligés de la France parce qu’ils ont très peu de légitimité au niveau populaire. Ça, c’est très important. Quand on parle des élections en Afrique, il faut bien voir que beaucoup de présidents des pays francophones ont une faible légitimité populaire. Dans un certain nombre de pays, ça va être le fils du président qui succède à son père dans des circonstances assez douteuses. Dans d’autres pays, il va y avoir des rébellions armées… Et à chaque fois, ça fait le jeu de la France. Lorsqu’un président est en place et qu’il sait qu’il ne peut pas s’appuyer sur son peuple et qu’il doit finalement son pouvoir à Paris, alors il n’aura de cesse de satisfaire les intérêts parisiens.

Les militaires de l’opération Licorne tirent sur des manifestants ivoiriens en novembre 2004. Après l’attaque des positions françaises, on a découvert que c’étaient des militaires biélorusses qui étaient à l’œuvre. Pourquoi ils n’ont jamais été poursuivis ?

Ça, c’est une des grandes énigmes de la crise franco-ivoirienne. C’est vrai qu’en novembre 2004, Laurent Gbagbo lance une tentative de reprise du nord du pays qui est couronnée de succès jusqu’à ce qu’il y ait ce fameux bombardement des avions loyalistes ivoiriens sur un camp militaire français. Les pilotes biélorusses ont réussi à disparaître dans la nature mais pas de manière aussi discrète qu’on pouvait le penser. Ils ont, d’abord, été retenus à la frontière du Togo. Les autorités togolaises, qui étaient au courant de ce qui s’était passé, ont senti qu’il fallait avertir Paris. Finalement, elles ont averti les autorités françaises pour savoir qu’est-ce qu’elles devaient faire de ces mercenaires biélorusses. Il y a eu au moins un silence parisien qui signifiait, en fait, qu’il fallait les relâcher. Le mieux placé pour parler de cette affaire, c’est Me Jean Malan, l’avocat de la plupart des victimes françaises de cette époque et qui, lui, pense qu’il y a eu une espèce de coup fourré monté par les autorités françaises. Le but était de lui faire commettre une erreur en bombardant une partie déserte du camp militaire. Tout cela pour justifier le renversement de Laurent Gbagbo. Puisqu’effectivement, dans les jours qui ont suivi, l’armée française a pris position dans Abidjan. Une colonne de blindés français s’est pointée devant le portail de la résidence de l’ancien président. Et pour des raisons que l’on ignore, cette tentative, sans doute, de coup d’État, n’a pas été menée à son terme. On s’appuie là aussi sur des déclarations d’un ancien ambassadeur au Burkina Faso qui a évoqué sans ambiguïté cette tentative de renversement de Laurent Gbagbo.

Interview retranscrite par Cyrille DJEDJED (Source TV5monde.com)

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