Retour sur le limogeage de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire auprès des Nations unies à la suite d’un couac diplomatique entre Abidjan et Rabat.
C’est une affaire dont les protagonistes auraient sans doute préféré qu’elle ne s’ébruite pas. Et parce qu’elle a fini par coûter son poste à l’ambassadeur de Côte d’Ivoire auprès des Nations unies, Youssoufou Bamba. Il est important d’en retracer la chronologie pas à pas. Tout remonte au 13 octobre 2014. Ce jour-là, lors d’une réunion de la 4e Commission des Nations unies, un conseiller de l’ambassade de Côte d’Ivoire, François-Xavier Zabavy, parle publiquement du Sahara occidental comme du « dernier territoire non autonome d’Afrique ». Inacceptable pour les Marocains, dont la réaction ne se fait pas attendre : dès le lendemain, ils adressent une protestation officielle à la représentation ivoirienne. Mais, assure-t-on au ministère ivoirien des Affaires étrangères et à la présidence, Youssoufou Bamba n’en informe pas Abidjan.
Rabat, du coup, s’agace de l’absence de réaction des Ivoiriens, et profite d’une visite du président Alassane Ouattara au Maroc, les 20 et 21 janvier 2015, pour s’en étonner. À partir de là, tout s’accélère pour Youssoufou Bamba. Mi-février, Charles Diby Koffi, le ministre ivoirien des Affaires étrangères, lui adresse, sur instructions de la présidence, une demande d’explications. Plusieurs choses sont en fait reprochées à l’ambassadeur. Abidjan dit ne pas comprendre pourquoi, alors que rien dans son agenda officiel ne s’y opposait, Youssoufou Bamba n’a pas personnellement assisté à la fameuse réunion. « Et quand bien même, insiste une source à la présidence. S’il avait un empêchement, il aurait dû se faire remplacer par son adjoint, Bafétigué Ouattara, plutôt que par un simple conseiller. » La même source affirme que Youssoufou Bamba a lui-même rédigé le texte lu ce jour-là en séance (ce que l’intéressé dément) et que le gouvernement ivoirien le tient quoi qu’il arrive pour seul responsable du dérapage. François-Xavier Zabavy n’a d’ailleurs pas été sanctionné.
Youssoufou Bamba, 66 ans, était en fin de carrière. En poste à New York depuis cinq ans, il pouvait faire valoir ses droits à la retraite depuis décembre 2013. Le chef de la diplomatie ivoirienne a, un temps, envisagé de lui permettre de rester en fonction jusqu’à la fin de l’année scolaire, mais Alassane Ouattara en a décidé autrement (il faut dire que la formule prononcée en octobre est également contraire à la position officielle de la Côte d’Ivoire, qui soutient le Maroc sur le sujet). D’où son limogeage, qui lui a été notifié fin février. Joint au téléphone le 17 mars à New York, où il attendait encore une mission d’inspection venue d’Abidjan, Youssoufou Bamba n’a pas souhaité répondre à nos questions. « J’ai une grosse pression », a-t-il déclaré. Pour l’amour de Dieu, épargnez-moi des commentaires sur cette affaire ! »
L’homme était un diplomate chevronné. Il avait rejoint le ministère des Affaires étrangères en 1976 grâce au soutien d’Essy Amara, son parrain. En 1992, le président Houphouët-Boigny avait élevé ce natif de Dimbokro au rang d’ambassadeur. Sept ans plus tard, toujours appuyé par Essy, il était nommé ministre délégué à la Coopération internationale par Henri Konan Bédié. Il y a quelques années toutefois, les relations entre Bamba et Essy s’étaient tendues -le second ayant pris ombrage des ambitions du premier.
Jeune Afrique