Il a beau réfléchir très fort en se grattant le menton : « Non, vraiment, je ne vois pas… » Chercher encore… « Peut-être… Mais en fait, non… » La question posée à Jérôme Gleizes, conseiller écologiste de Paris et pilier de la majorité municipale, est pourtant simple : quelles sont, selon lui, les mesures saillantes qui ont marqué les trois premières années du deuxième mandat d’Anne Hidalgo, maire de la capitale, réélue en 2020 ? « Ah ! Si ! La coopérative carbone [stratégie de décarbonation du territoire]. » Mais il n’avait pas l’air trop convaincu lui-même de sa trouvaille.
Il semblait cependant qu’il avait l’embarras du choix. Il aurait pu citer l’augmentation spectaculaire, de 52 %, de la taxe foncière, à rebours de la promesse de campagne de la maire de Paris, mais qui autorise les finances de sa ville à mieux respirer. Ou la tenue, aussi inédite que surprenante, d’une votation citoyenne, le 2 avril, sur le maintien, ou non, des trottinettes électriques en libre-service. Des décisions unilatérales qui ont défrayé la chronique locale. Mais Jérôme Gleizes fait la moue : « Je me concentrais plutôt sur des grandes mesures de rupture… J’espère que les éléments les plus structurants sont à venir. »
Le recours du gouvernement à l’article 47.1 de la Constitution, qui permet des délais d’examen contraints au Parlement, pose la question d’un éventuel « détournement de procédure » pour faire adopter le projet de loi visant à reporter l’âge légal de départ à la retraite. Les neuf juges doivent rendre leur décision le 14 avril.
Rarement le Conseil constitutionnel, présidé par Laurent Fabius, aura été autant sous pression. Les neuf juges doivent rendre le 14 avril des décisions d’une importance majeure. La première concerne la constitutionnalité du projet de loi adopté au Parlement, afin de reporter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, après un recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. L’autre porte sur la recevabilité de la demande de référendum d’initiative partagée (RIP) lancée par la gauche pour que le départ à la retraite ne puisse « être fixé au-delà de 62 ans ». Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une part par la première ministre, Elisabeth Borne, mais aussi par des députés de gauche et du Rassemblement national (dans des saisines distinctes).
Depuis, de nombreuses voix estiment que la possibilité d’une censure du texte du gouvernement est réelle. Ainsi, le constitutionnaliste Dominique Rousseau a affirmé dans un entretien au Monde qu’« il semble difficile que le Conseil constitutionnel ne censure pas la loi sur la réforme des retraites tant les motifs d’inconstitutionnalité pour des raisons de forme sont sérieux. » Il est vrai que plusieurs points de droit posent question et font planer l’éventualité que le Conseil retoque le texte.
Créer un précédent
Le sujet qui semble le moins faire de doute est la censure des « cavaliers sociaux », soit des mesures qui n’ont pas de rapport direct avec un texte budgétaire. C’est le cas, par exemple, de « l’index senior » (visant à obliger certaines entreprises à publier chaque année des indicateurs relatifs à leur taux d’emploi de salariés seniors) ou encore du « CDI senior » (visant à créer un nouveau type de contrat à durée indéterminée pour favoriser le recrutement de salariés âgés d’au moins 60 ans), qui pourraient être retoqués. « A minima, il devrait y avoir la censure de ces éléments sur lesquels les parlementaires ont passé beaucoup de temps de discussion. Dans son avis, le Conseil d’Etat avait d’ailleurs souligné ce risque », rappelle Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Avec un effet pervers : « Ces mesures sont les contreparties un peu sociales du texte. S’ils sont censurés, cela aurait pour effet de le durcir encore plus », complète, pour sa part, Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public, à Paris-II-Panthéon-Assas.