Au petit matin du dimanche 3 septembre 2017, une centaine de prisonniers, sur près de 300 que compte la maison d’arrêt et de correction de Katiola, se sont fait la belle.
Une énième évasion qui vient rallonger le chapelet d’attaques contre les prisons, lesquelles ont lâché ainsi dans la nature de dangereux criminels. En effet, avant Katiola, le même scénario s’était produit au palais de justice au Plateau, à Gagnoa, à Dimbokro. Et cela, en moins de quatre mois. La récurrence avec laquelle surviennent ces évasions, parfois spectaculaires, est de nature à inquiéter sérieusement. Surtout que, dans la plupart des cas, les redoutables gangsters qui se sont fondus dans la nature n’ont plus été rattrapés. Ils constituent donc un danger potentiel aussi bien pour les juges qui ont prononcé leur condamnation, que pour leurs dénonciateurs ou encore pour ceux dont les plaintes les ont conduits derrière les barreaux.
Par ailleurs, dans un contexte sociopolitique où les menaces de déstabilisation ou d’actes terroristes sont réelles, il est à craindre que ces évadés ne soient recrutés par des individus mus par des intentions subversives. D’autant que, par le passé, des prisons ont été éventrées à l’occasion des troubles sociopolitiques pour en libérer les pensionnaires, lesquels devaient, par la suite, grossir les rangs des garnements instrumentalisés pour semer la chienlit. C’est ce qu’il a été donné de voir notamment à la faveur de la guerre post-électorale de mars-avril 2011 et même lors de l’insurrection armée de septembre 2002.
D’ailleurs, ces évasions récurrentes, ajoutées à la vague d’attaques armée de sites militaires de ces derniers temps ne sont pas sans rappeler l’atmosphère pesante qui prévalait avant l’éclatement du coup de force du 19 septembre 2002, qui a débouché sur la rébellion. Qui ne se souvient des attaques de commissariats à Abidjan, de postes douaniers à Pogo à l’extrême Nord ivoirien et à Noé, qui ont précédé la rébellion de 2002 ? Perpétrées par des individus non identifiés, ces attaques avaient eu pour effet de semer un climat de trouble et de peur. La suite, on la connaît : un coup de force survenu dans la nuit du 19 septembre 2002. Tout porte à croire que les auteurs des agressions contre les commissariats et Brigades de gendarmerie enregistrées ces derniers temps s’inscrivent dans le même schéma.
Donner des signaux forts
Comme l’a révélé Jeune Afrique (J.A.) dans son édition de cette semaine, il y a bien, derrière ces attaques de sites militaires, saucissonnées d’évasions de prison, un seul agenda: instaurer un nouvel ordre politique en renversant le régime. De fait, croit savoir ce confrère, les mystérieux combattants qui se cachent derrières ces coups d’éclat à répétition, visent, à terme, à prendre le pouvoir. Comme l’ont essayé en 2002 les insurgés du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire( Mpci). Les assaillants ne se réclament-ils pas d’un mouvement politico-militaire similaire, dénommé “Division nationale pour la défense du territoire( Dndt) ? Ceux qui s’interrogeaient encore sur leurs réelles intentions sont désormais situés, après les révélations relatives à l’enquête sur l’attaque de l’École de police.
Les assaillants, avance-t-on, prévoyaient d’instaurer un Conseil national pour la souveraineté et la dignité de la Côte d’Ivoire (Cnsd-Ci) et prononcer un discours annonçant la suspension de l’actuelle Constitution et des institutions. On le voit donc, les assauts lancés contre les commissariats et Brigades de gendarmerie à Yopougon, Bingerville, Fresco, Korhogo, Ecole de police de Cocody, Azaguié, Adzopé et Songon sont en réalité des signes avant-coureurs de quelque chose de bien planifié: sinon un 24 décembre 1999, du moins, un 19 septembre 2002. En cela, ils ont bien raison les citoyens de ce pays qui redoutent le pire au point d’en perdre le sommeil.
Surtout que le contexte sociopolitique pourri et la défaillance évidente du dispositif sécuritaire mis en place, ne sont guère rassurants. En effet, ces attaques récurrentes et évasions interviennent dans un climat sociopolitique quelque peu crispé. Avec d’une part, la guéguerre interne au parti au pouvoir, déchiré entre partisans de Guillaume Soro et militants pur sucre du Rdr.
Et d’autre part, la guerre à fleurets mouchetés entre le parti d’Alassane Ouattara et celui d’Henri Konan Bédié. En bisbille depuis quelque temps à cause de la polémique autour de l’alternance en 2020, le Rdr et le Pdci en rajoutent à l’atmosphère politique pesante. A ces sources de tensions s’ajoute la sempiternelle grogne de l’opposition traditionnelle, qui ne cesse de dénoncer une réconciliation bâclée. Sans compter les mécontents des casernes, frustrés de n’avoir pas perçu leur part des primes de guerre tombées dans les poches de certains de leurs frères d’armes. Un cocktail pour le moins explosif, qui a sans doute fait le lit de ces coups portés nuitamment contre des sites militaires.
D’autant que le dispositif sécuritaire semble présenter des signes évidents de défaillance. En effet, tout porte à croire qu’en dépit des coups de bluff des sécurocrates de la République, les stratégies sécuritaires mises en place pêchent. En témoigne la récurrence des attaques de commissariats et Brigades de gendarmerie ainsi que les évasions. En témoigne surtout le laps de temps dans lequel ces coups ont été perpétrés: les assaillants ont frappé plusieurs fois, en moins de quatre mois. Au rythme où se multiplient ces agressions armées, il y a lieu de s’inquiéter quant à la capacité des gouvernants à assurer la sécurité des populations.
C’est pourquoi le chef de l’Etat doit donner des signaux forts en vue de rassurer et les citoyens et les investisseurs étrangers. Alassane Ouattara doit insuffler du sang neuf dans son système de gouvernance en se séparant purement et simplement de collaborateurs, qui se sont montrés incapables de juguler les agissements de ces mystérieux combattants. Il pourrait ainsi instaurer une nouvelle politique de sécurité avec des hommes neufs.
Assane NIADA
linfodrome