Journée décisive en Turquie. Les bureaux de vote ont ouvert à 8h (5h TU) et les citoyens sont au rendez-vous. Le pays élit ce dimanche 14 mai son président et ses députés. Le chef de l’État sortant, Recep Tayyip Erdogan, va tenter de remporter un troisième mandat, mais face à lui, son principal rival, Kemal Kiliçdaroglu, est donné favori par la plupart des sondages.
Recep Tayyip Erdogan a souhaité ce dimanche « un avenir profitable » au pays et à sa démocratie après avoir voté à Istanbul. « Il est important que tous les électeurs votent sans souci (…) pour montrer la force de la démocratie turque », a ajouté le dirigeant, sans prédire sa victoire.
Kemal Kiliçdaroglu qui, après avoir voté à Ankara, a déclaré de son côté : « La démocratie nous a manqué à tous. Il nous a manqué d’être tous ensemble, de nous embrasser. Vous verrez, le printemps va revenir dans ce pays si Dieu le veut et il durera pour toujours ».
Un peu plus de 192 000 bureaux de vote sont ouverts dans le pays, auxquels sont appelés 60,7 millions d’électeurs ; les Turcs de l’étranger, eux, ayant déjà voté, rapporte notre correspondante à Istanbul, Anne Andlauer.
Les citoyens turcs, traditionnellement, se déplacent en masse pour voter, avec des taux de participation supérieurs à 80%. Vu l’importance de l’enjeu – c’est-à-dire, pour l’essentiel, le maintien au pouvoir ou le départ du président Recep Tayyip Erdogan après 20 ans de règne – on s’attend à une forte mobilisation des électeurs. Chez les Turcs de l’étranger, en tout cas, la participation a atteint 54 % cette année, quatre points de plus qu’aux précédentes élections en 2018.
Murat sort tout juste du bureau de vote où il a déposé son bulletin. Une voix pour Kemal Kiliçdaroglu, et une voix pour son parti, le CHP, qu’il soutient depuis des années. Cet ingénieur chimiste a le sentiment que cette fois, son candidat va gagner :« Il faut que ça change enfin. Le pays est très fatigué, les citoyens sont trop divisés. Tout va mal à un point inquiétant : l’économie, les séismes, nos relations avec le reste du monde. Je veux que le pays se calme un peu, se normalise, que toutes ces tensions s’apaisent. Pourquoi est-ce qu’on ne vivrait pas comme en Suède ou en Finlande ? Je pense que la plupart des gens ressentent la même chose que moi. »
Oktay, lui, a rejoint son échoppe où il vend chaque jour, même le dimanche, des bonbonnes d’eau minérale. Son choix est aussi limpide que l’eau de ses bouteilles :« J’ai voté pour Recep Tayyip Erdogan, parce qu’il a fait beaucoup de choses, porté beaucoup de projets qui ont ouvert des nouveaux horizons à la Turquie. Pour moi, son gouvernement est un succès et j’ai envie que ça continue. Je n’ai aucune inquiétude sur l’issue du scrutin. Il n’y aura aucun problème, tout le monde va voter et ce sera une fête démocratique. »
Forte affluence à la mi-journée
Devant une école de Besiktas, un arrondissement fief de l’opposition à Istanbul, le bureau de vote ne désemplit pas. La file d’attente ne raccourcit pas depuis ce matin 8h, constate Anne Andlauer. C’est un bureau de vote dans lequel RFI s’était déjà déjà rendue aux précédentes élections en 2018, et même si les Turcs votent en général massivement, l’affluence à la mi-journée est nettement plus forte cette fois-ci. Et selon les informations qui parviennent de beaucoup d’autres bureaux dans beaucoup d’autres villes, c’est loin d’être un cas isolé.
Le taux de participation pourrait donc dépasser celui de 2018 – soit 86 % à l’époque. Une électrice sortant du bureau a aussi raconté que le bulletin à tamponner pour les législatives était particulièrement long cette année, car 24 partis présentent des candidats, et qu’elle avait mis plus de temps que d’habitude à bien le plier pour le glisser dans l’enveloppe. Cela explique peut-être aussi en partie la longue attente devant les bureaux.
Suat, un électeur de 26 ans rencontré ici, explique qu’il est allé voter avec enthousiasme parce que c’est la première fois que l’opposition a une vraie chance d’accéder au pouvoir et qu’il pense que ce sera un scrutin « historique ».
Des travailleurs électoraux préparent des bulletins de vote dans un bureau de vote lors des élections présidentielles et parlementaires, à Istanbul, en Turquie, le 14 mai 2023.
Des travailleurs électoraux préparent des bulletins de vote dans un bureau de vote lors des élections présidentielles et parlementaires, à Istanbul, en Turquie, le 14 mai 2023. REUTERS – DYLAN MARTINEZ
Dans le bureau de vote de Kadiköy, un quartier de la rive asiatique d’Istanbul, les électeurs se succèdent, raconte Guilhem Delteil, envoyé de RFI à Istanbul. Pas de queue sur les trottoirs, le vote se fait rapidement. Mais la mobilisation est forte. Les jeunes comme les personnes âgées affirment qu’il était important pour eux d’exprimer leur vote.
Pour eux, cette élection est plus importante encore que les précédents scrutins. C’est, disent-ils, l’avenir de la Turquie qui se joue aujourd’hui. Comme si le prochain mandat présidentiel serait déterminant pour le pays. Dans ce quartier assez huppé, nombreux sont les électeurs à afficher leur envie de changement. Ils évoquent l’avenir de la démocratie turque, les craintes qui pèsent sur la liberté d’expression ou encore l’état de l’économie.
Pour voter, certains parcourent de très longues distances. RFI s’est rendue ce matin dans une résidence universitaire où des chambres ont été réquisitionnées pour héberger des rescapés du séisme ayant quitté les zones dévastées. Il y a plus de 3 millions de déplacés dans le pays depuis le 6 février dernier. Et les délais pour s’inscrire sur les listes électorales de leur nouveau lieu de résidence étaient courts.
Pour eux, comme pour les étudiants originaires d’autres régions, il faut donc rentrer dans leur ville d’origine. Pour les déplacés des séismes du 6 février, cela signifie parcourir plus de 1 000 kilomètres dans chaque sens. Et signe de leur motivation : leur résidence universitaire était majoritairement vide ce matin. Les partis politiques avaient mis en place des bus pour leur permettre de voter et nombreux sont ceux, donc, qui ont fait le chemin.
Un « besoin de respirer »
Notre envoyée spéciale à Ankara, Céline Pierre-Magnani se trouvait ce matin devant le lycée anatolien de Heyclick, au nord de la capitale. Dans ce bureau de vote, en général, c’est une majorité AKP qui est sortie lors du dernier scrutin, mais la plupart des personnes interrogées sont visiblement favorables à l’opposition. Par exemple, Erol, qui se disait fébrile à l’idée d’un changement ce soir, et il dit avoir envie d’une meilleure gestion des affaires, d’une meilleure gestion notamment sur les questions économiques.
Le besoin de respirer, aussi, est une phrase qui revient vraiment souvent dans la bouche des électeurs qui sortent du bureau de vote. Un autre électeur notamment qui venait de sortir, cigarette à la main, Turgut, disait être très en colère contre les politiques. Il arrive de la région du Hatay, sinistrée par le tremblement de terre du 6 février, il était très en colère. Il est quand même venu voter, il a voté pour l’opposition, mais il espère surtout voir le président Erdogan quitter la présidence pour pouvoir espérer un meilleur avenir.
Le président turc Tayyip Erdogan dans un bureau de vote à Istanbul, Turquie, le 14 mai 2023.
Le président turc Tayyip Erdogan dans un bureau de vote à Istanbul, Turquie, le 14 mai 2023. REUTERS – UMIT BEKTAS
Un scrutin sous haute sécurité
Après une campagne particulièrement tendue, voire violente, la journée commence ainsi calmement. Le ministère de l’Intérieur a mobilisé près de 600 000 policiers, gendarmes et autres personnels chargés de garantir la sécurité du scrutin.
L’opposition, qui dit n’avoir pas confiance dans les autorités électorales, a aussi pris ses précautions pour s’assurer de la régularité des résultats. L’alliance qui soutient Kemal Kiliçdaroglu, le principal rival de Tayyip Erdogan, assure pouvoir compter sur plus d’un demi-million d’assesseurs et d’observateurs dans les bureaux de vote.
Mais la fraude est une crainte évoquée par les deux camps. Le ministre de l’Intérieur a même évoqué une « tentative de coup d’État » de la part de l’opposition soutenue par l’Occident. Et ce samedi encore, lors de l’un de ces derniers rassemblements de campagne, Recep Tayyip Erdogan a demandé à ses partisans de « surveiller les urnes ».
La fermeture des bureaux est prévue à 17h00 (14h TU).
L’opposition turque veut croire en une victoire de Kemal Kiliçdaroglu
D’un côté comme de l’autre, les partisans des candidats affirment que la victoire leur est promise, et dès ce soir, relate Guilhem Delteil. Leurs pronostics s’accordent sur un point : à leurs yeux, il n’y aura pas besoin de second tour. Recep Tayyip Erdogan et Kemal Kiliçdaroglu ne sont pourtant pas seuls en lice : il existe un troisième candidat. Mais la campagne s’est transformée en un duel.
Et entre les deux hommes, le ton a été vif. Recep Tayyip Erdogan accuse son adversaire d’être un « terroriste », d’avoir des liens avec le coup d’État manqué de 2016. Quand Kemal Kiliçdaroglu dénonce des ingérences russes en faveur de son adversaire et que son parti, le CHP, met en garde contre des risques de fraude, particulièrement dans les zones sinistrées par les séismes du 6 février dernier, mettant en doute l’actualisation des listes électorales.