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Attaques djihadistes/ Un sous-préfet malien fait des révèlations:”Des ex-combattants ivoiriens parmi les terroristes”

 

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Samedi 4 juillet 2015. Il est précisément 12h49mn quand nous mettons les pieds à Fakola, sous un soleil de plomb. Commune rurale du Mali située à 27 kilomètres au sud de la frontière ivoiro-malienne et à 45 km de la ville ivoirienne de Tengrela, Fakola a été attaquée dans la matinée du dimanche 28 juin 2015 par des combattants djihadistes se réclamant du mouvement Ansar Dine.

A l’entrée sud de ce gros bourg situé à environ 300 km de Bamako, la capitale malienne, rien n’indique au visiteur qu’il y a eu une incursion de présumés djihadistes sur les lieux, il y a moins d’une semaine. Mais, au fur et à mesure que nous avançons au cœur de la localité, nous constatons qu’il s’y est passé bien de choses. La vie est, en effet, au ralentie depuis le passage des combattants d’Ançar Dine. La preuve, plusieurs magasins, en cette mi-journée, restent encore fermés. Sous la canicule, les quelques commerçants, qui ont décidé de braver la chaleur et la peur, jettent à notre endroit des regards curieux. Ici, les gens se connaissent presque tous. Donc, la présence d’une personne étrangère est tout de suite remarquée. Dans cette psychose généralisée sur l’unique voie principale de la localité, nous traversons le marché sur notre moto-taxi et marquons un arrêt au niveau d’une vendeuse de lait de vache. Pour établir la conversation, nous nous improvisons en client et tendons un billet neuf de 1000F Cfa à la dame pour l’achat de lait. A la vue de ce billet, le visage de la dame s’illumine comme si on lui tendait une liasse de billets de banque. Elle nous fera comprendre, toute souriante, dans les échanges, que depuis le matin elle n’a pas pu avoir le moindre sou. Nous sommes, donc, le seul client qui lui permettra de ne pas rentrer avec la bourse vide à la maison après avoir bravé toute la canicule et la frayeur d’une éventuelle attaque de djihadistes non loin de la localité, selon elle. «Depuis que notre village a été attaqué, les clients se font rares. Tous ceux qui avaient réussi à fuir le village, ne sont pas retournés. Ceux qui sont revenus aussi, sont sur leur garde. Majoritairement, ils préfèrent rester devant leurs portes. Il est donc difficile depuis lors de faire de bonnes affaires. Rentrer à la maison avec même 500 F est un exploit, un don d’Allah», nous explique-t-elle. «La preuve, le marché est quasi-vide. Plus rien ne marche. De gros acheteurs que sont les orpailleurs clandestins, ont fui avec l’arrivée de nos militaires et leur présence tout le long de la forêt de Sama», ajoute-t-elle. Nous tenons là, une opportunité d’en savoir davantage sur les circonstances de l’incursion de présumés djihadistes la semaine dernière, et leur impact sur le quotidien des populations. Nous en profitons pour enchaîner les questions. A cœur joie, notre bonne dame, nez et oreilles ornés de boucles en étoffes de fil et de métal, se lâche. On apprend des échanges que c’est tôt le matin, précisément aux alentours de 6h, ce dimanche 28 juin, que des hommes armés, se réclamant du mouvement djihadiste Ançar Dine, ont pris le contrôle des lieux.

La marque Ansar Dine

Pour corroborer ses propos, elle affirme que les assaillants ont laissé leur signature à la mairie. Dans l’enceinte de cette administration, ils avaient dressé un drapeau noir sur lequel était écrit ”Ançar Dine Sud”. Un message clair pour signifier leur appartenance au groupe terroriste malien ”Ansar Dine” sévissant au Nord. Ce mouvement djihadiste compte, depuis peu, s’installer dans le Sud du Mali. Notre source a ajouté que les combattants djihadistes, qui ont assiégé Fakola, ont brûlé un véhicule des forces de sécurité maliennes et saccagé la sous-préfecture avant de s’attaquer au camp de gendarmerie, des Eaux et forêts et aux locaux de la mairie. «Ils étaient enturbannés. Ils avaient un drapeau noir et scandaient des versets du Coran. Ils ont d’abord attaqué le camp de la gendarmerie et ensuite le camp militaire où, selon ce qui nous a été rapporté par la suite, ils ont brûlé un véhicule de l’armée et saccagé le siège de la sous-préfecture», a-t-elle relaté. Après ces informations, elle nous indique les bureaux et la résidence du sous-préfet tout en prenant le soin d’ajouter qu’il n’est pas évident de le trouver sur place, sans l’avoir prévenu auparavant. «Je constate bien que vous êtes des étrangers. On se méfie beaucoup des gens qu’on ne connaît pas. On a peur. Tout le monde a peur y compris le sous-préfet. Son bureau a été attaqué et détruit. C’est parce que vous avez fait beaucoup d’achat et que vous ne présentez aucun signe visible de militantisme à Ançar Dine, que je me suis ouverte à vous sinon, je ne vous aurais rien dit. Sur place, vous verrez, les gens vont vous tourner en rond parce qu’ils ne vous connaissent pas. Ici, les habitudes ont changé radicalement. Pas question de montrer chez quelqu’un quand on ne te connaît pas. Si vous ne faites pas attention, votre présence sera immédiatement signalée», nous averti notre interlocutrice. Quoique prévenu, nous laissons notre guide et la commerçante et nous nous rendons à pieds à la résidence de l’administrateur civil pour y faire viser notre ordre de mission. Mais, comme prédit par notre informatrice, le maître des lieux n’est effectivement pas en place. Du moins, c’est ce qui nous est rapporté par ceux que nous trouvons sur les lieux. Des jeunes gens très méfiants qui demandent à savoir le mobile de notre présence avant de nous dire quoi que ce soit. Nous déclinons notre identité. Puis, nous leur signifions notre désir de présenter nos civilités au sous-préfet pour bénéficier de sa protection afin de continuer notre mission. L’un de nos interlocuteurs passe quelques coups de fil. Au terme des échanges, il indique que l’autorité venait de quitter Fakola et qu’il était au regret de ne pouvoir nous recevoir. Peiné, nous rebroussons chemin. Cette fois, nous mettons le cap sur la résidence du maire. Autre lieu, même résultat. Ici aussi, point de maître des lieux. On nous apprend que le maire est en mission hors de la ville. Sur les différents trajets, le constat est saisissant. Personne ne veut nous dire mot. Peur panique oblige. De retour, plus de 30 mn plus tard, notre commerçante, informée de notre infortune, dit nous avoir prévenu. Après des hésitations, elle nous donne le contact de l’un des jeunes leaders de Fakola, présent lors de l’arrivée des djihadistes. A l’en croire, ce dernier aurait été de ceux qui ont sensibilisé les populations à ne manifester aucun signe d’hostilité vis-à-vis des assaillants pour éviter des exécutions sommaires. «Quand ils ont pris la ville, les djihadistes ont fait un prêche dans lequel ils ont déclaré n’être pas venus s’attaquer aux populations, mais, qu’ils sont plutôt aux trousses des porteurs d’uniforme (treillis) et les serviteurs de l’État malien. Ils ont déclaré être venus combattre les ennemis de l’islam. Ils ont parlé. Personne n’a riposté parce que ce jeune-là et ses camarades nous avaient, par avance, enjoint de garder notre calme et que si nous ne pouvions pas le faire, de quitter Fakola. Je pense que lui pourra t’informer plus que moi», a-t-elle signifié. Joint au téléphone par la vendeuse de lait, ce jeune leader dont nous gardons volontiers l’identité, a accepté de se prêter à nos questions.

Pourquoi Fakola est tombé facilement

De notre entretien, on retiendra, au titre des dégâts laissés par les djihadistes assimilés à des terroristes, que ce sont les infrastructures de sécurité et de l’administration de ce village du cercle administratif de Kolondiéba et de la région de Sikasso qui ont été visés et détruits. «Les djihadistes sont venus par groupes de dix en voiture et par groupes de deux à moto. Ils ont pris d’assaut les principaux points d’entrée et de sortie du village. Notamment le côté sud, qui part à la forêt de Sama près de la frontière Sud avec la Côte d’Ivoire au côté Nord qui mène à la ville ivoirienne de Samatiguila. Par la suite, ils se sont attaqués aux symboles de l’Etat, à savoir la sous-préfecture, la base du détachement de la gendarmerie et la mairie. Mais, ils n’ont rencontré aucune résistance tout simplement parce que tous les éléments du détachement de la gendarmerie et ceux commis à la surveillance de la sous-préfecture avaient fui. Des habitants ont fait de même. Et aujourd’hui, la plupart de ceux qui sont revenus, restent toujours angoissés et apeurés», a-t-il confié.

Forêt de Sama, Sokourani, le gîte des djihadistes

Revenant sur l’état d’esprit des populations qui n’est toujours pas à la sérénité, en dépit du dispositif impressionnant de sécurité déployé dans la zone (surtout dans le village de Sama, théâtre des opérations où sont déployés des blindés et des centaines d’hommes armés jusqu’aux dents), le jeune leader explique que les combattants djihadistes se sont retranchés dans la forêt frontalière entre la Côte d’Ivoire et le Mali. Il s’agit d’une forêt qui s’étend de Sama à Soromana, côté malien, et de Fafala (région de la Bagoué) et Mahandjana (région du Kabadougou) en territoire ivoirien. «L’attaque de notre village était prévisible, puisque les habitants de Sama, qui est un village voisin avec votre pays (la Côte d’Ivoire) avaient tiré la sonnette d’alarme par rapport à la présence des djihadistes dans cette forêt frontalière. Selon les informations recueilles après l’attaque, ils ont même fait un rapport détaillé adressé aux autorités maliennes sur leur présence dans cette zone. Même le Procureur de Sikasso a eu copie du rapport. Nos autorités militaires n’ont pas vite pris la mesure du danger et ce qu’on a redouest arrivé. Les assaillants sont encore présents là où ils sont sortis pour mener l’attaque», est-il convaincu. Comme notre interlocuteur, de nombreux habitants de Fakola demeurent encore dans la hantise d’une nouvelle attaque djihadiste. Outre la présence des djihadistes dans la forêt de Sama, notre informateur a révélé qu’un autre groupe s’est dirigé vers Sokourani. Cette localité, dira-t-il, «est un fief d’intégristes religieux situé dans le cercle de Kolondiéba dont fait partie notre village (Fakola). Comprenez dès lors que les populations ne peuvent pas être sereines. Elles ont peur et restent sur leur garde. C’est une peur légitime», apprécie-t-il. Au terme de l’entretien avec ce leader de la jeunesse de Fakola, qui avait été attaquée 24 heures après Nara, dans la région de Koulikoro, et plus d’une semaine après Misséni également proche de la frontière ivoirienne, nous nous dirigeons vers le domicile de l’imam de Fakola. Sur notre route, au niveau du marché, à moins de 30 mètres, nous apercevons notre guide aux mains des gendarmes maliens.

7 heures dans l’enfer malien

Ceux qui le détiennent nous aperçoivent au même moment. Flairant le danger, nous entrons dans un magasin de portable pour y simuler l’achat d’un appareil photo. Mais, sans se laisser distraire, ces gendarmes, visiblement lancée à nos trousses, vont boucler tout le périmètre. Fouillant tous les magasins avec notre guide pour nous identifier. A preuve une fois dans le magasin dans lequel nous nous trouvions, ce dernier nous désigne, et sans aucune forme de procédure, l’un des gendarmes pointe son arme (un pistolet automatique) sur notre tempe. Nous sommes mis aux arrêts. Bien que nous présentons tous nos documents, (carte de presse, ordre de mission, etc), l’agent reste intraitable et menace même de nous abattre si nous opposons une quelconque résistance. En route à destination de la brigade de gendarmerie, à moins de 20 mètres, nous dépassons la mairie. L’une des structures de l’État touchée par les djihadistes sur leur passage. Depuis notre position, nous apercevons le portail défoncé. Cette ouverture permet à tout visiteur de voir des portes des bureaux saccagés par les assaillants. Moins de 5 minutes plus tard, nous sommes sur les ruines du poste de gendarmerie. Il ne reste plus rien. Tout a été détruit par les obus que les djihadistes y ont jetés. Des pans du mur, qui ont résisté, sont totalement dénudés et décoiffés, noircis par le feu. Preuve visible de l’antipathie qui anime les djihadistes vis-à-vis des soldats maliens. Tout le bois de la charpente, ou encore la porte d’accès et les fenêtres ont été réduits en cendres. Les tôles déchiquetées et éparpillées cà et là, portent encore les stigmates des tirs djihadistes qui ont visé ce service de l’armée malienne. C’est un arbre à proximité de ce poste totalement incendié qui fait désormais office de brigade. C’est à l’ombre de cet arbre que le chef du peloton va passer le message de notre arrestation. Son rapport à différentes unités sur le terrain pour barrer la route aux djihadistes est sentencieux et sans appel. Il ne nous présente, ni comme un présumé djihadiste, ni comme un collaborateur de mouvement islamiste, mais comme un djihadiste tout court. Morceaux choisis: «Mes éléments et moi venons d’appréhender deux djihadistes venus de Côte d’Ivoire. L’un se dit journaliste sans l’autorisation du ministre de l’Administration du Territoire et le second prétend être moto-taxi». Puis d’enfoncer le clou. «Nous avons saisi et fouillé leurs affaires. Nous avons trouvé des appareils d’enregistrement, de prise de vue et un ordre de mission qui n’est pas signé de notre ministre chargé de l’Administration du Territoire. Il a contourné toutes nos positions précisées de manière illisible dans son cahier de notes qu’il appelle carnet de reportage pour venir nous surprendre ici. Il est manifeste qu’il est rentré de manière clandestine sur notre sol avec certainement des complicités internes pour connaître avec exactitude nos positions et notre positionnement sur le terrain; je vais le ”cuisiner” pour qu’il parle», clame-t-il. Et il fera comme il venait de le dire. Nous sommes d’emblée menotté à la roue avant de la moto du guide. Torses nus, assis à même le sol, nous avons le poignet gauche menotté au poignet droit de l’infortuné conducteur de taxi-moto accrochés à la roue avant de l’engin sur lequel nous effectuons le reportage. Pis, à plusieurs reprises, il n’hésitera pas à nous ”rentrer dedans”, selon sa propre expression chaque fois que nous le contredisions dans son exposé des faits. Devenu prisonnier de guerre, tout nous est refusé. Même l’eau pour les ablutions. Notre compagnon, qui pense être en train de vivre ses derniers instants sur terre, réclame de l’eau pour invoquer Allah. Mais, il n’aura pas ce droit. 45 mn plus tard, un commando de plus de 20 militaires déployés sur le front à Sama quitte leur base et arrive au poste en question, armés de kalachnikov, de mitraillettes lourdes et de lance-roquettes. Objectif: Récupérer les djihadistes pris et les exécuter. Au chef de cette unité, notre guide qui a totalement perdu l’espoir, va jusqu’à renier sa nationalité ivoirienne. «Mon père est malien originaire de Ségou. C’est à son décès que ma mère est allée s’installer à Tengrela. Sinon, je suis de Ségou», se débat-t-il, pensant avoir ainsi trouvé une bouée de sauvegarde. Constatant l’échec de ce plan, il change de stratégie. «Je jure, je ne le connais même pas. Je ne l’ai jamais vu. Je ne sais rien sur lui. Je suis juste venu le déposer. Je ne suis pas mêlé à son espionnage», se défend-t-il en vain, au sujet de sa rencontre avec nous. Avant de demander tout en pleurs si nous étions espions. Tous nos efforts pour le rassurer restent vains. Nous tentons de lui expliquer que nous serons libérés dès que les vérifications de notre identité auront été faites. Mais, il reste sourd à ces explications. Rien ne peut plus le rassurer. Même pas le fait que les militaires soient partis sans nous pour nous exécuter, encore moins nos aveux aux forces maliennes qu’il n’était pas mêlé à la mission. «Nous avons informé déjà Kolondiéba où des vérifications ont été faites. Il semble qu’il est vraiment journaliste, mais il n’ pas seulement une autorisation. D’ailleurs, un préfet ivoirien avait fait une demande dans ce sens pour leur journal gouvernemental qui a été rejeté. En outre, il n’est pas le journaliste pour lequel des tractations avaient été engagées. Et sans autorisation, nous l’avons surpris en train de faire des images de la mairie», affirme en langue locale (Bambara) le chef de poste qui, une demi-heure plutôt, faisait preuve d’un zèle débordant estimant avoir réussi à arrêter des djihadistes. Quand nous réagissons pour dire que nous n’avons pas été sur ce site et que c’est seulement lors de notre arrestation et en partance au poste de gendarmerie que nous avons vu de loin les locaux de la mairie, il s’énerve et nous donne de violents coups de pied. «Vous les Ivoiriens, vous avez la bouche mielleuse. Vous voulez nous empêcher sur notre sol de dire ce que nous voulons? Cà, jamais! On est chez nous. On dit ce qu’on veut…», fulmine-t-il. Bien qu’ayant des informations sur notre identité, ce traitement réservé aux djihadistes nous surprend. Nous qui nous attendions légitimement à être relaxé. Nous restons hélas menottés à la moto jusqu’à l’arrivée, trois heures plus tard d’une unité de la gendarmerie de Kolondiéba dont dépend Fakola. Aux environs de 16h, un pick-up de cette unité de l’armée malienne s’immobilise. Après des échanges, nous sommes conduits à bord de ce véhicule. Et là commence un nouveau calvaire. Cette fois d’une menotte, nous en avons deux qui nous retiennent à deux barres de fer du siège de ce véhicule de transport de troupes. Nos deux mains sont reliées et nous sommes assis au milieu des deux sièges de l’engin. Par dessus nos têtes, sont positionnés deux gendarmes commandos lourdement armés. Avant que le véhicule ne s’ébranle, des prières sont faites pour souhaiter que le convoi ne tombe pas sur des djihadistes. Nous comprenons que ce ne sera pas une partie de plaisir comme nous le démontre au départ nos conditions de détention. Sur une piste de 75 km dégradée, chaque fois que le véhicule (lancé à vive allure pour rentrer avant la tombée de la nuit et éviter de rencontrer dans la pénombre des combattants djihadistes) tangue, c’est soit une côte, une épaule ou encore la tête ou le dos qui heurte une barre de fer. A l’avant, ce sont nos deux têtes qui se heurtent violemment. Comme si cela ne suffisait pas, la pluie vient se mêler à la partie. Pendant ce temps, sur cette route périlleuse où l’on redoute des combattants djihadistes embusqués dans la savane boisée, les deux commandos, à chaque virage, tiennent fermement la main sur la gâchette. Prêts à libérer des rafales sur tout ce qui bouge. C’est à ce moment que nous craignons le pire. Nous nous rendons à l’évidence qu’à tout moment, nous pouvons tomber sur des djihadistes et que cette infortune peut sceller notre sort. Aussi, le cœur battant la chamade à chaque minute qui s’écoule, nous mettons-nous à la prière. Pas pour que notre identité soit confirmé à Kolondiéba et que les soupçons de collaboration avec des mouvements terroristes soit levés. Mais, pour ne pas tomber sur des djihadistes lors du voyage. Vers 19h, quand nous arrivons à Kolondiéba, nous poussons un ouf de soulagement et rendons gloire au Seigneur. Nos vœux sont exaucés. Par ces temps de grâce, en plein jeûne du ramadan. Sur place, les engins de sûreté nous sont retirés des poignets, et nous sommes conduits pour un interrogatoire de confirmation de notre identité et des motifs de notre mission à Fakola, dans le bureau du commandant adjoint chargé de l’instruction.

Tous à bout de nerf…

Au terme du débriefing, nous sommes libérés avec à la clé des excuses pour «le traitement inhumain» qu’on a fait subir au journaliste que nous sommes dans l’exercice de nos fonctions. «Nous déplorons tous cet incident grave. Mais, il faut savoir que nos militaires et nous mêmes, gendarmes, sommes tous à bout des nerfs. En outre, de nombreux Ivoiriens ont intégré les rangs des mouvements djihadistes. Ceux de vos ex-combattants qui n’ont pu être réintégrés, se sont orientés ici et combattent actuellement avec les islamistes. Donc, quand nous ne sommes pas informés d’une mission de ce genre, on vous assimile immédiatement à des collaborateurs de djihadistes. Quand on voit quelqu’un qui est suspect, on l’arrête et on vérifie après. On ne peut pas faire autrement. Comment faire pour déceler des combattants ennemis qui se dissimulent facilement aux populations et qui nous livrent une guerre asymétrique? Pas facile. Nous sommes bien au bord de la crise de nerfs», ont confié plusieurs agents. Si nous pouvons nous réjouir d’avoir été libéré et de n’avoir pas été gardé à vue dans cette brigade qui abrite le centre de coordination des opérations militaires en cours à Fakola et dans la forêt frontalière de Sama, nous n’aurons pas la chance d’avoir l’autorisation de retourner à Fakola. «C’était l’une de vos conditions pour signer votre déposition, mais nous ne pouvons pas vous autoriser à retourner à Fakola pour la simple raison que c’est toujours une zone de guerre et que le ratissage se poursuit. Tous les éléments sont tendus, et après l’incident de ce matin, nous avons peur des dérapages. Vous serez donc conduit au poste frontalier de Nigouni en contournant Fakola», a précisé un des responsables de la brigade de Kolondiéba. Ville où nous passons finalement la nuit dans une suite de l’hôtel Dakan, (quartier Est) à 7.500F Cfa. Le lendemain, dimanche, c’est par la route Kolondiéba-Kadiana que nous serons expulsés. Sur cet axe, nous prenons place vers midi dans un mini-car de 22 places qui rallie Tengrela à Sikasso. A bord, 28 passagers. Pour s’assurer que nous ne retournerons pas à Fakola, un militaire est du voyage et ne nous lâche pas de la semelle. Au poste frontalier de Kadiana, où nous marquons un arrêt vers 16h et y rencontrons le sous-préfet de la ville, cet administrateur civil accepte de se prêter à nos questions. Bakary Djoman Diakité, qui était sur le terrain pour remonter le moral des troupes, va confirmer ce qui avait été révélé à Kolondiéba, la veille. «Il y a plusieurs nationalités qui combattent aux côtés des troupes ennemis. La présence de combattants ivoiriens nous a été effectivement signalée à plusieurs reprises. Mais, cela n’est pas de la faute du président ivoirien», a-t-il lâché, avant d’exprimer toute sa gratitude pour le coup de main du voisin ivoirien. «Grâce au président Ouattara, nous avons pris les djihadistes au cou. Ils sont localisés dans une forêt, et il y a des forces coalisées des deux pays pour les traquer et les déloger. La Côte d’Ivoire a carrément ceinturé la frontière et nos rebelles et terroristes ne savent plus où aller. Sans l’appui du président Ouattara, ils y auraient planifié des attaques pour prendre des localités du Sud. Nous ne cesserons jamais de traduire notre profonde gratitude au président Ouattara pour ses innombrables efforts en faveur de la stabilité et du maintien de l’intégrité territoriale du Mali», a-t-il conclu. Après cet entretien, nous quittons ce poste frontalier sous le coup de 17 h à destination du village Nigouni qui abrite le poste frontalier ivoirien. A notre arrivée, à 18 h03 mn, nous attendaient des gendarmes en poste à la brigade de Tengrela. Là s’arrête la mission pour leur collègue malien. Ainsi que pour nous en terre malienne.

Au nom du droit du public à l’information…

Quand bien même que nous ayons pris des précautions pour éviter d’ébruiter notre mission à Fakola, ceux qui ont pu en être informés et qui nous ont joint lors du voyage, ont exprimé ouvertement leurs inquiétudes. « Qu’est ce que tu vas chercher là-bas ? C’est très dangereux. Fakola, c’est une zone de guerre ». D’autres résignés, préféraient nous confier au Seigneur. « Que Dieu te guide, te protège afin que tu revienne sain et sauf ». qu’ils soient de la société civile, des milieux financiers et politiques, tous ceux qui nous ont joint, au-delà de l’affection et de l’estime qui nous étaient ainsi exprimées, ont occulté un aspect fondamental de notre art : le droit du public à l’information. Au nom de ce droit, tous les risques même les « plus fous » dont l’incursion dans une localité frappée par la nébuleuse djihadiste nommée Ançar Dine, sont permis. Surtout qu’il n’existe pas, pour ainsi dire, de journalisme sans obstacles et que même les épreuves sont une opportunité en matière d’investigations…

En outre, Allah était là… Pas Allah des intégristes…Parti sain dans l’enfer malien, nous en sommes revenus sauf. Certes, il y a eu de grosse frayeur. Mais, nous en sommes tout de même revenus sain. Comme quoi, Allah dont nous n’avons pas douté de la Miséricorde, était là. Pas Allah des intégristes et autres fondamentalistes. Pas Allah des poseurs de bombes, qui ôtent à la vie à leur prochain en son nom, au nom d’un djihadisme fabriqué et débridé. Mais, ce Allah, Maître des espaces céleste et terrestre, Amour et Pardon… A propos, le guide de la communauté musulmane de la Riviéra-Golf à Abidjan-Cocody, l’Imam Mamadou Traoré, a confié au téléphone, ce qui suit : «Nous constatons avec amertume la prolifération, ces dernières années, de mouvements armés extrémistes se réclamant de l’Islam et hissant le pavillon du djihad. Ces groupes qui sévissent dans plusieurs régions du Moyen-orient et d’Afrique se rapprochent de nos frontières. Nos jeunes ne doivent pas se laisser tenter par les discours haineux de ces mouvements qui n’ont rien à voir avec l’Islam, qui est une religion de paix et de tolérance, une religion dont la méthode de diffusion est plutôt basée sur la sagesse et la bonne exhortation et non la violence et la terreur. La violence verbale même en réponse ou en réaction à une offense, le fait de tuer ou blesser des personnes innocentes, au nom d’un prétendu djihad, sont proscrites en Islam, qui prône l’amour du prochain ».

 

TRAORE Tié, Envoyé spécial

L’Inter

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