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Bénin / La constitution : une modification sera apportée

Si elle ne marque pas l’avènement d’une « nouvelle République », la révision constitutionnelle comporte des modifications profondes pour la vie politique du pays. Tour d’horizon de ce qui va changer avec ce nouveau texte. Et des flous qui persistent.
Après deux tentatives infructueuses menées à l’initiative de Patrice Talon au cours des deux premières années de son mandat à la tête du pays, une révision constitutionnelle majeure a été adoptée par l’Assemblée nationale, le 1er novembre dernier. Validée mercredi 6 novembre par la Cour constitutionnelle, elle a été promulguée le lendemain par le chef de l’État.
Fruit des propositions issues du dialogue politique convoqué par le président béninois pour tenter de sortir de la crise politique ouverte par les élections législatives d’avril dernier, lors desquelles aucune liste de l’opposition n’avait pu concourir, cette révision constitutionnelle va apporter des changements de fonds sur la scène politique.
La limitation à deux du nombre de mandats présidentiels est inscrite dans le marbre, un poste de vice-président est créée, le nombre de députés va changer, ceux-ci vont voir leur mandat rallongés et les Béninois devraient, à partir de 2026, voter lors d’élections générales couplant, une même année, la présidentielle, les législatives et les scrutins locaux.
Tour d’horizon de ces modifications de fonds qui, insistent pourtant les députés, ne constituent cependant pas l’avènement d’une nouvelle République.
• Une révision, pas une nouvelle Constitution
Patrice Talon lors des rencontres avec les parlementaires, le 17 octobre 2019.
Les députés béninois sont formels : l’opération de modification de la Constitution du 11 décembre 1990 n’établit pas une nouvelle Constitution. Ils ont tenu à l’inscrire noir sur blanc dans le texte constitutionnel amendé.
L’enjeu est d’éviter l’une des hantises du révisionnisme constitutionnel : le principe de la « remise à zéro des compteurs ». Un argument qui peut être invoqué par les présidents en place au moment de la révision constitutionnelle pour s’affranchir d’une éventuelle limitation du nombre de mandats présidentiels.
Ici, il s’agit bien d’une « loi modificative », en raison d’une part de la faible ampleur du nombre d’articles modifiés – 47 articles sur 160, soit un peu moins du tiers – mais, surtout, de la préservation « des piliers fondamentaux du modèle démocratique et politique » du pays. En l’occurrence : « Le caractère républicain et unitaire de l’État, la laïcité, la limitation du nombre de mandats présidentiels, la limitation de l’âge des candidats à l’élection présidentielle ».

POUR UNE PARTIE DE L’OPPOSITION, C’EST UNE DISPOSITION QUI VISE À ÉCARTER DÉFINITIVEMENT L’ANCIEN PRÉSIDENT THOMAS BONI YAYI

La Constitution du 11 décembre 1990 a instauré la limitation des mandats présidentiels à deux comme un principe majeur. Un principe encore renforcé dans la nouvelle mouture de la loi fondamentale : « En aucun cas, nul ne peut, de sa vie, exercer plus de deux mandats de président de la République », établit l’article 47.

Si auparavant, un flou subsistait sur la possibilité pour un président qui a fait deux mandats successifs d’être à nouveau candidat des années après son départ de pouvoir – à l’image d’un Vladimir Poutine en Russie -, désormais le texte est sans ambiguïté.

Pour une partie de l’opposition, c’est une disposition qui vise à écarter définitivement l’ancien président Thomas Boni Yayi. Les partisans du président Patrice Talon soutiennent pour leur part qu’elle s’applique en premier lieu à ce dernier, constitue plutôt la preuve de sa bonne foi à ne pas profiter de la révision constitutionnelle pour faire plus de deux mandats.

La limitation du nombre de mandat n’est, en outre, pas limitée au seul président. Un député ne peut désormais renouveler son mandat plus de deux fois. L’enjeu est d’assurer un renouvellement voire un rajeunissement de la classe politique.

• Un « ticket présidentiel » comparable au système nigérian

S’IL EST ÉLU AU SUFFRAGE UNIVERSEL EN MÊME TEMPS QUE LE PRÉSIDENT, LES DISPOSITIONS PORTANT SUR LA DESTITUTION DU VICE-PRÉSIDENT FONT POLÉMIQUE

La nouvelle Constitution crée un poste de vice-président, élu en duo avec le président de la République – à l’image du modèle du voisin nigérian. La principale incidence porte sur la gestion d’une éventuelle vacance du pouvoir. Jusqu’ici, c’est le président du parlement qui devrait remplacer le chef de l’État et, en cas de vacance définitive, était tenu d’organiser de nouvelles élections dans les 40 jours. Une disposition qui risquait de remettre en cause la pérennité des élections générales (voir ci-dessous).

Le vice-président aura pour fonction officielle principale d’assurer la vacance de la présidence de la République. Il aura également la mission de représenter le président, à la demande de celui-ci, dans le pays ou à l’étranger.

Mais s’il est élu au suffrage universel en même temps que le président, les dispositions portant sur sa destitution font polémique. Le vice-président peut en effet destitué « pour manquement grave » par le Parlement (vote à la majorité qualifiée des deux tiers), sur demande du président de la République. Le président de la République nommant alors son successeur.

Le texte comporte par ailleurs des ambiguïtés propre à alimenter d’éventuelles batailles de constitutionnalistes. Il ne précise ainsi pas explicitement si le vice-président est soumis à la même limitation de mandat que le président. Il n’interdit par ailleurs pas explicitement à un ancien président de se porter candidat au poste de vice-président.

• Alignement des mandats et instauration d’élections générales

« INSTRUMENT D’EXCLUSION » OU « MOYEN D’ASSURER LA PRÉPONDÉRANCE DES PARTIS » ?

La révision constitutionnelle prévoit l’obligation, pour les candidats à la présidentielle, d’obtenir le parrainage d’élus. Le texte renvoie cependant à une loi la mise en place des modalités précises de ce parrainage, tant sur le nombre de parrainages requis que sur le statut des élus qui peuvent les accorder.

Le comité d’experts avait proposé de se reposer sur les conseillers communaux ou locaux – un peu plus de 30 000 élus. Si l’option de se contenter de faire reposer les parrainages sur les seuls députés, désormais au nombre de 109 (voir ci-dessous), le « marché » des parrains potentiels serait âprement disputé, et le nombre de candidatures à la présidentielle drastiquement réduit.

Victor Topanou, rapporteur du dialogue politique, assure que « l’enjeu de ce système est d’assurer la prépondérance des partis politiques dans le jeu électoral ». Et ce, alors qu’« aucun parti politique n’a gagné la présidentielle depuis 1991 », justifie-t-il. Il affirme cependant que les candidats indépendants ne seraient « pas exclus », à la condition qu’ils rassemblent le nombre de parrainages nécessaires… Le Pr Joël Aïvo, spécialiste de droit constitutionnel, dénonce pour sa part la mise en place d’« un instrument d’exclusion ».
• Augmentation du nombre de députés

L’OBJECTIF : CORRIGER LES DISPARITÉS ENTRE CIRCONSCRIPTIONS

Les députés passeront de 83 actuellement à 109, l’argument avancé étant d’ordre démographique : les béninois sont plus nombreux, ils ont donc besoin de plus de représentants. Autre argument avancé par le comité d’experts : il convenait de corriger les disparités entre circonscriptions, sans remettre en cause « les droits acquis » par celles qui étaient jusque là bien dotées.

Troisième argument pqui a plaidé en faveur du gonflement du nombre de députés : prendre en compte la mise en place de quotas en faveur des femmes. Un effort encore timide (voir ci-dessous), puisque, sur les 109 députés, 24 sièges au minimum leur sont réservés.

• Femmes : une timide politique de quota
Louis Vlavonou, président du Parlement, a salué “une nouvelle page de l’histoire” du Bénin
La loi modificative de la Constitution a réaffirmé le principe de l’égalité de l’homme et de la femme – excluant a priori des mesures de discrimination positive – , mais autorise cependant la mise en place de « mesures spéciales pour l’amélioration de la représentation du peuple par les femmes ».

À l’Assemblée nationale, 24 sièges, minimum, leur seront réservées. Aucun quota n’a cependant été mis en place pour les assemblées communales et locales. Par ailleurs, celles et ceux qui plaidaient pour l’instauration plus globale de quotas favorisant la parité – au sein du gouvernement, de l’administration publique et autres structures publiques ou diplomatiques – n’ont pas été entendus.

• Création d’une Cour des comptes
La Chambre des comptes – rattachée à la Cour suprême, n’avait jusqu’à présent ni l’indépendance, ni les moyens nécessaires pour assurer un contrôle efficient des comptes publics.

La création de la Cour des comptes, portée sur les fonds baptismaux par la révision constitutionnelle, fait l’objet d’un vaste consensus dans le pays. Elle permettra par ailleurs de satisfaire une directive communautaire de l’UEMOA, qui demande au Bénin la mise en place de cette Cour des comptes depuis une dizaine d’années.

• Ratification des accords internationaux
Une nouvelle disposition de la Constitution confirme que la ratification des traités de paix, des traités ou accords internationaux relève du pouvoir législatif, mais ajoute que, concernant les conventions de financement soumises à ratification, ces dernières seront désormais ratifiées par le président de la République, qui en rendra ensuite compte à l’Assemblée nationale dans un délai de 90 jours.

Cette disposition, qui figurait dans les anciens projets de révision constitutionnelles, avait suscité de vifs commentaires, nombre de critiques pointant une intrusion de l’exécutif dans les prérogatives des parlementaires.

• La reconnaissance des chefferies traditionnelles
« L’État reconnaît la chefferie traditionnelle gardienne des us et coutumes ». Cette simple phrase entérine une vieille revendication du conseil des rois du Bénin, terre d’illustres royaumes. mais là encore, le texte renvoie à la promulgations de lois ultérieures le soin de fixer les conditions de cette reconnaissance.

Avec jeune afrique

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