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Burkina: Etienne Zongo, Un detenteur des secrets sur la mort de Sankara vient de mourir avant la publication de son livre temoin

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Quelques mois avant sa disparition, Zongo avait entrepris d’écrire ses mémoires. Il voulait raconter sa vie d’aide de camp d’une des figures de l’Afrique contemporaine. Il voulait aussi apporter des éléments sur les circonstances de l’assassinat de Sankara. Il a été inhumé ce jeudi.

La chute de Blaise Compaoré il y a deux ans lui avait redonné des ailes. Cet homme à l’évidence hanté à jamais par la mort le 15 octobre 1987 de son mentor et ami, Thomas Sankara, était petit à petit sorti du silence qu’il s’imposait depuis des années. Il avait accepté de parler, en off d’abord, puis publiquement, et avait commencé à livrer des détails sur la fin tragique de celui qu’il était censé protéger.

Il s’était même pris à rêver d’un retour définitif au pays. Il n’en aura pas eu le temps : Etienne Zongo, le fidèle aide de camp de Thomas Sankara, est mort le 3 octobre dans son pays d’exil, le Ghana, des suites semble-t-il d’un cancer. Son corps a été inhumé le 13 octobre dans son village de Laye, situé à 35 km de Ouagadougou, sur la route de Ouahigouya.

De l’aide de camp à l’ange gardien

Dans Capitaine Thomas Sankara, le documentaire de Christophe Cupelin sorti en salles l’année dernière et réalisé avec des images d’archives, il était de tous les plans ou presque. Seuls ceux qui le connaissaient ont reconnu sa silhouette longiligne et son visage juvénile escorter de près Thomas Sankara. Fidèle à sa fonction et à son tempérament, il faisait attention à ne jamais prendre la lumière. Héros anonyme d’un film qu’il avait vu et apprécié, Etienne Zongo fut avant tout le témoin privilégié, puis oublié, d’une révolution.

Sankara avait fait de lui son ange gardien dès le début de la révolution en 1983, au hasard d’une rencontre en haute altitude. Les deux hommes ne se connaissaient pas avant l’accession au pouvoir du fougueux révolutionnaire. Etienne Zongo était alors un sous-officier de l’armée de l’Air gagné par les idées progressistes. Sankara, séduit par sa bonhomie au cours d’un vol les menant au Niger, l’avait choisi pour être son aide de camp.

« C’est lui qui réglait tous les détails de la vie de Thomas Sankara, lui évitant de se perdre dans des petits problèmes matériels notamment », écrit le biographe de Sankara, Bruno Jaffré, dans un hommage publié le 9 octobre sur lefaso.net. « C’est lui aussi qui s’occupait des rendez-vous, organisait son quotidien, son emploi du temps. Il connaissait évidemment beaucoup de choses sur les rapports entre les dirigeants de la Révolution mais aussi avec les autres chefs d’Etat. »
Même s’il les livrait avec parcimonie, Zongo se plaisait à raconter les anecdotes mettant en scène Sankara et ses pairs : Houphouët, Rawlings, Mitterrand… Ou ces moments d’intimité partagés avec un homme qu’il continuait d’aduler vingt-cinq ans après sa mort. Parfois, il se désolait, aussi, de n’avoir pas pu empêcher le complot contre celui qui était devenu, au fil du temps, son ami ; de n’avoir pas réussi à le convaincre de prendre les devants.

30 minutes après le coup de feu

Comme tous les autres collaborateurs du Président, il avait eu vent des ambitions de Blaise Compaoré et avait mis en garde Sankara. « On savait qu’il allait se passer quelque chose. Thomas aussi le savait. Mais il refusait d’aborder la question », expliquait-il en décembre 2015 dans une brasserie des Champs-Elysées. Le jour de son assassinat, Zongo était à l’autre bout du Burkina : un sous-officier l’avait appelé pour lui dévoiler les contours du complot… « Je suis rentré 30 minutes après le coup de feu », déplorait-il.

Après la prise du pouvoir par Compaoré, Zongo a subi le même sort que les autres partisans de Sankara : la détention durant près de deux ans, puis l’exil dans le Ghana de Jerry Rawlings. Zongo envisage un temps de mener la contre-offensive avec un autre fidèle sankariste, Boukary Kaboré, dit « le Lion ». Mais après avoir échappé à une tentative d’assassinat, il prend ses distances avec les armes et la politique.

Rawlings, duquel Zongo est resté proche jusqu’à sa mort, le « case » dans la compagnie aérienne nationale, Ghana Airways, où il officie en tant que pilote. Au début des années 2000, il se lance dans les affaires, au Ghana d’abord (dans le pétrole), puis au Congo-Brazzaville (dans le bois). Depuis plus de dix ans, il vivait entre ces deux pays, et passait de temps en temps en France.

« Je sais trop de choses »

Contrairement à d’autres qui, après plusieurs années d’exil, sont revenus à Ouagadougou, parfois la queue entre les jambes, Zongo n’a jamais envisagé de rentrer au Burkina tant que Compaoré en était le maître. Autant par fierté que par crainte des représailles. « Je sais trop de choses », disait-il. Quand, en octobre 2014, les manifestants ont poussé Compaoré à fuir le pays, Zongo a repris espoir.

« Rien ne m’empêche plus de rentrer », se réjouissait-il quelques semaines après l’insurrection. Comme Mariam, la veuve de Sankara exilée en France, il s’y est rendu à plusieurs reprises pour tâter le terrain. Mais comme elle, il ne s’est pas résolu à s’y installer.

Un ami à lui se souvient qu’il était à Ouagadougou le 16 septembre 2015, lorsque des éléments du Régiment de la sécurité présidentielle, fidèles à Blaise Compaoré, ont tenté de prendre le pouvoir par la force. « Le lendemain, il avait précipitamment quitté le pays. Il craignait pour sa vie. »
Quelques mois avant sa disparition, Zongo avait entrepris d’écrire ses mémoires. Il voulait raconter sa vie d’aide de camp d’un des héros de l’Afrique contemporaine. Il voulait aussi apporter des éléments – précieux, forcément – sur les circonstances de son assassinat. A-t-il eu le temps de tous les transmettre au juge qui enquête sur la mort de Sankara et qui l’a auditionné il y a quelques mois à Ouagadougou ?

« Il avait, semble-t-il, commencé à livrer ce qu’il savait », écrit Bruno Jaffré. Ce dernier, comme d’autres sankaristes, s’interroge sur les circonstances de sa mort. « Une autopsie a été réalisée à l’hôpital militaire d’Accra, qui a conclu à l’existence d’un cancer des poumons. Mais davantage de précisions sont nécessaires pour écarter tout soupçon. »

Jeune Afrique

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