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Burkina Faso: l’ancien ambassadeur de France Emmanuel Beth parle du colonel Zida

Emmanuel beth

Au Burkina Faso, les militaires ont-ils vraiment rendu le pouvoir aux civils ? Certes, le nouveau président de transition, Michel Kafando, est un civil, mais son Premier ministre, le lieutenant-colonel Zida, n’est autre que l’homme fort qui a dirigé le pays ces trois dernières semaines. Jusqu’à l’an dernier, le général Emmanuel Beth était ambassadeur de France à Ouagadougou. Aujourd’hui, il travaille dans un gros cabinet privé de veille stratégique, ESL Network, qui conseille les plus grosses entreprises du CAC 40. L’ancien officier et diplomate français livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : Le tandem Michel Kafando-Isaac Zida. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Général Emmanuel Beth : En la matière, cette question appartient aux Burkinabè, notamment à toutes les équipes qu’elles soient de l’opposition politique, de la société civile, peut-être aussi des militaires d’avoir défini la charte sur les structures de la transition jusqu’aux élections présidentielles.

Il y a deux jours, tout le monde se félicitait de voir les militaires rendre le pouvoir aux civils. Mais aujourd’hui, est-ce que ce n’est pas un peu la douche froide ?

Je modulerai un petit peu vos propos puisque je pense que cette combinaison et cette répartition des pouvoirs entre les différents acteurs a fait l’objet avant même l’intronisation de Michel Kafando d’un accord entre toutes les parties. Cette charte a été largement discutée, a fait l’objet de nombreux allers-retours. Et ceci faisait partie des éléments de base de la transition.

Mais si l’on apprend ce jeudi que les ministères de la Défense et de l’Administration territoriale sont également tenus par des militaires. Est-ce que ça ne voudra pas dire que l’on est dans une transition militaire à peine déguisée ?

Laissons-les gérer leurs problèmes en interne, sachant qu’à l’extrême si ça devait se passer, mais je ne le pense pas à priori, on évoque d’autres scénarios, le président de transition pourrait lui-même assurer lui-même les fonctions de ministre de la Défense. Ces scénarios ont été joués dans d’autres pays, notamment dans des périodes de transition et qui n’ont pas duré plus longtemps que prévu.

Donc il est important quand même de voir qui va occuper les postes clés de ministère de la Défense et de ministre de l’Administration territoriale ?

Ça fait partie des postes effectivement qu’il faudra regarder. Avant la situation du 30 octobre, il n’y avait pas de ministère de la Défense au Burkina et c’était le président qui en assumait la responsabilité depuis la crise de 2011. Donc je crois que c’est aussi des éléments importants et il faut les relativiser par rapport aux enjeux à venir du Burkina Faso.

Mais un ministre de l’Administration territoriale, c’est important en période électorale ?

Certes, mais il y a une institution très lourde au Burkina qui joue un rôle extrêmement dynamique et positif. C’est la Céni [Commission électorale nationale indépendante] dirigée jusqu’ici maître Barthélémy Kéré et la plus grande part de responsabilité appartient à cette Commission électorale.

Avant la révolution, le lieutenant-colonel Zida était le numéro deux de la garde présidentielle. Quel souvenir en gardez-vous ?

Pour être très franc, je ne connaissais pas du tout le colonel Zida. Je ne l’avais jamais rencontré dans mes fonctions précédentes.

Donc il n’était jamais venu par exemple à la réception du 14 juillet à votre ambassade ?

A priori, non. Même s’il y a 2 000 personnes chaque 14 juillet à l’ambassade et qu’il nous est difficile de vérifier les présents et pas, mais à ma connaissance il n’était même pas sur les listes d’invitation.

Donc c’était un homme de l’ombre ?

C’était a priori un homme qui travaillait comme tout officier en second dans son régiment. On connaissait plutôt son chef, le colonel Boureima Kéré, mais on ne connaissait pas le colonel Zida.

Pourquoi les militaires tiennent-ils tant à copiloter cette transition ? Qu’est-ce qu’ils peuvent craindre de la part d’un gouvernement qui ne serait composé que de civils ?

Là aussi, c’est aux organismes de la transition et aux autorités politiques et à la société civile de répondre. Ma réponse rapide, mais qui mériterait d’être confirmée, c’est que les militaires souhaitant, comme ils l’ont prouvé jusqu’ici, aller au plus vite et dans les meilleures conditions aux élections présidentielles se positionnent en garant de l’ordre public.

Mais au Burkina Faso, les militaires sont au pouvoir depuis plus de trente ans. Est-ce qu’ils ont acquis des avantages, des privilèges qu’ils auraient peur de perdre aujourd’hui ?

Je ne crois pas que le raisonnement est celui-là au regard de ce qu’on a constaté ces derniers temps quant à leur « républicanisme ».

Quand on est au pouvoir depuis si longtemps, évidemment on acquiert une certaine fortune et peut-être que cet argent n’a pas toujours été amassé de façon très légale ?

Je ne crois pas que les officiers des unités militaires peuvent se targuer d’immenses fortunes a priori.

Dans le régime précédent, les militaires n’étaient pas les plus corrompus ?

Dans le régime précédent, les militaires n’appartenaient pas à certains milieux affairistes.

Est-ce qu’on peut imaginer que le tandem Kafando-Zida, c’est un habillage pour permettre aux militaires de rester au pouvoir tout en échappant aux sanctions internationales ?

Je ne le vois pas comme ça à partir du moment où cette composition a été acceptée par l’ensemble des acteurs. On va attendre la composition du gouvernement et si Paris a des positions à définir, Paris les précisera en temps voulu.

Le 31 octobre, c’est la France qui a permis à Blaise Compaoré de s’enfuir par hélicoptère et par avion. Est-ce que ce n’était pas de l’ingérence dans les affaires intérieures du Burkina ?

Dans toutes ces questions où la France peut être soupçonnée de telle ou telle attitude, il faut revenir à la cause de ces actions. Je vous rappelle que cette action a été réalisée à la demande de chefs d’Etat africains, dont le président Alassane Ouattara [Côte d’Ivoire] et peut-être même d’autres. C’est une demande africaine que la France a satisfaite.

C’est vrai que c’est, à l’origine, à la demande du président ivoirien que la France a exfiltré Blaise Compaoré. Au Burkina Faso, certains pensent que l’ancien président devrait répondre devant les juges d’un certain nombre de crimes qui lui sont imputés ?

D’abord, je crois quand même que le président est parti dans des conditions finalement dont on peut se féliciter in fine puisqu’il a évité de faire couler le sang. Et ça a été une de ses motivations premières pour sa démission. Ensuite, je rappelle qu’il y a une loi d’amnistie présidentielle au Burkina votée depuis juillet 2012. Et le dernier point qui est fondamental, dès lors qu’un pays a connu une crise, il faut surtout se pencher vers le futur avant de vivre éternellement sur le passé qui ne règle rien et ne fait qu’exacerber les tensions éventuelles.

RFI

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