03252023Headline:

Dans l’est de la RDC, Goma plus isolée que jamais

Fin février, les rebelles du M23 sont entrés dans Mushaki et Rubaya. Les principaux axes qui relient la capitale du Nord-Kivu au reste de la province sont coupés.

L’explosion, lointaine, a plongé dans le silence le quartier commerçant de Birere à proximité de l’aéroport de Goma, l’une des principales villes de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Dans les boutiques, grossistes et clients se regardent sans comprendre. Brisant le silence, une vendeuse de légumes finit par crier tout haut ce que les autres craignent tout bas : « Ce sont les rebelles du M23 ! »

Dans la rue, des passants ont sorti leur téléphone pour filmer. On attend, mais rien ne se passe. Pas de bruit de bottes, pas de bombe, pas de fumée. Timidement, les affaires reprennent. Les insurgés du Mouvement du 23 mars (M23) sont encore loin de la capitale régionale, même s’ils opèrent depuis plusieurs semaines dans la région de Saké.

Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite.
Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente.
Pour toute demande d’autorisation, contactez syndication@lemonde.fr.
En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ».

C’est dans cette zone, à une trentaine de kilomètres de Goma, que devraient bientôt se déployer les soldats burundais présents en RDC dans le cadre de la force de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC, selon les sigles en anglais) pour tenter d’endiguer l’avancée des insurgés et les actions des groupes armés. Les troupes burundaises s’ajoutent à un contingent de l’armée kényane d’environ un millier d’hommes déployé dans et autour de Goma depuis novembre 2022. Des forces sud-soudanaises et ougandaises sont également attendues sur le sol congolais pour compléter le dispositif militaire mis en place par l’EAC.

Les prix ont flambé
Les rebelles du M23, eux, se sont engagés à cesser les hostilités à compter du mardi 7 mars. Une promesse faite à Luanda au médiateur de l’Union africaine, le président angolais Joao Lourenço. Mais, pour les habitants de Goma, les multiples annonces de retrait et le cessez-le-feu promis ne changent rien. Depuis la prise de Mushaki le 23 février, le dernier axe qui approvisionnait la capitale régionale est pour l’heure contrôlé par les insurgés. Tout comme les deux autres routes principales de la province.

Depuis l’intensification des combats au printemps 2022, le M23 administre des pans entiers du Nord-Kivu et les terres agricoles de la région – les territoires de Rutshuru et de Masisi – sont difficilement accessibles. Au marché des Virunga de Goma, les fruits et légumes, le lait et la viande arrivent désormais au compte-goutte. Et les prix s’en ressentent. « Avant la guerre, le ballot de haricots se vendait à 2 000 francs congolais [un peu moins d’un euro]. Aujourd’hui, il est à 3 200 francs congolais [environ 1,50 euro] », explique une maraîchère derrière son étal.
Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite.
Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente.
Pour toute demande d’autorisation, contactez syndication@lemonde.fr.
En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ».

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/06/dans-l-est-de-la-rdc-goma-plus-isolee-que-jamais_6164401_3212.html

Partout, les prix ont flambé et « les clients viennent moins qu’avant, constate une vendeuse de tubercules. On avait l’habitude d’écouler un grand sac de patates par jour. Aujourd’hui, il faut au moins quatre jours pour que le sac se termine ». « Le charbon de bois est passé de 25 000 francs congolais [environ 11 euros] à 80 000 francs congolais [un peu plus de 35 euros] », renchérit une autre marchande. Ce combustible, d’ordinaire bon marché, est nécessaire pour la cuisine dans une province où seuls 3,1 % de la population a accès à l’électricité.

Des slogans « anti-rwandais »
La situation sécuritaire ne perturbe pas que l’approvisionnement local, elle bloque également les importations de produits manufacturés. « Une partie des zones frontalières avec l’Ouganda ont été conquises par le M23. La seule porte d’entrée accessible qu’il nous reste avec l’extérieur, c’est celle qui relie la RDC et le Rwanda », déplore Jackson Kitambala du Comité laïc de concertation (CLC), une association proche de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), une instance religieuse avec une large influence politique.

Malgré l’aggravation de la crise diplomatique et politique entre Kinshasa et Kigali, le passage des marchandises n’a jamais été interrompu entre les villes jumelles frontalières de Goma et Gisenyi. Pourtant, les relations entre les deux Etats voisins ne cessent d’empirer. Kinshasa accuse en effet Kigali « d’agresser » la RDC et d’envoyer son armée pour combattre aux côtés des rebelles du M23. Plusieurs rapports du Groupe d’experts des Nations unies et du Baromètre sécuritaire du Kivu confirment, preuves à l’appui, l’implication directe du Rwanda dans le conflit. Mais Kigali réfute ces accusations.

A Goma, des slogans « anti-rwandais » sont régulièrement scandés dans les cortèges et les mouvements de colère se multiplient malgré l’interdiction des regroupements publics décidées par les autorités militaires, qui administrent la ville depuis l’instauration de l’état de siège le 6 mai 2021. Début février, des incidents en marge de manifestations ont provoqué la mort d’au moins huit personnes, selon le bilan de l’armée congolaise. Au cours de la journée « ville morte » organisée par plusieurs mouvements citoyens le 6 février, des boutiques et au moins une église ont été pillées. Un camion de la Mission de maintien de la paix des Nations unies (Monusco) a également été attaqué le lendemain. Des actions au cours desquelles l’inaction des forces internationales – à savoir les casques bleus et les troupes africaines – a été dénoncée face à « l’agression » rwandaise et à la crise liée au M23.

Le manque d’assistance est criant
« La colère populaire est profonde parce que la crise est multiforme : économique, sociale et même sanitaire ! Le choléra s’est développé dans les camps de déplacés en périphérie de Goma », analyse Placide Nzilamba, secrétaire de la société civile du Nord-Kivu, une structure citoyenne qui regroupe plusieurs associations.

Dans la localité de Kanyaruchinya, les abris de fortune sont chaque jour un peu plus nombreux. D’autres camps informels se sont aussi ouverts ces dernières semaines, notamment à Bulengo, un quartier en périphérie de Goma, où le manque d’assistance est criant. Selon OCHA, le bureau de la coordination humanitaire de l’ONU en RDC, on dénombrait au moins 602 000 personnes déplacées le 31 janvier dans la province du Nord-Kivu.

« Il n’y a pas un jour sans que je ne pense à mes cochons que j’ai laissé chez moi. J’ai tout perdu », regrette un éleveur de Kibumba, zone en partie occupée par le M23, devant les bâches en plastique du camp de Kanyaruchinya qui lui tiennent lieu d’abris. Comme lui, beaucoup agriculteurs n’ont plus accès à leur champ et n’ont plus aucun revenu. « La probabilité que ces populations participent à la prochaine saison agricole est faible », écrit dans son rapport de janvier l’institut américain Famine Early Warning Systems Network (FEWS NET) soutenu par l’Agence américaine pour le développement international (USAID). La crise alimentaire pourrait ainsi s’aggraver et toucher les provinces voisines, notamment le Sud-Kivu, traditionnellement nourries par le Nord-Kivu.

 

What Next?

Recent Articles