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Le SG du syndicat burkinabè des magistrats : Diendéré et Bassolé risquent la prison à vie

Bassole-Diendere

Moriba Traoré, SG du syndicat burkinabè des magistrats : Les généraux Diendéré et Bassolé risquent la prison à vie

Malgré l’obligation de réserve dans lequel le plonge sa fonction, il a exceptionnellement accepté de s’ouvrir pour évoquer les questions de l’heure et éclairer les Burkinabè sur un certain nombre de questions. Lui, c’est Moriba Traoré, président du Tribunal de grande instance de Léo, par ailleurs secrétaire général du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM). Cet homme posé, qui inspire sérénité et assurance, s’est prêté volontiers au jeu de questions et réponses, le vendredi 9 octobre dernier, dans son bureau sis au Palais de justice de Ouagadougou. Sans langue de bois et à la limite de son obligation de réserve, il a abordé les sujets brûlants : le coup d’Etat du 16 septembre, la reddition du RSP, les chefs d’accusation et les peines encourues par les putschistes, l’indépendance de la justice, la date des élections, l’avenir du Burkina Faso… Entretien !
Le Quotidien : Comment avez-vous accueilli le coup d’Etat des 16 et 17 septembre derniers ?

Moriba Traoré : Nous avons accueilli ce coup d’Etat à la fois avec un sentiment d’incompréhension et de révolte. De l’incompréhension parce que pour nous, les élections étaient annoncées et il restait moins d’un mois pour la date prévue. Tout semblait annoncer de bonnes élections. Si l’on s’en tient au processus tel qu’on le vivait, on était en droit de penser qu’on allait arriver à ces élections sans problème. Donc, un coup d’Etat qui vient mettre fin à ce processus ne pouvait être accueilli qu’avec beaucoup de gêne et d’incompréhension.

Nous l’avons également accueilli avec beaucoup de révolte parce que les motifs qui ont sous-tendu ce coup d’Etat s’ordonnent, entre autres, autour de la nécessaire inclusion de certains acteurs politiques qui auraient été exclus. Dans la mesure où il y avait déjà une décision de justice, l’analyse que nous avons été amenés à faire, c’est que si cette situation devrait passer, on devrait désormais admettre le recours au RSP comme une voie de recours contre les lois de la République, contre les décisions de justice. Pour nous qui sommes appelés à être au cœur de l’Etat de droit, si on peut ainsi s’exprimer en tant que magistrat, cette situation était intolérable.

Le mot d’ordre de grève générale lancé par l’Unité d’action syndicale (UAS) a été pour beaucoup dans l’échec du coup d’Etat du général Diendéré et ses hommes. Comment ce mot d’ordre a été accueilli au niveau du SBM ?

Le SBM fait partie de l’Unité d’action syndicale. Dans ce genre de circonstances, l’analyse qui a été faite à notre niveau, c’est que la réserve traditionnelle qui est la nôtre ne pouvait pas être un motif pour ne pas participer à un tel mot d’ordre. Dès les premiers moments, on ne s’est pas posé de questions. On a considéré que la résistance était la seule formule qui permettait à chacun de nous de pouvoir croiser le regard de ses enfants sans avoir à baisser le sien.

Pour nous, il était beaucoup plus question de l’avenir du pays, au regard de ce qui se passait, que de toute autre chose. A partir du moment où il était question de sauver l’avenir du pays, il me semble qu’il n’y avait pas d’obligation de réserve qui puisse tenir. Donc, nous nous sommes associés au mot d’ordre qui a été lancé par l’Unité d’action syndicale sans nous poser de question. Mais, en plus du suivi de ce mot d’ordre, nous avons essayé, à notre niveau, de faire les actions que nous avons pensées possibles pour ajouter à la pression sur les gens qui voulaient priver notre pays d’avenir. C’est pour cela que, en coordination avec les autres syndicats de magistrats, nous avons fait une série de déclarations, au nombre de 3. La première déclaration a été faite le lendemain du putsch, c’est-à-dire le 17 septembre. Donc, on ne se posait même pas la question de savoir si ça allait marcher ou pas.

Car pour nous, il était nécessaire de tout mettre en œuvre pour faire échec à cette tentative parce que si elle devait passer, cela voudrait dire qu’on aurait privé notre pays de tout avenir. A travers cette déclaration, les termes étaient sans équivoque. On a expressément dit qu’en dehors de l’autorité qui venait d’être émise, toute autorité qui s’installerait ne pouvait pas espérer des magistrats une quelconque obéissance ou reconnaissance. Le 19 septembre 2015, au regard d’appels reçus de certains collègues, on a dû faire une deuxième déclaration pour préciser certaines choses, notamment la suspension des activités dans toutes les juridictions jusqu’au rétablissement des autorités démises.

Par la suite, lorsque les médiateurs de la CEDEAO sont arrivés et qu’on a eu le sentiment qu’ils entendaient nous imposer ce que les putschistes voulaient, on a dû faire une lettre ouverte adressée à l’ONU, à l’UA, à la CEDEAO, à l’UEMOA, aux Représentations diplomatiques au Burkina Faso…, dans laquelle on a renouvelé notre désapprobation de ce qui était en cours. On a aussi réitéré notre refus de façon irréversible de collaborer de quelque manière que ce soit avec l’autorité qui était en train de vouloir s’installer. On a fait l’effort pour que cette lettre soit publiée avant la réunion des chefs d’Etat de la CEDEAO. On a également trouvé des canaux pour faire parvenir cette lettre ouverte à certains qui devaient participer au sommet de la CEDEAO.

C’est tout de même un risque que vous avez pris malgré votre devoir de réserve dans la mesure où si le coup d’Etat était finalement passé, vous seriez un homme à abattre.

On était prêt à tout. On était prêt à une mort digne plutôt qu’à une vie de lâche. Je ne vais pas m’étaler sur les détails. Mais, lorsqu’on s’est décidé à véritablement entrer en action, j’ai dû amener ma famille en belle-famille. Je faisais alors toutes les courses à moto. Lorsque je suis allé déposer ma famille en belle-famille, les regards de ma femme et de mes enfants m’interrogeaient. Mais, je leur ai dit qu’à un moment donné, on ne peut plus garder le silence, ni être dans la réserve et que dans tous les cas, si je devais partir, ils devraient apprendre à vivre comme ont appris à vivre les enfants de ceux qui sont partis avant moi.

L’assaut du 29 septembre a précipité la chute du RSP. Comment avez-vous accueilli la reddition du régiment de sécurité présidentielle ?

Vous savez, nous sommes dans une traditionnelle obligation de réserve, comme je vous l’ai dit. Ce qui fait que, même quand on est en désaccord avec certains aspects, on n’ose pas s’étaler comme ça. Cela fait que, jusque-là, on n’avait pas osé s’associer au débat sur la place publique sur la question du RSP. On s’autorisait une certaine distance par rapport à certaines analyses. Mais, l’enchainement des événements a prouvé que si on devait rester dans ce schéma, on aurait tort. Car, lorsqu’on voit la manière dont les choses se sont déroulées, on arrive à la conclusion, excusez-moi d’être direct, que certains avaient vu juste en disant que dans les faits, certains partis politiques entendaient faire du RSP leur branche armée, de concert avec la hiérarchie de celui-ci. Or, pour une institution de la République qui a vocation à protéger tout l’Etat, il devient dommage que cette institution, à travers ses actes ou les actes de ses premiers responsables donnent à penser qu’elle n’appartient qu’à un parti ou à des partis. Cela nous a vraiment gênés. Quand je prends de la distance par rapport aux choses pour faire une lecture approfondie, je suis en train de penser qu’au regard de ce qui s’est passé, même si on avait eu un pouvoir élu, il allait être sous la perfusion du RSP. Pour pouvoir tenir, il lui faudrait absolument obéir au RSP. Ce qu’on a vécu, les décisions qu’on a eues à prendre, individuellement ou collectivement, sont à saluer parce que c’est maintenant que notre démocratie peut prendre son envol parce que ce qui pouvait la bloquer dans son envol n’est plus là.

Quelques jours après la reddition du RSP, le 1er octobre précisément, le général Diendéré a été mis aux arrêts tout comme avant lui le général Bassolé, ainsi que de nombreux autres civils et militaires. Quelles sont les charges qui pourraient être retenues contre ces personnes et quelles peines encourent-ils ?

Je ne sais pas si je suis admis à spéculer sur les chefs d’accusation qu’on pourrait retenir. Je vais me contenter de ce qui a déjà été fait à travers les actes de poursuite. Quand je m’attache à ce que j’ai pu moi-même découvrir, à travers la presse puisque je n’ai pas moi-même accès au dossier, ils sont poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’Etat, l’atteinte à la sûreté de l’Etat englobant elle-même plusieurs infractions. Ils sont poursuivis également pour meurtre, pour CBV (coups et blessures volontaires), pour dégradation volontaire de biens, je crois, et pour bien d’autres infractions. On semble parler, à travers la presse de 11 chefs d’accusation. Mais, comme je l’ai dit, n’ayant pas accès au dossier en raison du secret de l’instruction, je n’ai pas une idée de l’ensemble des chefs d’inculpation.

Au regard de ce qui a été énuméré, que risquent ces personnes
si elles venaient à être reconnues coupables?
Ce que je peux vous donner, c’est la formule qui permet de déterminer la peine en pareilles circonstances. La loi vous dit que lorsque vous avez quelqu’un qui est poursuivi pour plusieurs crimes ou pour plusieurs délits, en tant que juge, vous n’avez pas à faire un cumul des peines à la fois. Même si vous déclarez la personne coupable de toutes les infractions pour lesquelles elle est poursuivie, vous n’avez pas à faire la sommation des peines prévues. Vous avez à prendre la peine attachée à l’infraction la plus sévèrement réprimée.

C’est cette peine que vous appliquez à la personne. Quand vous prenez les infractions pour lesquelles ils sont poursuivis, la peine la plus grave prévue, c’est l’emprisonnement à vie. Si ces infractions devaient être toutes retenues, je ne sais pas ce qu’il en sera à la fin puisqu’on peut bien les poursuivre et se rendre compte à la fin que certaines infractions ne sont pas établies, tout comme tout peut être établi. Mais, je raisonne dans l’hypothèse où le schéma tel qu’il est envisagé actuellement venait à être confirmé par les éléments du dossier, la peine qu’ils peuvent encourir, c’est la prison à vie.

Qu’en est-il des partis politiques impliqués ?

Notre droit positif admet la responsabilité pénale des personnes morales. Cela voudrait dire que lorsqu’il est établi qu’une personne morale a été auteure ou complice d’une infraction, notre droit positif admet qu’on puisse la poursuivre.

S’il est donc établi ou que des indices donnent à penser qu’un parti politique a participé ou a été associé d’une manière ou d’une autre aux événements dont on est en train de sortir, rien n’empêche que ce parti politique puisse être poursuivi au même titre que les personnes physiques qui sont impliquées dans ces événements. Maintenant, c’est au niveau de la sanction qu’il y a des différenciations à faire. Comme on ne peut pas matériellement emprisonner un parti politique, la sanction qui peut être encourue, c’est la dissolution du parti ou des peines d’amende.

Contrairement à ses débuts et à la gestion des infractions commises lors de l’insurrection populaire, le gouvernement s’est efforcé à laisser libre cours à la justice dans la gestion des dossiers brûlants du coup d’Etat. On a l’impression, à travers les déclarations, que les autorités de la transition « veulent laisser la justice faire son travail ». Quel commentaire ?

Je crois qu’il faut tenir compte de l’élan pris par les acteurs judiciaires eux-mêmes qui donnent à voir qu’ils entendent s’assumer. Il y a un indice qui est parlant par rapport à cet élan, c’est le fait que le Procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou ait décidé d’ouvrir une enquête pendant que les éléments du RSP étaient toujours sur le terrain. L’enquête a été ouverte, à la demande du procureur général, le 19 septembre. Alors que ce jour-là, les éléments du RSP avaient toujours la maitrise du terrain.

Je peux vous préciser que, pendant cette phase, il ne m’a pas gêné de tenir lieu d’agent de transmission. La correspondance qui a été envoyée pour l’ouverture de l’enquête au niveau du chef d’état-major de la gendarmerie, c’est moi qui l’ai transmise en mains propres.

Cela confirme qu’on n’avait pas peur de mourir. On était dans un tel état d’engagement que même si on devait mourir, on n’allait pas sentir la douleur.

Peut-on alors dire qu’on entre dans une nouvelle ère avec une indépendance véritable de la justice ?

Nous avons conscience, en tant qu’acteur judiciaire, du malaise qu’il y a par rapport au fonctionnement de la justice et l’incompréhension qu’il y a par rapport à l’œuvre de justice au Burkina Faso. Ce que les gens ne savent pas, c’est que nous sommes les premiers touchés. Il faut donc qu’on trouve des formules pour sortir de cette incompréhension, de ce fossé qui nous sépare du peuple. On est dans un travail à l’interne pour essayer de réduire ce fossé, à défaut de le supprimer. Je vous prie de croire que les résultats ne devraient pas trop se faire attendre.

L’autre débat qui fait rage, c’est celui de la date éventuelle du scrutin couplé. Du côté de la transition, on parle de résoudre les problèmes prioritaires, notamment la sécurité, avant de songer aux élections. En tant que magistrat et citoyen burkinabè, quel regard portez-vous sur cette question ?

La question de la date des élections est un peu politique. Maintenant, j’ai cru comprendre que les acteurs politiques étaient en train d’échanger pour voir la date qu’on pouvait trouver. Je pense que, plus tôt on trouvera la date, mieux cela faudra.

Il y a eu les états généraux de la justice. Quels en ont été les grandes décisions ?

J’étais de ceux qui pensaient que les états-généraux de la justice étaient nécessaires parce que la justice n’est pas le bien du juge. La justice est rendue au nom du peuple et il faut accepter, à un moment donné, en tant qu’acteurs judiciaires, d’aller échanger avec le peuple pour voir ce qu’il pense du fonctionnement de la justice qui est rendue en son nom et les formules qu’il entend désormais trouver pour renforcer son efficacité. Il s’agissait de savoir, au cas où il y aurait un diagnostic qui révèlerait certains points d’insatisfaction, les formules qu’il envisagerait pour surmonter ces points d’insatisfaction. Lorsque les états-généraux ont été tenus, on s’est rendu compte que c’était nécessaire. Il y a des points pour lesquels il suffisait de s’expliquer pour être compris. Par contre, il y a d’autres pour lesquels il fallait écouter et voir les changements de comportement possible à notre niveau. Si je dois revenir sur tous les aspects, ce sera un peu long. Mais, ce que je retiens, c’est qu’il y a un certain nombre de mesures qui ont été envisagées et qui touchent aux différents aspects possibles de l’œuvre de justice et qui, s’ils sont respectés par les acteurs impliqués, il ne s’agit pas seulement des acteurs judiciaires, sont de nature à donner une nouvelle dynamique à l’œuvre de justice au Burkina Faso.

Le fait que le président du Faso soit également président du Conseil supérieur de la magistrature constitue-t-il un obstacle à l’indépendance de la justice ?

Oui ! Au niveau des états généraux, le débat a été fait autour de cette question. Le constat était que si on voulait se donner les chances d’une indépendance véritable de la justice, il fallait la déconnecter entièrement de l’exécutif. Il a été recommandé dans le pacte qu’on puisse enlever le président du Faso comme président du Conseil supérieur de la magistrature.

Au regard de ce qui s’est passé depuis l’insurrection populaire, comment entrevoyez-vous l’avenir du Burkina Faso ?

Au regard de ce qui s’est passé les 30 et 31 octobre 2014 et de ce qui a été renouvelé à l’occasion de ce coup d’Etat, je suis en droit de penser qu’on a travaillé à donner un avenir à nos enfants. Dans bien d’autres pays, ce genre de scénarii passe. Mais au Burkina Faso, à plusieurs reprises, on a pu s’y opposer les mains nues et avec succès. Au regard de ce qui s’est passé les 30 et 31 octobre et le 16 septembre 2015 et les jours suivants, les dirigeants qui vont venir, s’ils tirent leçon des faits, savent qu’ils ne peuvent plus s’autoriser certains comportements. En tout cas, le dirigeant qui entend terminer son mandat au Burkina Faso sait qu’il y a certains comportements qu’il devrait absolument s’interdire. Dans la mesure où tous les dirigeants qui vont venir savent que le peuple les a à l’œil, qu’il scrute chaque comportement et qu’il est prêt à ressortir pour consolider sa victoire au cas où il sentirait qu’on est en train de vouloir la lui voler, je pense que chacun sera obligé, même s’il n’aime pas cela, d’adapter son comportement pour s’inscrire dans une logique de bonne gouvernance parce que c’est ça qui lui permettra de terminer son mandat. S’il s’inscrit dans les écarts passés, il sait qu’il ne terminera pas son mandat. Ce qui s’est passé va forcer chaque acteur politique ou chaque acteur étatique, à quelque niveau qu’il se trouve, à l’ouverture de la conscience. A partir du moment où vous êtes forcé à cette ouverture, il y a certaines choses que vous ne pouvez plus vous autoriser. Et quand chacun se laisse retenir ou met des bornes à son comportement, cela permet au pays d’avancer. C’est ce qui m’amène à dire qu’on peut désormais espérer pour l’avenir de notre pays.

Y a-t-il un point que vous auriez voulu aborder, qu’on n’a pas évoqué?

Je voudrais tout juste dire, comme je l’ai dit à certaines occasions, qu’au regard de ce qui s’est passé, on a retrouvé la fierté d’être Burkinabè. Malheureusement, à l’occasion de cette résistance, comme celle des 30 et 31 octobre 2014, il y a des gens qu’on a perdus, qui ne sont pas là pour dire ce qu’ils ont fait, mais qui, justement parce qu’ils ont entendu faire ce qui devait être fait, ont été amenés à perdre leur vie. Il faudrait donc qu’on ait une pensée pour eux et qu’au-delà des mots, on puisse se souvenir qu’ils ont peut-être laissé des familles.

Le meilleur hommage qu’on puisse leur rendre, c’est de se souvenir de leurs familles 1
Le Quotidien

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