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(Par Justin Koné Katinan)Les Gains et contre-gains de l’entrée très prochaine du Maroc à la CEDEAO /ce qu’il faut savoir

L’adhésion très prochaine du Maroc à la CEDEAO pourrait bien changer certaines habitudes, et beaucoup de ce que l’on considère comme des acquis pourrait bien aussi être remis en cause. Gouverner sans anticipation sur les évènements, constitue l’une des faiblesses des politiques africaines. L’abandon en ruine, de l’autoroute du Nord reliant la Côte d’Ivoire à deux pays de l’Hinterland, pourrait bien coûter cher à la Côte d’Ivoire avec l’entrée du Maroc au sein la CEDEAO.(…extrait de mon prochain livre aux Editions l’Harmatan -Novembre 2017. « La contradiction principale du developpement en Afrique »   )

Les Gains et les contre-gains de l’entrée du Maroc à la CEDEAO

Aucune démarche politique ou économique ne se détermine par la philanthropie. L’adhésion du Maroc à la CEDEAO est guidée par une recherche de gain pour le Maroc. La question est de savoir que gagnent les autres pays membres de l’arrivée du Maroc à leur sein ; parce que c’est, en définitive, l’équilibre des intérêts des membres d’un espace de libre échange qui justifie l’existence dudit espace.

Le principe fondamental de la CEDEAO est la libre circulation des biens et des hommes entre les Etats membres. Avec l’adhésion du Maroc, l’espace de la CEDEAO part du Golfe de Guinée jusqu’aux portes de l’Europe, le Maroc étant, à certains endroits, à moins d’une quinzaine de kilomètres des côtes espagnoles, à d’autres endroits, le territoire européen se confond à celui du Maroc (cas de la ville de Ceuta). Dans un contexte de forte migration provenant de l’Afrique subsaharienne vers l’Europe dont le Maroc constitue une zone importante de transit, l’on ne peut que s’interroger sur le risque que prend le Maroc d’ouvrir son territoire à tous les prétendants à cette migration si dérangeante pour ses voisins d’outre-Méditerranée. En effet, l’un des effets induits de l’appartenance à la CEDEAO est la suppression de visa entre le Maroc et les autres Etats membres. Cinq des quinze pays membres de la CEDEAO ont déjà des dispenses de visa d’entrée au Maroc. Ce sont : La Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Mali, le Niger et le Sénégal. Les dix autres bénéficieront de ce privilège. Avouons que l’entreprise ne manque pas de risque. Mais les gains de cette politique d’ouverture sont tels que le risque mérite d’être pris avec la bénédiction de l’Europe qui gagne gros au change, elle aussi, comme on le verra plus loin.

Les gains marocains sont multiformes et concernent à la fois le tourisme, les activités portuaires et son commerce extérieur.

En ce qui concerne le tourisme, une classe moyenne se développe rapidement dans la sous-région ouest africaine, une classe consommatrice du tourisme qui constitue une activité majeure pour l’économie du royaume. En effet, confrontée aux formalités de visa (véritable parcourt de combattant) imposées par les chancelleries occidentales, cette classe verrait dans le Maroc une destination palliative non négligeable. Or, l’industrie du tourisme est très pourvoyeuses d’emplois et une source importante de devises. Pour accroître le nombre de ses visiteurs de la CEDEAO, le Maroc envisage d’ouvrir des lignes maritimes avec tous les pays côtiers. Le lancement, en septembre 2016, de sa nouvelle compagnie maritime, baptisée Africa Morocco Link (AML), fruit d’un partenariat entre le groupe bancaire marocain BMCE et l’armateur grec Attita, est l’expression achevé de l’ambition marocaine dans ce domaine. Ces lignes de ferry vont appuyer la compagnie aérienne Royal Air Maroc, pour accroître la capacité de transport du Maroc.

C’est au niveau du commerce que l’approche marocaine est très stratégique. Lorsque l’on regarde le tableau des échanges commerciaux du Maroc, la part des pays de l’Afrique subsaharienne en générale, et ceux de l’Afrique occidentale en particulier, occupe une place très minime. Cette partie du Continent n’est ni client, ni fournisseur de premier ordre pour le Maroc ; toute chose qui rend la requête en admission du Maroc au sein de la CEDEAO a priori incompréhensible si elle n’est pas sans objet. On pourrait répondre que le Maroc entend corriger cette faiblesse de son commerce c’est pourquoi il sollicite son adhésion au sein de la CEDEAO. Mais quand l’on regarde la structure économique des pays de la sous-région ouest africaine, ceux-ci ont très peu à offrir au Maroc. Le Maroc a un grand besoin de pétrole et de gaz. Mais le Maroc a déjà des rapports commerciaux privilégiés avec l’Arabie Saoudite, l’un des plus gros producteurs du pétrole au monde. L’Arabie Saoudite constitue le plus grand fournisseur de pétrole du royaume marocain. L’arrivée du Maroc dans la famille CEDEAO va-t-elle accroître les intérêts marocains pour le pétrole nigérian au détriment de l’Arabie Saoudite. Rien n’est sûr malgré le gigantesque projet le gazoduc qui relie le Nigéria à l’Espagne en passant par le Maroc dont l’accord a été signé au Maroc le 15 mai 2017.

Le Maroc consomme beaucoup de café et le thé. Pour le thé, il n’y a rien en attendre du côté de la CEDEAO. Pour le café, on peut espérer que le café ivoirien puisse intéresser les Marocains du fait de la levée de certaines barrières douanières de sorte que le café moulu de Nestlé d’origine ivoirienne, du reste très apprécié, puisse gagner le marché marocain. Peut-être, mais il faut savoir garder un optimisme mesuré.

Ces quelques exemples sont juste pris pour illustrer la faiblesse des offres commerciales que les pays subsahariens membres de la CEDEAO peuvent faire au Maroc qui reste, quand même, un marché de plus de 35 millions de consommateurs.

En revanche, les offres marocaines en direction des autres pays de la CEDEAO sont énormes.

Le Maroc exporte des produits finis ou semi-finis qui intéressent les consommateurs de l’espace CEDEAO. Les produits destinés à l’électricité tels que les câbles, les luminaires, les interrupteurs sont fabriqués au Maroc et sont déjà dans des marchés comme celui de la Côte d’Ivoire.

Depuis 1959, la Société marocaine de construction automobile (SOMACA), une société anonyme de droit marocain, fabrique des véhicules. Détenue, à ses débuts, concurremment par la société italienne Fiat et la société franco-italienne Simca à hauteur de 20% pour l’une et autant pour l’autre, et à hauteur de 38% pour l’Etat marocaine, la SOMACA est passé à 100% sous le contrôle de la société française Renault depuis 2003. Son activité consiste à la fabrication de la carrosserie et du montage des véhicules. Sur ces deux sites de Tanger (ouvert seulement en 2012) et de celui de Melloussa, le Maroc a produit, en 2016, environ 600 milles (400 000 pour le premier site et environs 200 000 pour le second). Ces véhicules sont exportés essentiellement vers l’Europe dont la France, l’Espagne et le l’Allemagne constituent les destinations majeures. Avec ce volume d’exportations, les véhicules fabriqués au Maroc sont en passe de dominer le phosphate au niveau des exportations marocaines.

Les habits et autres produits de la mode sont également disponibles au Maroc et s’exportent bien. L’on trouve dans les grandes artères de Casablanca toutes les grandes marques de ces produits. Beaucoup de ces produits que l’on retrouve sur le marché de certains pays de la CEDEAO partent du Maroc à travers le circuit de commerçantes et des commerçants, notamment, des pays qui bénéficient déjà d’une exemption de visa. Avec la généralisation de cette exemption à tous les pays de la CEDEAO, le flux des exportations de ces produits va s’intensifier pour le bonheur de la balance commerciale du Maroc.

Le Maroc reste un grand fournisseur d’engrais et d’autres produits phytosanitaires qui intéressent les pays fortement agricoles de la CEDEAO. L’ouverture des frontières desdits pays ne manquera pas d’accroître l’intérêt des pays subsahariens pour les engrais marocains. A ce propos, En marge de la visite du Président Buhari au Maroc, un partenariat sur l’engrais a été conclu entre les deux pays.

Les agrumes et les légumes marocains inondent déjà les marchés de beaucoup de pays de la sous-région ouest africaine. Ces produits empruntent un couloir qui passe par la Mauritanie pour atteindre le Sénégal, le Mali, la Guinée, voire même la Côte d’Ivoire. Pour l’histoire, il convient de relever la proximité religieuse qui existe entre le Maroc et le Sénégal grâce à la confrérie Tidjaniya ou Tidjani qui joue un rôle déterminant dans les rapports entre les deux pays que le Président Macky Sall qualifie « d’amour spécial ». Les villes de Fès au Maroc et de Touba au Sénégal sont les têtes de pont de cette diplomatie religieuse très forte entre les deux pays.

La liste des offres marocaines est longue

Il reste bien entendu que la CEDEAO n’est pas encore une union douanière. Il en sera ainsi aussi longtemps qu’un Code douanier applicable à tout l’espace de la CEDEAO ne sera pas effectif. Un projet de Code douanier est prêt depuis Avril 2017 mais il n’a pas été encore approuvé et adopté par les Etats membres. Cependant, depuis 1979, le Schéma de Libéralisation des Echanges de la CEDEAO (SLEC) accorde une dispense des droits de douanes aux échanges intracommunautaires pour un certain nombre de produits. Le protocole d’accord de 1979 ne rendait éligibles au SLEC que les produits agricoles, les produits de l’artisanat et les produits du cru. En 1990, l’on y a inclus les produits industriels sous certaines réserves qui se résument en conditions de forme et en conditions de fond.

Sur la forme, l’admission au SLEC se fait suivant une procédure administrative qui aboutit à une approbation administrative des autorités compétentes des pays membres saisies, à cet effet, par la commission de la CEDEAO.

Sur le Fond, les produits manufacturés doivent remplir les conditions prescrites par le Protocole A/P1/1/03 du 31 janvier 2003 pour justifier de leur origine communautaire.

Le Maroc, qui se présente comme la deuxième puissance économique et commerciale de sa nouvelle famille, n’aura pas du mal à remplir ces conditions afin de faire bénéficier à son industrie les avantages tarifaires de la CEDEAO.

Mais là où le Maroc gagne gros, c’est au niveau du transit douanier et les avantages que ses ports, notamment celui de Casablanca, peuvent gagner et les pertes corrélatives pour les autres ports des autres pays de la CEDEAO. Le Maroc dispose de deux atouts majeurs qui peuvent faire des ports marocains les principales portes d’entrée des marchandises importées d’Europe ou à exporter vers l’Europe. Il est connu que les marchandises qui transitent par un port ou un aéroport de l’un des pays membres de la CEDEAO bénéficient d’une suspension des droits de douane jusqu’à leur destination finale.

Or le Maroc est à moins d’une journée de mer de certaines côtes européennes là où il faut au moins 21 jours pour atteindre les côtes du Golfe de Guinée. Pour les pays de l’hinterland, le délai se rallonge avec le voyage par voie terrestre qui peut prendre 2 à trois jours. Sa proximité avec l’Union Européenne, client et fournisseur privilégiés des pays de la CEDEAO constitue un atout majeur pour le Maroc.

Le second atout qui complète le premier est que le Maroc dispose de l’une des flottes aériennes les plus importantes de l’Afrique. Royal Air Maroc est l’un des trois gros transporteurs aériens du Continent africain. Ouvrir une ligne aérienne de cargo pour desservir les capitales des pays de l’hinterland n’est pas hors de portée du Maroc. Une telle ligne a l’avantage de raccourcir les délais de livraison des marchandises qui transitent par les différents ports marocains. Bamako, Niamey et Ouagadougou peuvent être ravitaillées par convoi aérien plusieurs fois par jour à partir de l’aéroport de Casablanca. Qui ignorerait une telle opportunité ?

Mêmes les pays du littoral ayant des ports peuvent avoir recours aux ports marocains pour réduire les délais de transport de leurs marchandises. Au lieu d’attendre 21 jours pour recevoir des marchandises de l’Espagne par exemple, 3 à 4 jours sont suffisants pour les marchandises en transit au Maroc pour arriver au Sénégal, en Guinée, et même en Côte d’Ivoire par voie aérienne.

L’adhésion du Maroc à la CEDEAO pourrait bien rendre la compétition rude pour des ports comme ceux de Conakry, de Lomé et de Cotonou, relativement plus modestes que ceux d’Abidjan, de Tema ou de Lagos.

Au total, le Maroc arrive comme un grand parmi des nains. Il reste le plus grand gagnant de son adhésion à la CEDEAO. Mais il lui reste à résoudre la question de l’harmonisation de ses nombreux accords commerciaux avec l’union.

Par Justin Koné Katinan,

Ancien Ministre

/eburnienews

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