04202024Headline:

VALÉRIE NEIM : POURQUOI EST-CE QUE MON ENTREPRISE EST COMPOSÉE À 90% DE FEMMES ?

 

 

 

Entretien sans concession ni langue de bois avec celle que l’on surnomme la Margaret Thatcher camerounaise : Valérie Neim, directrice générale de CCPC, une entreprise de microfinances qui ne connaît pas la crise.

Valérie Neim, 36 ans, a fait ses classes en Angleterre, où elle obtient une licence en gestion et business management à la South Bank University de Londres, avant d’atterrir à la ABSA bank (Santander). Et déjà, la future chef d’entreprise côtoie les décideurs. Pour autant, elle ne se repose pas sur ses acquis et décide de perfectionner sa formation.

Début 2000, elle quitte Londres pour une toute petite ville à une heure et demie de la capitale. Elle y reste un peu plus de deux ans et obtient son master en management information system. Après un passage dans le groupe Siemens où elle officie en tant que consultante en informatique en charge de gros clients, elle est frappée de constater que la majorité des employés sont des hommes. A bientôt 30 ans, Valérie Neim souhaite opérer un tournant dans sa vie et contribuer pour l’Afrique. En Europe, elle sait qu’elle est remplaçable. Mais pas question pour elle de retourner au pays sans une vraie valeur ajoutée.

Direction la prestigieuse école d’Oxford, où la business woman dans l’âme fera un MBA en entrepreneuriat. Elle recevra même le prix de l’entrepreneuriat de sa promotion (2007). Valérie Neim réalise qu’elle a trouvé sa voie. Après une brève expérience dans le consulting, elle est fin prête à rentrer. En 2008, une fois de retour au Cameroun, la jeune femme fait la rencontre déterminante de Jean-Luc Konan, banquier ivoirien.

Fraîchement nommé directeur général de la banque UBA Afrique, l’homme d’affaires la veut dans son équipe pour développer la banque nigériane dans la zone francophone. La vraie vie professionnelle de Valérie Neim peut commencer. Cette dernière prend l’un des plus gros risques de sa carrière. Après une heure d’entretien seulement, elle accepte le défi lancé par Jean-Luc Konan et s’envole quasi dans la foulée pour Lagos, au Nigeria, puis au Gabon où elle occupe le poste de directrice des grands comptes en 2009. Encore une fois, la trentenaire est chargée de gérer les finances des décideurs, présidents, ministres, ambassadeurs.

Si Valérie Neim connaît un franc succès professionnel, l’expérience est plus difficile sur le plan personnel. On lui reproche sa jeunesse, mais surtout d’être une femme. Pour autant, cette forte tête ne se laisse pas intimider et décide de faire de cette problématique une force. Durant ses trois années passées dans la filière gabonaise composée à 100% d’hommes, elle s’attelle à recruter des femmes.

Il lui faut prouver que ces dernières peuvent faire la même chose voire mieux que les hommes, lesquels sont plus enclins à céder au détournement de fonds – véritable fléau dans le secteur de la banque aujourd’hui en Afrique – selon l’entrepreneuse. Quand elle décide de reprendre CCPC, entreprise familiale spécialisée dans le micro-financement et l’accompagnement des TPEA et PME, en septembre 2011, Valérie mise sur un salariat féminin : une révolution au Cameroun, qui participera à la croissance de l’entreprise.

« On a augmenté le capital en passant de 100 millions de Francs CFA à 1 milliard »

Qu’est-ce qui vous a convaincu à reprendre l’entreprise CCPC, alors en perte de vitesse ?

Ce n’est pas tant le lien familial qui m’a séduite, mais plutôt le potentiel de l’entreprise, et le  challenge. Quand je suis retournée au Cameroun, j’ai découvert une petite entreprise  de trente personnes en plein chaos professionnel, sans aucune méthode ni organisation.

J’ai eu la chance de tomber sur un Canadien installé au Cameroun, spécialisé dans le développement des entreprises familiales, qui m’a aidée à repenser et à travailler toute la stratégie de déploiement de CCPC. Il a fallu tout changer. Je me suis ensuite concentrée sur la partie recrutement et formation. En 5 ans, l’entreprise est passée de 30 à 150 personnes permanentes et 50 temporaires. On a augmenté le capital en passant de 100 millions de Francs CFA à 1 milliard, de 6 à 11 agences. Et surtout, j’ai inversé la tendance en créant une équipe composée à 90% de femmes.

« Mon challenge est de redonner à la jeune femme africaine la place qu’elle mérite dans l’entreprise ».

Ce staff composé essentiellement de femmes est l’une des clés de la réussite de CCPC : pourquoi ce choix ?

Cela s’est fait naturellement. Je ne sais pas si c’est propre au Cameroun, mais je ne me suis rendue compte à quel point la femme était victime de discriminations. J’ai été témoin, au cours d’entretiens, de questions liées aux enfants, au statut marital, comme si ces critères allaient interférer dans les compétences ou la crédibilité des femmes dans le monde de l’entreprise.

Je souhaitais aussi recruter des femmes… jeunes. Celles-ci sont les premières à être confrontées aux discriminations dans la mesure où leur situation familiale est à construire. Ce qui fait peur aux entreprises. Mon challenge est de redonner à la jeune femme africaine la place qu’elle mérite dans l’entreprise, pour qu’elle puisse croire en elle. Je veux enrayer les clichés autour de « la promotion canapé ». Et valoriser les compétences. Aujourd’hui, je n’embauche que des femmes âgées entre 22 et 28 ans. C’est une belle réussite pour moi.

Outre la féminisation de l’équipe, quelles sont les recettes qui ont participé à la croissance de l’entreprise ? Les méthodes managériales ? On vous surnomme la dame de fer du Cameroun…

En termes de management, la méthode que j’ai imposé et qui a porté ses fruits, c’est la rigueur. S’il y a bien une chose que l’Afrique a ce sont les ressources humaines, la jeunesse, mais s’il y a bien une chose que l’Afrique n’a pas, c’est la discipline. Nous avons des compétences, mais pas de savoir-être, notamment par rapport à la ponctualité.

Quelles sont les qualités essentielles selon vous pour réussir dans ce secteur, et quels conseils donneriez-vous aux femmes qui aspirent à devenir chef d’entreprise ?

Il y a un conseil qui paraît évident mais qui est essentiel : le professionnalisme. Les femmes ne doivent pas céder aux stéréotypes liés aux genres pour pouvoir avancer dans leur carrière… Autre principe qui me tient à cœur et que je souhaite transmettre : le kaizen. Une méthode japonaise basée sur l’amélioration continue. Il y a toujours une marge d’amélioration. Le kaisen est vraiment ce dont l’Afrique a besoin. Quand on regarde la plupart des pays africains et des sociétés basées en Afrique, on se rend compte que l’on n’avance pas assez rapidement. Nos standards en termes de succès sont limités. On se repose sur nos acquis. Si une entreprise tourne, est rentable, on ne va pas chercher à aller plus loin. Ça ne suffit pas d’être premier au Cameroun, il faut ensuite viser l’Afrique, puis le monde !

« Les femmes ont aussi les compétences pour créer des sociétés » !

Justement, jusqu’où avez-vous encore envie d’aller avec CCPC ?

Je suis passionnée par le développement, moins par la réussite personnelle que collective. Michelle Obama a dit une phrase qui me parle : « Le succès ne se mesure pas à la quantité d’argent que vous gagnez mais à l’impact que vous avez sur la vie des gens ». Qu’on le veuille ou non, on fait partie d’une société et ce n’est qu’en ayant de l’impact sur elle qu’on crée du sens.

Au-delà de CCPC, je souhaiterais mieux contribuer au développement de la jeunesse féminine. Quand on se penche sur les statistiques, il y a très peu de femmes dans l’entrepreneuriat, et encore moins de femmes jeunes. Systématiquement, les femmes qui sortent de l’école vont chercher du travail, alors qu’elles ont aussi des compétences pour créer des sociétés.

Il n’y a pas longtemps s’est tenue la 6e édition du Promote, salon international de l’entreprise, de la PME et du partenariat de Yaoundé, qui réunit de nombreuses sociétés au Cameroun et dans la sous-région. On parle de 1500 entreprises. Et c’est fascinant de voir les compétences artisanales, techniques et autres savoir-faire etc. des uns et des autres, notamment les femmes, comme la transformation du cacao. Mais ces dernières ne savent pas par où commencer pour en faire un business. J’aimerais les accompagner !

Eva Sauphie

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