H.K.B : [A. D. Ouattara] était burkinabé par son père et il possédait toujours la nationalité du Burkina Faso, il n’avait donc pas à se mêler de nos affaires de succession.
E.L. : Mais il avait pris la nationalité ivoirienne?
H.K.B. : Je ne saurais le dire, jusqu’à ce que la preuve en soit faite. Le président Houphouët lui avait accordé un passeport diplomatique quand il avait des difficultés avec les autorités du Burkina Faso. Il servait alors à la Banque centrale, commune aux sept États d’Afrique de l’Ouest. Un passeport diplomatique, vous savez, n’est pas une pièce d’état civil.
E.L. : Il avait tout de même été Premier ministre et à ce titre le chef du gouvernement.
H.K.B. : Certes, mais sa mission était terminée. La charge de ministre, fût-ce celle de Premier ministre, n’a pas comme un mandat électif une durée fixée d’avance. A tout moment il peut être mis fin à cette fonction par le président de la République. Ce n’était pas la première fois dans son histoire que le président Houphouët-Boigny faisait appel à des compétences techniques extérieures. Encore une fois, il n’existait pas la moindre ambiguïté la-dessus. Au demeurant, Alassane Ouattara était allé un jour voir le président Houphouët-Boigny, en présence d’un témoin, pour lui demander de le prévenir quelques jours à l’avance, au cas où il souhaiterait mettre fin à ses fonctions, de façon à avoir le temps de faire ses valises. Il ne semblait pas vouloir servir en Côte d’Ivoire après sa mission à la tête du gouvernement. Aussi, lorsque M. Camdessus, directeur général du FMI, m’a informé de son intention de l’appeler auprès de lui, je n’y ai vu aucun inconvénient. J’ai répondu : à condition qu’il ne s’occupe pas des dossiers de la Côte d’Ivoire, pour des raisons élémentaires de déontologie en vigueur dans cette institution.
Après le départ d’Alassane Ouattara, nous avons renoué les négociations avec le FMI et la Banque mondiale et mis au point un nouveau programme. Entre-temps j’ai pris la décision de rallier ceux, peu nombreux, qui étaient favorables à la dévaluation du franc CFA. La Cote d’Ivoire a été la locomotive africaine de la dévaluation de 1994.
E.L. : Selon certains observateurs et experts, la candidature à la présidence d’Alassane Ouattara, en 1995, aurait menacé l’unité du pays, en raison d’un risque de fracture entre le Nord et le Sud, entre chrétiens et musulmans?
H.K.B. : Alassane Ouattara savait très bien que la mission qui lui avait été confiée exigeait qu’il ne se mêle pas des problèmes politiques, d’autant qu’il n’était pas un citoyen ivoirien. Le président le lui avait dit et me l’avait confié, ainsi qu’à de nombreuses personnalités ivoiriennes et étrangères.
E.L. : En quels termes?
H.K.B. : En termes très clairs et aussi par des faits précis. Peu après sa nomination, le président a demandé à Alassane Ouattara de se rendre dans les capitales voisines pour insister sur l’objectif purement économique de sa mission. La preuve que son action était temporaire, c’est que le président demandait de conserver son poste vacant à la tête de la Banque centrale. Pendant deux ans le poste fut maintenu ouvert et son occupant, Charles Banny, n’agissait que comme intérimaire.
E.L. : En 1993, a-t-il vraiment existé un risque de conflit religieux?
H.K.B. : La réponse est non. Je répète que le président voulait qu’Alassane Ouattara s’occupe uniquement de l’économie. A cette fin, il devait s’appuyer sur moi et sur l’Assemblée nationale pour faire passer les mesures impopulaires de l’ajustement structurel. En revanche, je n’étais pas parfaitement informé des relations qu’il entretenait avec les milieux musulmans. Ce que je sais, c’est qu’un tract intitulé La Charte du nord circulait pendant qu’il était au gouvernement. Le président s’en était du reste vivement indigné et avait même demandé que l’on traque les auteurs de ce manifeste. Lors de mon accession à la présidence de la République, les musulmans n’ont pas manifesté la moindre hostilité à mon encontre, et, en 1995, quand je suis devenu président élu, les régions musulmanes de la Côte d’Ivoire ont voté pour moi à plus de 95 %. Par conséquent, je crois que cette donnée n’a pas pesé dans la balance. L’intrigue se situait ailleurs, plutôt au niveau des prises de position d’un certain groupe sur l’application de la Constitution.
Les Chemins de ma vie