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Séa Honoré Voilà “Ce que voulait Johnny avant sa mort”

johnny lafleur

Séa Honoré, Président du Comité d’organisation des funérailles de Johnny Lafleur : “Ce que voulait Johnny avant sa mort”

S’il y a un homme politique et acteur du show-biz, profondément affecté par la disparition de l’artiste Johnny Lafleur, c’est bien Séa Honoré. L’homme comptabilise 36 ans d’amitié et de collaboration avec l’héritier d’Ernesto Djédjé.

Il était au chevet de l’artiste jusqu’à son dernier souffle. «Honoré, ma vie est entre tes mains», lui a confié Johnny dans ses derniers instants. «Mais Johnny, je ne suis pas Dieu», a-t-il répondu. Malgré tout ce qu’il a pu faire pour sauver son ami, le Seigneur en a décidé autrement. Aujourd’hui, la famille du défunt lui a confié l’organisation des funérailles de son pote. Retour sur ses liens… et son histoire avec Johnny Lafleur, qu’il considérait comme une partie de lui-même..

  • Vous êtes un ami intime de Johnny Lafleur. Vous avez également fait tout votre parcours dans le show-biz avec lui. Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous quelques jours après sa disparition ?

– (Il soupire) Je dois vous avouer que c’est avec beaucoup d’émotion que j’accepte de témoingner dans la presse exceptionnellement à l’occasion du décès de Johnny. Car, depuis de nombreuses années, je m’étais éloigné des médias. Si aujourd’hui je me fais violence pour parler, c’est parce que c’est Top Visages. Le disparu était notre ami commun. Johnny Lafleur, c’est une partie de moi-même. Quelqu’un a dit un jour que «vivre sans ami, c’est mourir sans témoin». L’ami, c’est lui qui est toujours là, qui vous suit. Johnny, c’est le frère, l’ami, le compagnon avec qui je chemine depuis 1978.

  • Cela fait 36 ans…

– A cette époque, je devais être en classe de Première à Man. Et on organisait les bals de fin d’année. Je me rappelle que le Lycée Moderne avait invité Ernesto Djédjé qui était vraiment mon idole. Djédjé est arrivé avec quelqu’un dans sa délégation qu’on appelait Johnny Lafleur. Il m’a épaté par sa manière de danser. Depuis cette date, je suis resté en contact avec Djédjé et Johnny. Et chaque fois que je venais à Abidjan, je passais les voir. Quand j’ai commencé à travailler en 1981, j’ai organisé la première tournée d’Ernesto Djédjé à l’intérieur du pays. C’était la première vraie tournée organisée par un Ivoirien. Nous avions fait Duékoué, Danané, Man…

Je me rappelle que Djédjé est revenu avec Johnny et Dapley Stone. Les deux sont restés mes amis intimes jusqu’à leur disparition.

  • Il y avait une telle complicité entre Johnny et vous, que l’artiste se produisait dans tous vos spectacles…

– Effectivement, j’associais toujours Johnny à tous les spectacles que j’organisais à Abidjan, comme à l’intérieur du pays. Que ce soit avec Bailly Spinto, Aïcha Koné, Reine Pélagie, Tshala Muana, Johnny était toujours en guest. C’était mon ami, c’était l’inséparable et il jouait. Et ce qui nous a encore plus rapprochés, c’est la mort de Djédjé en juin 1983.

  • Cet ami de plus de 3 décennies est mort des suites d’un mal qu’il a traîné quand même pendant un an !

– Oui, j’ai tout suivi, c’était pénible. Au mois de septembre, il était à la maison, ça n’allait plus. Et quand on m’a informé, j’ai demandé qu’on l’amène à la clinique Hôtel Dieu. Sa petite soeur était là. Chacun a donné ce qu’il fallait pour l’interner. Il est ressorti de la clinique peu après. Mais il a rechuté et j’ai demandé qu’on le ramène dans la même clinique. Mais sa santé ne s’améliorait pas et il m’a dit qu’il voulait aller à Divo pour se soigner à l’indigénat. Mais, je n’étais pas d’accord. Et en cours de route, il m’appelle et me dit : «Ecoute Honoré, là on est en route. Ma vie est entre tes mains». J’ai rétorqué : «Mais Johnny, je ne suis pas Dieu. Comment ta vie peut être entre mes mains». C’est en ce moment que j’ai commencé à être très inquiet. D’Abidjan, je suivais  l’évolution des choses. Sa santé continuait à se dégrader. J’ai eu quelqu’un au téléphone et il m’a dit : «ça ne va pas, on ne veut pas avoir des problèmes ici». C’est comme ça qu’il a été ramené d’urgence à Abidjan fin septembre au CHU de Yopougon, puis après, à la clinique Danga à Cocody. Grâce au ministre Ibrahim Tiéné Ouattara, le petit frère du Président de la République. Il connaissait Johnny, ainsi que le Président de la République lui-même. Mais, ça n’a pas suffi. Hélas !

  • On parle de piqûres de Paluject mal faites. De quoi souffrait vraiment Johnny ?

– Vous savez, on a parlé de l’injection de Paluject. Mais Johnny m’avait souvent parlé en privé d’un mal de la prostate qu’il traînait. Et là aussi, les choses ont dû se compliquer. A mon avis, il y avait un cancer en tout cas. J’ai parlé aux médecins et je pense que Johnny souffrait d’un cancer de la prostate. Mais ça, on n’a jamais voulu le lui dire.

  • La famille de Johnny vous a, semble-t-il, confié l’organisation des obsèques de votre ami…

– Vous voyez, cela a été aussi une seconde émotion dans ma vie. Ses parents sont d’abord venus me dire merci. Mais, ce n’était pas nécessaire qu’ils le fassent. Ils ont tout suivi. Son frère qui était avec lui le dernier jour m’a fait un témoignage poignant. Dans ses derniers instants, Johnny demandait : «Et Séa ? Et Séa ? Et Séa ?» Et après, il a rendu l’âme. Son frère ajoute: «Ton frère est mort, la famille te confie ses obsèques». Je n’ai jamais été impliqué dans ce genre de choses. Mais comme, la famille me l’a demandé, je vais me mettre à la tâche pour honorer Johnny. Il sera inhumé le 13 décembre à Gagnoa. On lui rendra un grand hommage pendant ses obsèques, qu’on a commencé à préparer.

  • Avait-il des préoccupations secrètes qu’il t’a confiées pendant ces derniers mois ?

– Si, je me souviens qu’il est venu chez moi le jour de la fête de l’indépendance. Il était très bien habillé. Il m’a dit : «Honoré, allons au Palais. Il faut qu’on me décore aujourd’hui».

J’ai vu qu’il y avait quelque chose d’anormal. Je lui ai dit : «écoute Johnny, tu n’as pas de carte d’invitation, ils ne vont pas te laisser entrer à la Présidence». Je sentais qu’il voulait une reconnaissance de l’Etat. On est parti de chez moi ensemble et on s’est séparé à l’entrée du parking de la Présidence. Je suis passé et je voyais Johnny repartir seul. C’est une image qui m’a marqué.

  • Visiblement, il voulait une reconnaissance de la république…

– Oui, Johnny avait vraiment besoin de reconnaissance. Il m’a demandé d’intervenir auprès du Président de la République pour qu’on le décore. Je pense que nous allons nous battre pour qu’au moins, il le soit à titre posthume.

  • Que retenez-vous de lui après 36 ans passés ensemble ?

– C’était le frère, l’ami et surtout un artiste. Un artiste au vrai sens du terme. C’est vrai que Johnny n’était pas un rossignol, il n’avait pas la voix. Mais Johnny, c’était l’homme du spectacle. Une bête de scène. J’ai organisé le face-à-face Johnny Lafleur-Blissi Tébil, au Palais des sports à Treichville. Ce que Johnny a démontré ce jour-là, c’était inimaginable ! Il est allé au-delà d’Ernesto Djédjé. Non seulement, il dansait comme Ernesto, mais il l’a fait plus que lui. C’était une vraie bête de scène. En Afrique, je n’en ai pas vu de semblable sur la scène. Je vous le dis, je connais tous les grands artistes africains que vous pouvez imaginer, je n’en ai jamais vu danser comme Johnny.

  • Outre Johnny, Dapley Stone, Assalé Best et autres sont partis dans le dénuement… Cela repose la question de la précarité dans laquelle vivent beaucoup d’artistes…

– Il y a un véritable problème à mon sens au niveau du secteur culturel. Les artistes sont livrés à eux-mêmes. Ils n’ont aucune caisse de retraite. Il n’y a aucune couverture sociale, aucune politique de prise en charge de l’artiste.  Il n‘ y a pas de salles de spectacles. Comment vont-ils vivre de ce qu’ils savent faire ? Comment vont-ils se produire et gagner leur vie ? Avec la piraterie aussi, les albums ne marchent plus. Il faut vraiment une volonté politique pour combattre la piraterie et instaurer une véritable politique culturelle.

  • Vous avez sûrement des solutions…

– Ce n’est pas un plaisir de voir mourir les artistes dans le dénuement, malheureux, en train de quémander les aides, en lançant des SOS… C’est la plus grande humiliation pour un être, qui a fait rêver de son vivant. Pour ça, j’aimerais qu’un jour, on s’asseye autour d’une table pour réfléchir sur la question de l’avenir de la culture. Et qu’on sollicite ceux qui connaissent ce milieu.  Salomon disait que «les princes sont à pieds et les esclaves sont sur les chevaux». Ecoutez, je ne suis pas là pour dire que «j’ai les solutions». Mais j’espère qu’un jour on sera consulté. Il y a des choses à faire comme aux Etats-Unis où  il n’y a pas de ministère de la culture. Mais, les artistes vivent bien grâce à une très  bonne organisation.  Il faut copier les bons systèmes et les bonnes organisations.

  • Vous étiez Député, on n’a pas vu une proposition de loi de vous dans ce sens…

– Je vais vous dire quelque chose. Depuis 15 ans, je suis le conseiller du président Ouattara au niveau du RDR. Il est l’actuel président de la république. Je suis un de ses très proches collaborateurs. J’échange souvent avec lui. Et je sais que dans peu de temps, il va y avoir quelque chose. Je sens qu’il va y avoir un déclic, quelque chose de fort va se passer du côté des arts. Mais je ne vous en dis pas plus.

  • De quoi vous faire revenir dans le show-biz ?

– (Rires). Oui, je vais revenir dans le show-biz, parce qu’aujourd’hui, j’ai la possibilité de faire ce que je veux faire. Je vais prendre mes responsabilités.

  • Sous quelle forme ?

– Vous savez, à l’époque, c’était  l’individu Honoré Séa qui organisait les grands concerts. Aujourd’hui, c’est une société anonyme qui est la Saprom, société de production musicale. et une autre, la SIPROM, s’occupe de la promotion musicale. Je construis à Yopougon un complexe hôtelier avec une salle de spectacles de 10 000 places. D’ici fin décembre, l’inauguration aura lieu. Que Dieu nous aide à revenir pour répondre aux besoins des artistes.

  • Au fait, pourquoi étiez-vous parti ?

– (Rires) C’était un repli stratégique. Je ne vais pas revenir sur ce que j’ai vécu par rapport à mes choix politiques. Mais, ce qui est passé est passé. Moi, ce que je sais faire le mieux, c’est le show-biz. Je suis un promoteur et un organisateur. Abidjan va redevenir la plaque tournante du show-biz africain. Il est temps que notre génération apporte le peu qu’elle sait faire, à la marche de notre pays.

 

Par E. Cossa, C. Kipré & Omar A.K

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