Samedi après-midi, dans une cour de Treichville. Le jeune homme qui passe chaque mois pour prélever les 3 000 FCFA mensuels permettant l’accès au bouquet proposé par Canal+ arrive, en habitué ; il connaît visiblement tout le monde.
La famille qui doit lui verser son dû a eu des problèmes à régler ce mois-ci, et ne peut donc pas lui remettre les 3000 FCFA. Pas de problème : le jeune homme est compréhensif, et fait une nouvelle fois crédit. « Je sais qu’ils paieront quand leur situation ira mieux ; et puis, je n’ai pas le cœur de leur couper leur abonnement ». Un de ses amis avait fait le branchement. Tous deux incarnent les nombreux petits métiers informels, générés par les abonnements « pirates » aux réseaux de télévision câblés. Pour le plus grand bonheur des usagers. Mais moins celui des opérateurs internationaux, tels que Canal+ International, BeIN Sports, France TV ou Turner.
À l’occasion du premier Marché du film d’Afrique central – qui s’est tenu du 15 au 23 juillet au Cameroun dans le cadre du Festival Ecrans noirs – la présidente de l’association Convergence Béatrice Damiba est à nouveau montée au créneau pour dénoncer le système de piratage organisé par des « câblos » ou « réseaux araignées », lesquels privent d’un montant estimé à quelque 120 milliards de francs Cfa la production et le secteur audiovisuels africains. Dans une tribune intitulée « Comment le piratage audiovisuel en Afrique finit par coûter cher » (Le Monde Afrique , 19.7), elle a par exemple relevé que « dans des villes comme Abidjan, on évalue à 46% les foyers accédant à la télévision via un réseau informel de distribution ».
Ancienne journaliste, diplomate, ex-présidente du Conseil supérieur de la Communication du Burkina Faso, Béatrice Damiba est la présidente de Convergence, une association africaine contre le piratage audiovisuel, qui avait été lancée à Abidjan en décembre 2015 ; sur la base d’une idée formulée lors du Fespaco (Festival panafricain du cinéma et de la télévision) en mars 2015 à Ouagadougou. « Empêcher le piratage et réinvestir les revenus dégagés de la vente légale de produits audiovisuels permettra l’installation d’un cercle vertueux au profit de tous, des créateurs aux téléspectateurs », avait-elle déclaré à Abidjan lors du lancement de Convergence ; en prenant exemple sur le Nigeria, qui, grâce à une lutte sans merci contre le piratage, a permis à Nollywood et à son industrie cinématographique de représenter désormais plus de 3% du Pib national. Le piratage et ses conséquences ne seraient-ils pas une fatalité ?
Car quel est le problème avec le piratage des chaînes de télévision payantes ? Si cela permet à des personnes disposant de revenus modestes d’y avoir accès, n’est-ce pas là une bonne chose ? Certes. Et cela d’autant plus que ces opérateurs locaux créent de nombreux emplois, particulièrement pour des jeunes. Mais ce sur quoi Béatrice Damiba et l’association Convergence qu’elle préside mettent l’accent, c’est sur la perte que cela représente pour le secteur audiovisuel, la production, la technologie, puisque les 120 milliards de francs CFA perdus n’y sont pas réinvestis.
Dès lors, le piratage de la télévision payante, pratiqué d’une manière quasiment industrielle, systématique, ne risque-t-il pas, à terme, de décourager les opérateurs, ou en tout cas de freiner leurs investissements ? Or, la production de séries africaines, de programmes audiovisuels par des professionnels ivoiriens, camerounais, sénégalais, a besoin de tels appuis financiers. C’est donc toute la chaîne de production qui est menacée par les « câblos » piratant leurs chaînes. « Dans un contexte économique et sociétal où chaque investissement compte, car il contribue à structurer et à valoriser l’écosystème audiovisuel et cinématographique africain, je suis persuadée qu’il est nécessaire de résister à ce faux calcul qu’est le piratage », conclut Béatrice Damiba dans sa tribune. Affaire à suivre.
CATHERINE MORAND
Avec FratMat