Au sein d’Atypic, on bouscule les codes. Cette agence de pub unique en son genre est installée dans un Établissement ou service d’aide par le travail (Esat) des Hauts-de-Seine. Ici, publicitaires indépendants et employés atteints de troubles autistiques travaillent main dans la main. À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme ce 2 avril, entretien avec Frédéric Frambot, directeur de cette agence singulière.
Frédéric Frambot : Atypic est une structure liée à un Esat, un établissement médico-social qui emploie et rémunère des personnes handicapées aptes à avoir un travail, mais pas suffisamment aptes pour être employées dans le milieu ordinaire. Et l’association les Papillons Blancs de la Colline, qui œuvre auprès d’handicapées, administre l’Esat. Notre agence de communication s’est lancée début 2022, et elle est composée de « créatifs neuro-atypiques », c’est-à-dire des personnes en situation d’handicap mental, la majorité autistes de haut niveau. Chez Atypic, ils sont sept dans ce cas-là, tous entre 25 et 33 ans, avec des statuts assez différents : deux ont le statut de travailleur handicapé, quatre sont en contrats d’alternance, puis un est autoentrepreneur. Ils fonctionnent tous en binôme avec des publicitaires indépendants issus de la communication. Pour ce qui est du fonctionnement, il n’y a pas vraiment de journée type. Mais ils ont besoin de choses ritualisées et régulières, alors on sanctuarise le lundi : on essaie de tous se retrouver au siège des Papillons Blancs à Saint-Cloud pour faire le point sur les projets de communication en cours et distribuer les travaux. L’essentiel pour eux est d’être en forme, d’avoir la conviction d’être utile et d’apporter à la société.
Concrètement, comment vous adaptez-vous aux spécificités de vos employés atteints d’autisme ?
On arrive à déterminer les compétences de chacun, et on s’adapte en fonction. Par exemple, Guillaume, 32 ans, a du mal dans les transports, il ne vient que le lundi au siège et le reste du temps préfère travailler à la maison. Je sais qu’il est très bon en graphisme et qu’il a besoin de consignes écrites. Alors quand j’ai un travail à lui donner, je prends le temps de rédiger les brief, de reformuler certaines informations. Je sais aussi que Justine, une de nos alternantes, a besoin d’une vraie pause le midi et aime bien aller au restaurant. C’est pareil pour Pierre, il faut qu’il marche une heure le midi, il n’est pas trop du matin mais va beaucoup mieux le soir. Ce sont des petits ajustements à assimiler pour qu’ils puissent évoluer sereinement. Après, c’est sûr qu’il y a des jours plus compliqués que d’autres. Il faut savoir être toujours à l’écoute et s’armer de patience… Mais il y a tout un panel de professionnels de l’association qui sont présents pour nous aider.
Pour vous, l’intégration sociale des personnes autistes passent par le travail ? C’est votre cheval de bataille ?
Oui. Seulement une infime minorité de personnes autistes ont un emploi, parce qu’on ne prend pas le temps de comprendre leurs capacités et la façon de s’adapter à eux pour rendre le travail en entreprise accessible. Notre mission est de faire changer le regard du reste du monde sur eux. Nous, on les connaît. C’est un bonheur absolu de travailler avec eux, parce qu’ils ont ce côté sans-filtre, on se marre. C’est de l’humain pur. Maintenant, on veut raconter leur histoire. On veut prouver qu’ils sont créatifs, comme les autres, et qu’ils peuvent s’insérer dans le monde ordinaire. En plus de ça, ils ont la capacité d’inventer, de trouver des concepts, de nous emmener sur des terrains que nous n’avions même pas imaginés. Ils savent suivre une consigne, ils maîtrisent les outils digitaux, le codage informatique… Alors un de mes plaisirs absolus est d’aller dans les agences de pub, de parler de ce qu’on accomplit au sein d’Atypic, et surtout de faire la démonstration que c’est possible : on peut être handicapé et travailler dans la publicité. Et ce n’est pas de la création au rabais, au contraire, on est même extrêmement fiers des travaux que nous faisons !
Quand on pense à une agence de communication, on a plutôt en tête un rythme à mille à l’heure, mais chez Atypic, ça semble être tout l’inverse. Pourquoi avoir décidé de lancer une agence portée sur la publicité et pas sur autre chose ?
C’est l’histoire d’une rencontre. J’étais publicitaire pendant 30 ans, puis j’ai décidé de faire une reconversion. Lors de ma formation, j’ai rencontré le directeur général des Papillons Blancs. Il m’a parlé de la nécessité de moderniser les ESAT, comme leur public est de plus en plus jeune et ces derniers tendent vers des métiers dans le numérique et la création. Donc, on s’est orienté vers la communication de façon assez naturelle. Mais on est d’accord qu’un abyme sépare le monde de la pub et du médico-social. C’est pour cela que ce pas de côté est intéressant. Avec cette initiative, non seulement on veut donner du travail à des jeunes adultes autistes, mais on montre aussi que le rapport au stress et aux exigences professionnelles peut être tout à fait bienveillant et dans l’écoute. Quand on travaille avec des talents comme ces personnes atteintes de troubles autistiques, on accepte de prendre un peu plus de temps, sans être moins compétents pour autant. Ça redonne une dimension assez incroyable au métier très particulier de la publicité.
Et arrivez-vous à convaincre des clients extérieurs ?
On est encore une structure très jeune, on débute. Depuis le début de cette année, les projets arrivent, majoritairement du milieu médico-social. Ça reste pour l’instant dans ce microcosme, mais on essaie de se développer ailleurs, toujours sans impératif, sans stress. Un de nos derniers projets porte sur la Maison de l’Autisme, qui va ouvrir à Aubervilliers dans quelques jours. Nous avions participé à un appel à projet pour faire le logo et la charte graphique, et nous avons gagné. On était en concurrence avec des cabinets de conseil et design réputés, donc ça a été une immense fierté pour tous nos créatifs handicapés. Ça a aussi été la preuve qu’il ne faut pas avoir peur du monde du handicap. Il y a encore plein de choses qui sont à faire au niveau de l’autisme en France. Il manque des places partout, de l’argent, des moyens, de la sensibilisation à ce qu’est réellement l’autisme… Mais avec des petites idées comme cela, on contribue à construire l’édifice. Il suffit d’accepter un peu plus la différence des autres, de se défaire de nos préjugés, et de comprendre qu’ils sont tout aussi capables, à leur manière.