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Côte d’Ivoire – La Pyramide, un scandale au cœur du Plateau /Pénombre, crasse, puanteur…

Pyramide-Plateau

Le joyau architectural a perdu de sa splendeur. La Pyramide, cet immeuble situé dans le quartier des affaires, le Plateau, n’est plus que l’ombre d’elle-même. En dépit du danger que ce bâtiment représente pour ses usagers, il continue d’être fréquenté. Il est même habité. Et pourtant, il y a quelques années, une décision d’évacuation de cet immeuble par ses habitants a été prise. Nous avons arpenté la Pyramide, en juillet 2012. Les images sont saisissantes. Reportage.
« Bien-être des albinos de Côte d’Ivoire, Plateau, Immeuble Pyramide, 3e Etage, Escalier A, 3e porte ». Cette affiche, collée sur le mur d’un couloir du 3e étage de l’immeuble Pyramide située au cœur du quartier des affaires de la capitale économique de la Côte d’Ivoire, contraste avec l’environnement ambiant. De fait, la Pyramide n’offre aucun bien-être à qui que ce soit, que celui-ci soit physique ou psychologique. On peut même affirmer que ce bâtiment est un scandale au cœur du Plateau, une porcherie grandeur nature, tant il est insalubre, et, cerise sur le gâteau, constitue un danger permanent pour les usagers.
Notre randonnée dans les méandres de la Pyramide, nous y fait découvrir une réalité au-delà de l’inimaginable. De fait, notre calvaire débute dans le hall de l’immeuble. Une odeur agressive, nauséabonde, voire méphitique nous coupe net le souffle. Pourtant, les usagers semblent s’en accommoder. M. Lamine B, qui tient en ces lieux un espace où il gère une photocopieuse, tient dans sa main, un mouchoir appliqué sur le nez, histoire de s’approvisionner en un peu d’oxygène A la question de savoir s’il ne craint pas de tomber malade, il répond, entre deux éclats d’un grand rire nègre : « Mon frère, ça ne tue pas Africain. On est habitué. Et puis on va aller où ? Je suis ici depuis des années. Tous mes clients savent que c’est là que je travaille ».
Laissant Lamine B. à son quotidien, nous décidons de gagner le rez de chaussée. Nous nous rendons compte que les fruits de l’insalubrité seront à la hauteur de la promesse des fleurs des mauvaises odeurs. Les deux escaliers qui y conduisent sont de véritables repoussoirs. Ils sont usés par le temps, et, certainement par les incessants va et vient des visiteurs, travailleurs et autres habitants de l’immeuble. Le tapis qui recouvre les 19 marches de chacun des deux escaliers n’existe plus. Il est en lambeaux depuis belle lurette. Et il faut faire attention pour ne pas s’emmêler les pieds dans les déchirures pouvant provoquer une chute aux conséquences dommageables.
Ici, des bureaux, des magasins ; là, la fameuse Ecole française des attachés de presse (Efap). Nous y entrons. Et sommes accueilli par une dame, la trentaine environ. Sous prétexte d’être venu prendre des renseignements, nous lui glissons, subrepticement : « Madame, votre école est de grande renommée, mais le cadre où elle est située n’est-il pas un handicap ? » L’air un peu gêné et dubitatif devant la pertinence de notre question, elle lance : « Nous allons déménager. On avait prévu de le faire, mais la situation de crise que la Côte d’Ivoire a connue a tout retardé ». Devant notre air un tantinet sceptique, elle ajoute de pas faire attention à l’aspect physique des lieux qui abrite l’Efap, mais plutôt à la qualité des enseignements dispensés dans cet établissement. Nous prenons alors congé d’elle, tout en promettant de repasser pour l’inscription, en vue des cours qui démarrent en décembre prochain, ainsi qu’elle nous l’a dit.

Dans l’escalier du 1er, 2e et 3e étage, l’odeur d’ammoniac et de fèces est insupportable. Confirmant l’avant-goût donné dans le hall de l’immeuble. Nous grimpons, sans nous arrêter. A la recherche effrénée d’un peu d’oxygène. Au 6e étage, nous rencontrons une jeune fille. Elle tient la main d’un enfant, son petit frère sans doute. Elle s’écarte pour nous céder le passage. Nous poursuivons notre ascension vers l’inconnu. Arrivé au 10e étage, une affiche attire notre attention : « Transferts, Moov, MTN, Orange, Koz au 13e étage, voir Yannick ». Mais aucune âme qui vive à cet étage plongé entièrement dans la pénombre. Des fils électriques pendent partout. Du plafond, suinte sur le mur, une eau saumâtre. Nous apercevons sur une corde à linge, un petit pagne usé, signe que cet étage est tout de même habité. Dans un recoin, deux bidons d’un vert douteux d’une dizaine de litres chacun. L’envie nous prend de vérifier le contenu. Est-ce de l’eau ou toute autre substance prohibée ? Mais nous renonçons au désir irrépressible qui nous tenaille.
Au 14e étage, l’ambiance est différente, nous entendons des notes d’une musique mandingue. Celle de Salif Kéita. Un titre que nous nous connaissons bien et aimons beaucoup: « Mana mani », tiré du riche répertoire du Domingo de la musique malienne. Nous repérons l’endroit d’où proviennent les notes. « Toc, toc », nous lançons. Personne ne répond, mais nous prenons le risque d’y entrer. C’est un modeste « entrer-coucher ». Le fouillis est indescriptible. Sur le lit, des habits sont disposés, pêle-mêle. Un véritable capharnaüm et caverne d’Ali Baba à l’envers. Dans un coin de ce logis, un brasseur d’air tourne, les pales crissent plus qu’elles ne tournent. Nous surprenons une jeune fille, d’une quinzaine d’années environ.
« Bonjour, excusez-moi. J’ai frappé, mais comme personne n’a répondu… Nous lui déclinons notre identité. Pour la mettre en confiance, afin qu’elle ne pense pas avoir affaire à un malfrat. Elle dit s’appeler Fatou. « Mon mari est militaire », annonce-t-elle. Il s’appelle Diarrassouba. « Depuis combien de temps habitez-vous ici », nous lui posons la question. «Un peu plus d’un an ». « Votre enfant, comment se nomme-t-il ?» nous poursuivons. « Alima », répond-elle. Quelque 5 mn après, nous prenons congé d’elle.
Alors, nous entreprenons la descente de l’’’Everest’’. Au 8e étage, nous faisons la rencontre d’une dame portant sur la tête des ustensiles de cuisine. A la voir ahaner, l’envie de lui adresser quelques mots nous quitte aussitôt. Mais c’est plutôt avec Mlle D. Christelle, une jeune fille que nous croisons à l’étage inférieur, que nous lions conversation. Elle dit avoir 18 ans, et passe en classe supérieure, en Troisième, précisément, ce qui n’est pas une réelle performance. A cet âge, bien des élèves de son âge ont un niveau plus élevé. Mais enfin ! Sur cette réflexion, nous nous retrouvons dehors. Poussons un ouf de soulagement et respirons une grande bouffée d’air moins pollué des gaz d’échappement. In petto, nous disons : « Pyramide, yako ! »
Souleymane T. Senn

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