Lutte contre la corruption : l’Afrique de l’Ouest et centrale encore plus sous pression

« Les États d’Afrique de l’Ouest et du Centre doivent cesser de persécuter les défenseur·e·s des droits humains qui dénoncent la corruption, les pots-de-vin et les abus de pouvoir, et prendre des mesures concrètes et efficaces pour les protéger et les soutenir. » C’est ainsi que commence un communiqué de l’organisation Amnesty International pour introduire un rapport inédit intitulé « La lutte contre la corruption en péril. La répression contre les défenseur·e·s anticorruption en Afrique de l’Ouest et du Centre » et publié ce 11 juillet pour la Journée africaine de lutte contre la corruption. Il y a 20 ans, 48 pays africains adoptaient à Maputo, au Mozambique, la Convention de l’Union africaine contre la corruption. En ce jour anniversaire, le bilan est loin d’être reluisant, pour Amnesty International, « la corruption dans notre région, mais plus généralement en Afrique, a un impact réel et particulièrement néfaste sur la question des droits humains, a souligné Samira Daouda, directrice du bureau Afrique de l’Ouest et du Centre. La corruption prive les individus de la possibilité de bénéficier des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Elle impacte aussi sur le droit au développement ou encore le droit à un environnement sain. La corruption, c’est aussi un facteur qui limite, voire prive les individus de leur droit à bénéficier d’un procès équitable, de leur droit à ne pas être soumis à des actes de torture, et c’est aussi un phénomène qui conduit à des situations discriminatoires lorsqu’il s’agit de pouvoir bénéficier d’accès aux services sociaux de base ».

Dans sa dernière enquête, l’organisation dénonce les « arrestations », le « harcèlement », les « placements en détention » et « même la mort » des défenseurs des droits humains qui combattent la corruption dans les 19 pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre étudiés. « Ces personnes jouent un rôle crucial dans la lutte contre la corruption et ainsi dans la défense des droits fondamentaux. Pourtant, elles sont la cible d’attaques, d’intimidation, de harcèlement et de persécution lorsqu’elles font éclater la vérité », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.

Des exemples concrets

L’organisation des droits humains a cité en exemple le sort du journaliste camerounais Martinez Zogo. Il a été enlevé par des hommes non identifiés le 17 janvier puis retrouvé mort cinq jours plus tard, son corps mutilé, alors qu’il enquêtait et avait publié des informations sur le détournement présumé de centaines de milliards de francs CFA des personnalités politiques et du monde des affaires proches du gouvernement, souligne Amnesty.

Au Togo, le journaliste Ferdinand Ayité a été arrêté le 10 décembre 2021 après avoir accusé deux membres du gouvernement de corruption. Il a été condamné le 15 mars 2023, avec un confrère, à trois ans d’emprisonnement et 3 millions de francs CFA (4 500 euros) d’amende pour « outrages envers les représentants de l’autorité publique » et « diffusion de fausses informations ». Tous deux ont fait appel de cette décision mais ont dû fuir le pays pour leur sécurité, selon l’organisation.

Au Niger, le lanceur d’alerte Ibrahim Banna raconte avoir été arrêté 19 fois et poursuivi en justice 4 fois depuis 2016, généralement pour trouble à l’ordre public à la suite de publications sur Facebook sur des cas de corruption. La journaliste et blogueuse nigérienne Samira Sabu a, également, été condamnée à une peine d’un mois de prison et une amende de 100 dollars pour diffamation par un moyen de communication électronique pour avoir relayé un article publié en 2021 par l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée qui affirmait que la drogue saisie par les autorités nigériennes avait été rachetée par des trafiquants et remise sur le marché.

Les recommandations d’Amnesty International

Mme Callamard a appelé les gouvernements de la région à « remédier à la culture généralisée de l’impunité » qui, selon elle, continue d’alimenter la corruption endémique et prive les victimes d’accès à la justice et à des voies de recours.

Amnesty International demande à ces États d’adopter des lois, des politiques, et de mettre en ?uvre des pratiques pour « se protéger fermement » contre la corruption.

Actuellement, malgré le fait que 48 des 55 pays membres de l’Union africaine ont ratifié la convention de l’UA sur la prévention et la lutte contre la corruption, seuls la Côte d’Ivoire, le Mali et le Niger ont adopté des lois sur la protection des défenseurs des droits humains et seul le Ghana possède une législation visant spécifiquement à protéger les lanceurs et lanceuses d’alerte.

Dix pays de la région ont adopté des textes concernant l’accès à l’information qui permettent aux citoyens d’obtenir des informations détenues par des organismes publics et de demander des comptes aux personnes et entités détentrices du pouvoir. Néanmoins, les frais à payer pour obtenir ces informations et l’idée reçue selon laquelle ces lois sont destinées uniquement aux journalistes restent un frein à leur application.