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CPI /Protection des témoins : Panel de mesures, gros budget et beaucoup de dérapages

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C’est l’une des priorités de la Cour pénale internationale (CPI) : « assurer la protection des témoins ». Une protection obligatoire en vertu de l’Article 68, selon lequel « la Cour prend les mesures propres à protéger la sécurité, le bien-être physique et psychologique, la dignité et le respect de la vie privée des victimes et des témoins ». Mais concrètement, comment est mise en place cette protection ? 

Par Camille Dubruelh

Quelque 138 témoins appelés par l’accusation vont déposer devant la Cour pénale internationale dans le cadre du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé..« Des premiers signes d’intimidation sont visibles : ils représentent une difficulté pour la Cour qui aura besoin de nouvelles ressources pour prendre les mesures nécessaires à la protection efficace des témoins », est-il inscrit dans le projet de budget de l’institution. Ce panel de mesures, c’est la Section d’aide aux victimes et aux témoins du greffe qui est en charge de les appliquer, suite aux demandes des différentes parties ou des témoins eux-mêmes.

L’ensemble de ce dispositif s’applique de façon permanente ou temporaire, tant que le témoin est menacé. « Toute mesure de protection dépend du risque spécifique à chaque témoin », explique Fadi el Abdallah, porte-parole de la CPI. Celles-ci doivent par contre être appliquées dans le plein respect du droit des accusés. Ceux-ci ont donc toujours le droit de connaître l’identité des témoins à charge.

Des mesures de protection drastiques ! 

Parmi les dispositifs prévus, la CPI peut mettre en place des mesures opérationnelles, comme la protection de la résidence du témoin par exemple. Le dispositif de réaction rapide, lorsqu’il est déclenché, permet aussi à la Cour, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, de mettre en urgence des témoins en lieu sûr. Dans le cadre de ces mesures opérationnelles, la coopération des Etats est essentielle.

En effet, la CPI ne disposant d’aucune force de police et se trouvant loin de la plupart des situations sur lesquelles elle enquête, elle doit donc en appeler aux forces de l’ordre locales. Une fois à la Cour, les témoins peuvent aussi bénéficier de mesures procédurales, utilisées dans la salle d’audience. Il s’agit la plupart du temps de distorsion du visage, d’altération de la voix et de l’utilisation de pseudonymes. La plupart des témoins appelés par l’accusation vont bénéficier de ce dispositif dans le cadre du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.

Des mesures spéciales peuvent aussi être appliquées, notamment pour les témoins traumatisés, enfants ou victimes de violences sexuelles par exemple. La présence dans le prétoire d’un psychologue ou d’un membre de la famille lors de la déposition d’un témoin peut être autorisée, ou l’utilisation d’un rideau pour lui éviter tout contact visuel direct avec l’accusé. « Les mesures de protection ne concernent pas que l’aspect physique », souligne Fadi el Abdallah. « Il ne faut pas que le témoin soit traumatisé une nouvelle fois par son témoignage », précise-t-il, évoquant le processus de « familiarisation » aux procédures de la Cour mené par le greffe pour rassurer les témoins.

 

Une réinstallation des témoins, pour certains cas, aux frais de la CPI

Dans certains cas extrêmes, une ultime mesure est envisagée, la réinstallation. Aux frais de la CPI, le témoin et ses parents proches peuvent être relocalisés hors de portée de la source des menaces, dans leur pays ou à l’étranger, changeant même d’identité si nécessaire. Et ce, à titre temporaire ou permanent. Pour l’ensemble des affaires en cours à la CPI, 49 témoins ont été « réinstallés à l’étranger et pris en charge par une entité tierce, tout en restant suivis en permanence par la Section de l’aide aux victimes et aux témoins », est-il mentionné dans le projet de budget.

Au total, en 2017, plus de 110 témoins continueront à être protégés, notamment ceux« qui bénéficient du programme de protection de la Cour, de déménagements assistés, d’évaluations des risques et menaces et d’autres types d’appui », précise encore le document. Le budget alloué à cette protection est donc important. Pour l’année 2016, la Section de l’aide aux victimes et aux témoins dépensera plus de 10 millions d’euros et réclame pour 2017, une somme de 11 millions 340 mille euros.

Malgré tout, le dispositif de protection de la CPI a ses limites, comme l’a d’ailleurs montré le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Les noms de plusieurs témoins protégés ont ainsi été divulgués par erreur lors d’une d’audience censée être à huis clos et des spéculations sur l’identité d’autres témoins circulent régulièrement sur les réseaux sociaux. Depuis ces fuites, les mesures de protection ont été vivement renforcées, notamment le recours très fréquent aux huis-clos partiels ou le retardement de la diffusion publique de certaines audiences. Une protection accrue pour les témoins, mais qui met cette fois-ci à mal le principe de publicité des débats.

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