J’avais 23 ans et je commençais une histoire d’amour avec Fidel Castro, qui durera 4 ans
Régis Debray a écrit qu’il appelait Fidel “Castro”: “Le changement de nom s’est opéré sans animosité. Avec tristesse et dans le silence, comme après une déroute intime…” Pour moi, Castro n’efface pas Fidel.
Après une enfance et un début d’adolescence marqués par le pétainisme et le maurrassisme de mon père, je me suis rebellée. Une rébellion qui m’entraîna, comme tant d’autres à l’époque, vers le gauchisme, l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme. De manifestation en manifestation, nous dénoncions notamment les guerres d’Algérie et du Vietnam. Et comme tant d’autres aussi, jeunes et moins jeunes, de Paris à Santiago du Chili, de la Californie à l’Asie du sud-est en passant par l’Europe et l’Afrique, nous nous sommes enthousiasmés pour la Révolution cubaine.
Et il y avait de quoi s’enthousiasmer. Songez à la figure mythique d’un Fidel Castro, âgé de 26 ans et luttant contre Batista, ce dictateur à la solde des USA, à son incarcération, à sa plaidoirie “L’Histoire m’acquittera”, à sa création du Mouvement du 26 juillet, à sa libération, à son exil et à son débarquement en décembre 1956 aux côtés du non moins mythique Che Guevara sur le bateau Granma! Une douzaine de guérilleros pourchassés par deux mille soldats du dictateur mafieux. Et deux ans après, ils ont soulevé le peuple et renversé Batista, pourtant soutenu par les Etats-Unis!
Songez à la figure mythique d’un Fidel Castro, âgé de 26 ans et luttant contre Batista, ce dictateur mafieux à la solde des USA, à son débarquement en 1956 aux côtés du mythique Che Guevara!
Après cette victoire incroyable, Fidel Castro a déclaré: “Le capitalisme sacrifie l’homme. L’État communiste, par sa conception totalitaire, sacrifie les droits de l’homme. C’est pourquoi nous ne sommes d’accord ni avec l’un ni avec l’autre. […] Cette révolution n’est pas rouge, mais vert olive”. Vert olive: la couleur des uniformes des guérilleros!
Oui, il y avait de quoi s’enthousiasmer. Fidel a posé la priorité absolue de l’éducation et de la santé. Et en quelques années, l’illettrisme fut réduit, les soins médicaux rendus accessibles à tous… De quoi s’enthousiasmer avec Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Agnès Varda, Chris Marker, Andy Warhol, François Maspero et tant d’autres…
“Cette révolution n’est pas rouge, mais vert olive” déclarait Fidel Castro. Vert olive: la couleur des uniformes des guérilleros!
Je dévore Federico Garcia Lorca: “Iré a Santiago en un coche de agua negra”… Bref, je ne rêve plus que d’aller à Cuba… Un rêve qui se réalise en 1964 lorsque l’Union des Étudiants Communistes (UEC) organise le premier voyage d’étudiants français à Cuba, sous la responsabilité de Bernard Kouchner. Nous atterrissons à Santiago la veille du 26 Juillet où Fidel Castro, devant une foule impressionnante, fait un long discours non moins impressionnant.
J’ai bientôt 23 ans et commence une histoire d’amour, qui durera quatre ans. Fidel est d’une tendresse incroyable. Et, même si je n’ai pas le choix parce qu’il est un héros, notre relation se transforme peu à peu: il suffit qu’il enlève son ceinturon et ses armes, j’oublie le Lider Maximo, désormais, je me persuade que Comandante ou pas, c’est bien l’homme que j’aime.
Fidel est d’une tendresse incroyable.
Pourtant, très vite, nous aurons des désaccords. Je ne supporte pas qu’à Cuba, les femmes, et surtout les homosexuels, soient aussi mal traités. Fidel tente de me rassurer. Mais il soupire: entre le blocus et ces tentatives d’assassinat dont il m’arrive d’être le témoin, les Américains ne lui laissent pas le choix. Alors qu’il a détesté le stalinisme, alors qu’il m’a avoué un jour en riant que ni Lénine, ni même Marx ne l’ont jamais intéressé avec leurs histoires de luttes des classes et de stupide dictature du prolétariat, Fidel se déclare obligé de continuer d’accepter l’aide de l’Union Soviétique. Une décision qui me désespère autant qu’elle m’inquiète pour l’avenir…
Il m’a avoué en riant que ni Lénine, ni même Marx ne l’ont jamais intéressé avec leurs histoires de luttes des classes et de stupide dictature du prolétariat.
Par ailleurs, je refuse de partir pour la guerilla ce qui me plongera longtemps dans une douloureuse culpabilité. Et, malgré son insistance, je refuse de lui faire un enfant et de rester vivre à La Havane. Je décide à chaque rentrée universitaire de revenir à Paris, sans jamais être certaine d’avoir raison.
Mais nous nous écrivons régulièrement, je le persuade d’inviter ma mère ce qu’il fait immédiatement, je ne cesse d’avoir peur d’apprendre sa mort, et lorsque je reviens durant les vacances, il m’accueille avec cette même tendresse qui m’émerveille. Comme m’émerveille aussi la liberté de notre liaison: Fidel savait que j’avais des amants, il ne m’en parlait jamais, mais je savais qu’il savait, parce que les services secrets avaient l’obligation de lui en rendre compte. Quant à Fidel, je ne doutais pas non plus qu’entre deux tentatives d’assassinat, entre deux cyclones, entre deux récoltes de canne à sucre, il rencontrait les femmes qu’il désirait. Mais liberté, liberté…
En revanche, nos désaccords politiques s’aggravent. Malgré la mort du Che et l’arrestation de Régis Debray qui me désespèrent, je ne supporte pas que Fidel ne condamne pas l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS. Ensuite, comme beaucoup d’autres, les affaires Padilla et Ochoa m’écœurent.
Je ne supporte pas que Fidel ne condamne pas l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS.
Même si je sais que l’homosexualité est le seul sujet sur lequel Fidel Castro ait fait une autocritique, et que désormais Cuba est en avance sur bien d’autres États dans le monde, je ne me reconnais plus alors dans cette “île de Lumière” que j’ai tant aimée et dans cette libération nationale que j’ai tant admirée.
Dans “Loués soient nos seigneurs”, Régis Debray écrit qu’il appelle désormais Fidel “Castro”: “Le changement de nom s’est opéré sans animosité. Avec tristesse et dans le silence, comme après une déroute intime… »
Je le comprends mais ne parviens pas à l’imiter: pour moi, Castro n’efface pas Fidel.
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