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Côte d’Ivoire-Nomination de Mgr Ahouana: Un prêtre livre les secrets de la colère des évêques ivoiriens

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Après la 101ème Assemblée plénière de la Conférence des évêques catholiques de Côte d’Ivoire, qui s’est tenue du 04 au 10 mai 2015 à Taabo, dans le diocèse d’Agboville, il est difficile, pour l’heure, de comprendre avec précision, les dessous de la réaction des prélats ivoiriens sur le cas de Mgr Paul Siméon Ahouana, nommé à la tête de la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (Conariv), en mars dernier par le chef de l’Etat.

On se rappelle qu’à l’issue de ladite conférence, l’Église catholique de Côte d’Ivoire a clairement donné sa position devant cette nomination de l’un de ses guides. «Les archevêques et évêques de Côte d’Ivoire tiennent à informer les membres du clergé, les religieux, les religieuses et les fidèles laïcs qu’ils n’ont été associés ni de près ni de loin par leur confrère à cet engagement. C’est pourquoi, dans l’esprit du Canon 285 du Code de Droit Canonique de 1983, ils tiennent à préciser qu’ils ne sont pas comptables des actes qu’il posera dans l’exercice de sa nouvelle charge à la tête de la Conariv», a fait savoir la hiérarchie de l’Église catholique ivoirienne.

Cette position inédite de la part des évêques à l’endroit de leur confrère ne manque pas de susciter bien des commentaires. Mais, un prêtre, proche collaborateur des évêques, qui a requis l’anonymat, nous a livré quelques secrets sur ladite sortie de l’Église catholique, au cours d’un échange le mardi dernier.

Selon les confidences faites par ce serviteur de Dieu, tout part de 2013, lors d’ une rencontre de vérité qui s’est tenue entre les évêques et la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr), présidée alors par Charles Konan Banny, avec comme vice-président Mgr Ahouana. A cette occasion, les évêques demandent aux deux hauts responsables de la Cdvr, la place de l’ancien président Laurent Gbagbo dans le processus de réconciliation nationale. Surtout que, de leur avis, son transfèrement à La Haye est de nature à renforcer la division dans le pays. En clair, qu’est-ce qui a été fait pour éviter à M. Gbagbo d’être détenu à La Haye ? Question embarrassante pour les dirigeants de la Cdvr! Charles Konan Banny, selon notre source, est le premier à prendre la parole. Il se serait dédouané et aurait tout rejeté sur l’actuel chef de l’État, Alassane Ouattara. M. Banny aurait fait savoir qu’à deux reprises, la présidence ivoirienne a marqué son refus de l’autoriser à rendre visite à Laurent Gbagbo. D’abord à Korhogo où il était détenu, ensuite au pénitencier de la Cour pénale internationale (Cpi), après son transfèrement. Le second à s’exprimer fut Mgr Ahouana. Toujours avec le ton incisif et frontal qu’on lui reconnaît, il aurait rétorqué, à en croire notre informateur, en ces termes: «Si Laurent Gbagbo avait écouté mes conseils pendant le contentieux électoral, il ne serait pas là où il est actuellement. Qu’il s’en plaigne à lui-même». Cette réponse a été amèrement ingurgitée par les prélats.

Le colloque de Yamoussoukro

La même année, c’est-à-dire les 10 et 12 juillet 2013 à Yamoussoukro, lors du Colloque consacré à la recherche des causes de la crise ivoirienne, Mgr Dacoury Tabley, évêque émérite de Grand-Bassam, a ouvertement invité la Cdvr à œuvrer à la libération des prisonniers politiques. Son discours a été sans ambages:«La Cdvr a été créée par la haute autorité de ce pays pour réconcilier les Ivoiriens. Et, pour mieux mener son action, elle a fait diverses actions dont des enquêtes sur le terrain, en interrogeant les Ivoiriens qui sont des sachants ou des victimes. Elle dispose donc maintenant de suffisamment d’éléments qui font d’elle la conscience du peuple ivoirien. Je pense que le moment est maintenant arrivé pour que la Cdvr passe à l’action de réconciliation des Ivoiriens. Elle doit, de ce fait, demander courageusement la libération des prisonniers politiques. Car, ils doivent prendre leur place dans le processus de réconciliation. Or, c’est en étant en liberté qu’ils peuvent dire leur part de vérité. On ne peut pas interroger quelqu’un qui est attaché. Il faut également demander courageusement le retour de tous les Ivoiriens qui sont hors du pays pour que ceux-ci participent aussi à la réconciliation en étant libres dans leur pays», a-t-il indiqué.

L’autre secret livré par notre source pour expliquer la réaction des évêques, c’est que l’Église catholique a des inquiétudes quant à la réussite de la mission de Mgr Ahouana à la tête de la Conariv. Pour eux, et sur la base du bilan de la défunte Cdvr qui est diversement interprêté, il y a lieu de mettre l’Eglise catholique à l’abri de toute critique. A ce sujet, la gestion de l’équipe de Banny, on se souvient, avait soulevé le courroux de certains qui l’accusaient de mauvaise gouvernance. Notamment à propos du budget de 16 milliards de Fcfa mis à sa disposition. À la Conariv, il sera alloué un fonds de 10 milliards de francs Cfa à l’effet d’indemniser les victimes. «Qui sera comptable en cas de détournement ou de mauvaise gestion?», s’interroge le prêtre, pour qui les évêques, dans le souci de préserver l’image de l’Eglise catholique, ont vite fait de se démarquer de Mgr Ahouana.

D’ailleurs, la rencontre entre le Pape François et les évêques ivoiriens qui s’est déroulée au Vatican, a été l’occasion pour le Saint Père de donner des orientations sur la conduite de l’Église catholique de Côte d’Ivoire dans le débat politique. Tout en invitant les évêques à «resserrer les liens de communion avec le successeur de Pierre et l’ensemble du Collège épiscopal» le Pape les a invités à s’engager pleinement «dans l’œuvre de réconciliation nationale, en refusant toute implication personnelle dans les querelles politiques au détriment du bien commun».

Pour le chef de l’Église catholique, il s’agit de maintenir des «relations constructives» avec les autorités de la Côte d’Ivoire, mais également avec «les diverses composantes de la société, de manière à diffuser un véritable esprit évangélique de dialogue et de collaboration». Selon notre source, ce message du Vatican a pesé dans la position de la Conférence des évêques catholiques de Côte d’Ivoire lors de la 101ème Assemblée plénière. Les évêques ne voulant pas ramer à contre-courant des directives du Saint Siège.

Bertrand GUEU

L’INTER

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