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Côte d’Ivoire: « Africains, passer notre vie à accuser les autres, ne nous guérira pas de nos maux », Séraphin KOUAME Maire de Brobo

Depuis la brutale irruption de cette curieuse maladie, le COVID-19, dans notre monde relativement tranquille, elle ne manque pas d’influencer les attitudes, paroles et pensées. Je voudrais m’intéresser à trois répercussions sociologiques et politiques du Covid-19.

Le nombre de prophètes et de charlatans à la vision apocalyptique a augmenté. On nous promet la fin du monde dans les jours à venir et on nous exhorte à changer de comportement. À quelque chose, malheur est bon : si cette crise sanitaire peut avoir pour effet de rendre l’homme meilleur, tant mieux. Mais, de grâce, que ceux qui n’ont aucune onction divine aient la décence d’arrêter d’inventer des histoires fantaisistes.

D’ailleurs, le fait que les lieux saints soient fermés montre que le salut est individuel.La crise actuelle est suffisamment grave pour que cette « race de vipères » foule aux pieds l’éthique de base, prompte qu’elle est à tirer profit du malheur collectif. Car, ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas d’une simple crise sanitaire, mais d’un phénomène d’une envergure beaucoup plus large et dont les conséquences pourraient, à la longue, être désastreuses non seulement sur le plan social, mais également pour l’économie mondiale. Alors, j’insiste : que ces prophètes et charlatans « vendredistes », connus pour exploiter le moindre malheur des autres, veuillent bien mettre en sourdine leurs desseins diaboliques.

De toute façon, qu’ils se rassurent : après la crise, il y aura toujours des naïfs et naïves pour croire en leur soi-disant puissance spirituelle capable d’assurer à ceux-ci le mariage, la procréation, la richesse, l’emploi ou je ne sais quelles autres grâces.

  1. THÉORIE PANAFRICANISTE DU COMPLOT : TERREAU FERTILE POUR UNE NATION AFRICAINE
    La croyance en un complot mondial contre l’Afrique a la peau dure. Je déplore et je décrie tout le mal que l’Afrique a subi et continue de subir de la part des autres, depuis la nuit des temps. Mais, passer toute notre vie à accuser les autres ne nous guérira pas de nos maux. Surtout que nous ne sommes certainement pas innocents par rapport à tout ce qui nous arrive.

Quand prendrons-nous conscience que les Etats n’ont pas d’amis, mais des intérêts ? Laissez-moi vous le dire simplement : jamais les chefs d’Etat européens, américains ou asiatiques ne vont sincèrement se préoccuper de notre bien-être ou de notre bonheur. Ce qui les motive, ce sont leurs peuples, sinon eux-mêmes. D’ailleurs, la remarquable cacophonie autour de la maladie entre les dirigeants des grandes puissances, y compris au sein de l’Union européenne, démontre, éloquemment, s’il en était encore besoin, que la solidarité des peuples est une notion chimérique.

La tour de Babel n’est pas une légende. Dans le plan de riposte, dans la prophylaxie comme dans la communication, les positions des grandes puissances n’ont jamais convergé, depuis le début de la pandémie. Que cachent ces querelles au sommet ? Nul doute que des enjeux stratégiques énormes, notamment sur le plan économique, sont derrière ces agitations. Car, au-delà de la crise sanitaire et de la catastrophe sociale, certains spécialistes annoncent une crise économique qui pourrait être plus grave que celle de 2008, voire celle de 1929.

Dans la perspective d’une aggravation des impacts de la crise, il y a lieu de s’inquiéter pour les populations du continent le plus fragile économiquement et socialement du monde. Plutôt donc que d’user toutes nos forces et énergies à mener de faux combats, il est plus qu’urgent pour l’Afrique de s’organiser de façon responsable, pour faire front. Notre salut est à ce prix.

La polémique déclenchée par une séquence de LCI, mettant en scène le professeur Jean-Paul MIRA et le directeur de recherche de l’Inserm Camille LOCHT, sur le test d’un vaccin en Afrique, montre qu’il serait encore plus vraie de parler, aujourd’hui, d’une Nation africaine que de nations africaines. Dans l’histoire de l’Afrique, il est rare qu’une cause ait autant mobilisé. Des internautes aux intellectuels en passant par les stars et même quelques politiques, les réactions sont à l’unisson.

Certes, sur le fond, il y a à redire. En effet, il est évident que les fortes rumeurs sur un éventuel complot pour réduire la population mondiale en tuant le maximum d’Africains ne résistent pas à une analyse sérieuse. De même, il est ridicule et risible d’inciter les Africains à se braquer contre l’administration de vaccins sur le continent. Est-il utile de rappeler ici que tous nos systèmes de santé reposent sur des produits occidentaux, que nos pharmacies sont bondées de médicaments des laboratoires occidentaux, que tous nos vaccins sont importés ?

Mais, cette révolte bien canalisée et orientée vers les vrais objectifs pourrait constituer le déclic pour une véritable conscience africaine et sonner le réveil du premier continent habité par l’homme. Pour ne s’en tenir qu’à la santé, ce sursaut panafricaniste doit concrètement se traduire par l’investissement dans la recherche scientifique, la professionnalisation et la modernisation de la médecine traditionnelle, la construction et l’équipement d’hôpitaux aux normes internationales ou encore l’amélioration de la gouvernance du système de santé. Réaliser, une bonne fois pour toutes, que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes est finalement pour l’Afrique la plus grande leçon à tirer de cette crise.

  1. ILUSIONS DE L’ÉMERGENCE
    Sans faire offense à personne, la Côte d’Ivoire est à des années lumières de l’émergence. Nos systèmes de protection civile et de santé sont encore fragiles. Entendre le personnel de santé menacer de faire grève en pleine pandémie fait froid dans le dos. J’ose croire que c’est juste pour appeler l’attention des autorités sur l’urgence de la situation.

Car, si prendre des mesures est impératif, les prendre dans le bon timing est vital. Au lieu de rassurer comme au Canada ou ailleurs, ces mesures ne font que créer la psychose, l’incompréhension et la colère. La raison ? Eh bien, les Ivoiriens se sentent livrer à eux-mêmes. Le pire, c’est ce sentiment difficile à cacher que c’est une traite politique, une période au cours de laquelle il faut faire son marché électoral. Sinon, comment comprendre ces dons personnels et sectaires de la part de certains de nos dirigeants ?

Les mauvaises langues disent que c’est avec l’argent du contribuable. Et même si ça n’était pas le cas, cette politique spectacle montre que nous n’avons pas encore confiance en les capacités de notre État à protéger ses citoyens. Pourquoi ne pas institutionnaliser l’aide pour la rendre équitable ? À cet effet, les collectivités territoriales sont des canaux plus crédibles, elles qui sont en première ligne dans ce genre de situation. Au lieu donc de partager des enveloppes de 200 000 F CFA à chaque maire pour la sensibilisation, il serait plus productif d’allouer des subventions spéciales conséquentes aux communes, afin de leur permettre de jouer leur rôle de premier rempart des populations.

Il n’y a pas de recette miracle. Mais, cette période nous interpelle sur la nécessité d’être solidaires devant les problèmes de la Nation. Oublions nos calculs politiciens, oublions nos intérêts égoïstes. Concentrons-nous sur la consolidation de la Nation en mettant un point d’honneur à traiter les Ivoiriens de façon égale. C’est à ce prix que nous gagnerons ensemble cette guerre.

Bonne santé à toutes et à tous.

Séraphin KOUAME

Citoyen ivoirien

Maire de Brobo

Chercheur en science politique

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