Les Jeux olympiques de Paris auront lieu du 26 juillet au 11 août 2024. L’organisation a besoin de 45 000 bénévoles, chargés d’accueillir le public, les athlètes et les médias. Malgré des critiques concernant leur statut, les candidatures ont afflué du monde entier.
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Boris, la vingtaine, est originaire de l’Aveyron, dans le sud de la France. En reconversion professionnelle dans l’événementiel, il enchaîne depuis peu des missions de bénévolat dans le monde de la musique. Les Jeux olympiques ? L’occasion parfaite de tester le bénévolat sportif, qu’il n’a encore jamais pratiqué. D’autant que c’est un féru de sport : judo, course à pied, tennis, escalade… Candidater apparaît alors comme une évidence. « Les Jeux olympiques, c’est quand même l’événement sportif majeur mondial, il n’y a pas d’équivalent pour moi, c’est le top, s’enthousiasme le jeune homme. J’ai hâte de savoir si je vais être accepté comme bénévole. Ça va être une grosse sélection, mais je pense que ça vaut le coup. Et même si je ne suis pas pris, au moins, j’aurai essayé. »
Boris fait partie des 300 000 personnes qui se sont inscrites pour devenir bénévole aux JO 2024. Il a rempli un long questionnaire de personnalité et a coché en priorité des missions de bénévolat sur les épreuves de basket, natation ou athlétisme. La sélection sera rude : il n’y a « que » 45 000 places, soit environ 15% de chance d’être sélectionné. Les résultats seront connus en fin d’année.
L’organisation aussi salue cet emballement. « Par rapport aux Jeux de Tokyo en 2020, c’est 50% de candidats en plus avec 101 départements français représentés et plus de 190 pays, fait valoir Alexandre Morenon-Condé, responsable du programme des bénévoles à l’organisation des Jeux olympiques. On est très surpris de voir l’engouement international autour du programme des volontaires. On ne s’attendait pas à voir un volume aussi important de candidats internationaux. Cela prouve le fort attrait du projet Paris 2024, de Paris et de la France à l’international. »
Critiques sur le statut des bénévoles
Mais sur les 300 000 inscrits, combien auront le luxe de se payer le transport jusqu’à Paris et la location d’un hébergement pendant les deux semaines de compétition ? Il est à parier que le prix des locations explosera. Or, l’organisation des Jeux olympiques ne prendra en charge ni l’un ni l’autre. Seuls les repas et le transport sur place, pour se rendre du lieu d’hébergement aux sites olympiques, seront défrayés. D’autant que les 45 000 bénévoles ne seront pas payés, puisque c’est du bénévolat.
Ces critiques ont été formulées dans une tribune publiée sur le site internet du média en ligne Basta ! le 3 avril dernier et signée par plusieurs collectifs ou associations opposées à la tenue des JO de Paris, dont Saccage 2024 ou le mouvement citoyen Youth for Climate. Ils dénoncent les conséquences économiques, écologiques, démocratiques… Mais aussi sociales. Pour ces opposants, faire travailler 45 000 personnes gratuitement s’apparente à du travail dissimulé. « Les bénévoles auraient des fiches de postes, des missions, des supérieurs hiérarchiques et leur présence serait essentielle au bon fonctionnement des Jeux. Les “volontaires” seraient donc à la disposition du Cojop [Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris], exécuteraient leur prestation en se conformant à des directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles : la présomption de salariat est totale », remarquent les signataires de la tribune.
« Les Jeux olympiques, c’est une marque propriété privée qui va se faire de l’argent, des bénéfices et qui ne paye pas d’impôts en France, dénonce Antoine (son prénom a été modifié), membre du collectif Saccage 2024. On nous vend le fait que ça va faire des retombées économiques incroyables pour les petits commerçants alors que l’expérience nous prouve que ce n’est pas le cas. Et derrière, on va demander 45 000 bénévoles pour venir travailler gratuitement pour les Jeux olympiques. C’est quand même scandaleux ! »
Le jeune homme s’est tout de même inscrit. Avec une idée en tête : infiltrer l’organisation pour mener des actions militantes. « D’abord, on peut s’inscrire et ne pas s’y rendre. Il peut s’agir aussi d’une grève de zèle. Autrement dit, mal faire son travail, ou trop lentement, ou bien accueillir les touristes en leur indiquant la mauvaise direction. On peut y aller et faire de la propagande, parler aux autres bénévoles et leur décrire le vrai visage des Jeux olympiques. Il y a plein de possibilités », détaille Antoine. Participer permettra surtout à ces militants de prouver le potentiel travail dissimulé qu’ils dénoncent. À ce titre, Saccage 2024 n’exclut pas des recours en justice, devant un conseil des prud’hommes.
La charte du volontariat olympique
L’organisation des JO 2024 balaye les critiques. « L’enjeu, ce n’est pas de rémunérer ou de ne pas rémunérer, c’est de permettre à 45 000 personnes de vivre les Jeux de l’intérieur et les coulisses du plus grand événement sportif international, commente Alexandre Morenon-Condé. En 2004, j’ai eu la chance d’être volontaire aux Jeux olympiques d’Athènes, en Grèce, j’étais étudiant à l’époque et j’ai dû me déplacer à l’étranger, me trouver un logement, ce qui n’était pas simple, et clairement cela a changé ma vie. J’ai créé des relations incroyables, et ce sont des émotions que je conserverai toute ma vie. » « La seule chose qu’il reste à l’organisation pour défendre les Jeux, c’est de jouer sur des éléments intangibles comme la fierté, la chance de participer à un événement international, ou l’héritage », réplique Antoine.
Pour montrer patte blanche face à ces critiques, l’organisation s’appuie aussi sur la charte du volontariat olympique et paralympique, encadrée par la loi relative à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2018, et son article 8. Ces 40 pages détaillent et encadrent le statut de ces bénévoles et leurs missions. Elle est signée par chaque candidat lors de l’inscription, explique Alexandre Morenon-Condé, de Paris 2024 : « On a travaillé cette charte pendant de nombreux mois avec l’ensemble des services de l’État concernés, et notamment la Direction générale du travail, mais pas que, pour définir cette charte et s’assurer qu’il n’y avait pas de situation possible de requalification [de bénévolat à salariat]. »
Peu de chance que les procédures aboutissent
Peu de chance que du travail dissimulé soit reconnu devant un conseil des prud’hommes, conclut Eva Touboul, avocate française spécialisée en droit du travail, à la lecture des 40 pages. « Sauf à ce qu’ils arrivent à prouver que l’on fait travailler lesdits bénévoles dans le cadre d’instructions très claires, qu’on les fait travailler dans le cadre d’une cadence, qu’on peut les sanctionner en mettant fin au bénévolat par exemple, il n’y a pas de travail, assure-t-elle. Surtout, ils seront libres de partir. La charte les autorise à partir quand ils le veulent, sans indemnités qui seraient dues à Paris 2024. C’est vraiment ce qui les distingue du salariat. » « Cette adhésion à la Charte ne fait pas obstacle au droit du volontaire olympique et paralympique de retirer son engagement à tout moment, pour quelque raison que ce soit », précise en effet la charte dans sa section 1.
Pour Eva Touboul, donc, peu de chance que la justice tranche en faveur de ces militants en cas de recours pour travail dissimulé. Pour autant, ce n’est pas ce qui va décourager ceux que l’on a interrogés de mener des actions. L’organisation, elle, a prévenu : des enquêtes administratives seront menées sur chaque bénévole tiré au sort pour éviter toute perturbation.