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Jean Le Dem (Afritac de l’Ouest)« j’ai peur que la Côte d’Ivoire retourne dans le surendettement »-entretient

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Après trois ans passées à la tête du Centre régional d’assistance technique du Fonds monétaire international (Fmi) pour l’Afrique de l’Ouest (Afritac de l’Ouest), basé à Abidjan, le directeur Jean Le Dem est rappelé à d’autres fonctions au Département Afrique des Etats-Unis, à Washington.

Avant de passer la main à sa remplaçante à ce poste, Jean Le Dem a dressé son bilan. Dans cet entretien, il explique les enjeux des réformes dans la gestion économique et financière sur lesquelles le centre intervient dans la région, et comment la Côte d’Ivoire peut tirer partie de cette assistance pour avancer vers l’émergence prônée par ses dirigeants.

Quels sont les domaines d’intervention d’Afritac de l’Ouest ?

L’assistance technique du Fonds monétaire international (Fmi) est une façon d’aider les pays à améliorer leurs gestions économique et financière. Les pays de la région sont confrontés à des défis importants aujourd’hui qui sont liés à la problématique de l’émergence. La Côte d’Ivoire en fait partie. Pour réaliser l’émergence, il faut améliorer la gestion économique des pays. C’est à ce niveau que nous intervenons. Par exemple, aujourd’hui, il y a un frein important dans tous les pays pour atteindre des taux de croissance importants. C’est le manque d’infrastructures publiques dans les secteurs du transport (routes), de l’agriculture, de l’eau, de l’assainissement, de l’énergie. Pour augmenter les investissements publics dans ces domaines, il faut que l’économie soit mieux gérée. Il faut, par exemple, financer ces investissements par une augmentation des revenus de l’Etat, c’est-à-dire renforcer la gestion des régies financières, au niveau de la Douane et des Impôts. Il faut aussi s’assurer que la dépense publique est plus efficace. Quand on engage de gros programmes d’investissements publics, il faut qu’on soit sûr que les Francs Cfa qu’on engage dans ces dépenses soient bien sélectionnés pour pouvoir améliorer la productivité de ces investissements pour l’ensemble de l’économie. Il faut aussi s’assurer qu’on ne retourne pas dans le cercle vicieux de la dette publique en s’endettant pour financer ces infrastructures. Surendettée comme plusieurs pays de la région dans les années 2000, la Côte d’Ivoire a bénéficié de l’initiative d’allègement de la dette, l’initiative Pays pauvres très endettés (Ppte). Il ne faudrait pas qu’elle retourne dans le surendettement. Il faut aussi s’assurer qu’on pilote bien l’économie. Il faut avoir de bonnes prévisions et de bonnes statistiques en comptabilité nationale. Il faut également s’assurer qu’on a de bonnes statistiques en matière de finances publiques. Par exemple, le Tableau des opérations financières de l’État (Tofe) doit bien refléter la situation des finances publiques pour un bon pilotage de l’économie. Il faut aussi s’assurer que le système financier est en bonne santé. Parce que ce sont les banques et les institutions financières qui vont financer une partie de cette croissance. Et, si elles sont en mauvaise santé, s’il y a un risque de crise financière, parce qu’elles sont mal gérées, c’est un risque pour toute l’économie. Avec la crise financière mondiale de 2008, on a vu les conséquences négatives d’une prise de risque excessive du système financier sur la croissance des économies. Il faut donc s’assurer qu’il y a une bonne supervision du système financier, notamment des banques au niveau de la région. Depuis 2004, le Fmi a mis en place un Centre régional d’assistance technique, l’Afritac de l’Ouest, pour aider les huit pays de l’Uemoa, la Guinée et la Mauritanie à renforcer cette gestion économique dans tous les domaines cités plus haut. Cette assistance vient compléter l’assistance technique du siège du Fmi, et bien sûr l’assistance financière que le Fmi apporte aux pays à travers des programmes. Et maintenant, nous couvrons toute l’Afrique subsaharienne. Il y a aujourd’hui cinq Centres régionaux d’assistance technique du Fmi, cinq Afritacs qui couvrent les besoins très importants de l’Afrique de l’Est, du Sud, du Centre, et depuis l’an passé, l’Afrique de l’Ouest anglophone.

Malgré toutes ces activités citées, l’Afritac de l’Ouest reste méconnu.

Le développement de l’Afrique ne se fera pas seulement par le financement de programmes ou de projets, mais aussi par les réformes et la modernisation des gestions économiques, et l’assistance technique doit aider à mettre en œuvre ces réformes parfois difficiles. Jusqu’en 2003, toute l’assistance technique venait du siège, c’est-à-dire de Washington, sous la forme de missions d’experts qui venaient établir des diagnostics et faire des recommandations. Mais ce modèle avait des limites. Le siège étant très loin, les missions ne pouvaient pas suivre fréquemment les progrès réalisés dans les domaines qui bénéficiaient de l’assistance. Ces missions ne pouvaient pas, non plus, s’adapter forcement très rapidement aux besoins des pays. L’initiative Afritac a consisté à créer ces centres pour se rapprocher des pays, et donc répondre plus rapidement et de façon plus flexible à leur demande et suivre de plus près et plus fréquemment les réformes qu’ils mettent en œuvre.

Que pensez-vous de la supervision du système financier en Côte d’Ivoire ?

La supervision du système financier, en particulier celle des établissements de crédits, est assurée ici comme dans les huit pays de l’Umoa, par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), à travers la Commission bancaire, dont le Secrétariat général est à Abidjan. Aujourd’hui, cette supervision est encore essentiellement basée sur la vérification de la conformité à des normes prudentielles. On vérifie, par exemple, que les banques sont suffisamment capitalisées par rapport à certaines normes. Les standards internationaux ont évolué, et la Commission bancaire et la Bceao ont commencé à s’ajuster aux nouvelles normes qui sont beaucoup plus robustes et qui ont été développées après la crise financière, ce qu’on appelle les normes de Bâle 2 et 3. Ces nouvelles normes développent une nouvelle approche basée sur la mesure du risque de faillite et non pas seulement sur le respect de la conformité à des ratios. Nous soutenons cette nouvelle approche à travers un gros projet conduit par un conseiller basé à Abidjan et des experts internationaux qui aident à la fois la Bceao sur la modification de la réglementation concernant la supervision et la Commission bancaire pour renforcer les méthodes de supervision des établissements de crédit. Ce projet est très important parce qu’une crise financière, on l’a vu en 2008, peut plomber les économies pendant plusieurs années.

En Côte d’Ivoire, on assiste, depuis un moment, à la privatisation de certaines banques. Afritac de l’Ouest y est-il pour quelque chose ?

Le Fmi en général, et Afritac en particulier, a donné effectivement quelques conseils à l’Etat pour restructurer le secteur bancaire public, qui est d’ailleurs un des axes de réformes du gouvernement dans le cadre du programme avec le Fmi. Nous avons fait des propositions pour restructurer le secteur public bancaire qui présente quelques risques et qui nécessite une restructuration. Il y a eu des propositions et le gouvernement est en train de mettre en œuvre certaines de ces propositions.

La Côte d’Ivoire dispose-t-elle de statistiques fiables ?

Les statistiques, ce n’est jamais parfait, mais il y a des marges de progrès importants en Côte d’Ivoire. Dans le domaine de la comptabilité nationale, qui permet notamment de mesurer le produit intérieur brut (le Pib) et donc la croissance de l’économie, nous intervenons dans deux domaines : d’abord sur la qualité des comptes nationaux annuels. Une mission conjointe du département des statistiques du Fmi et d’Afritac aura lieu pour faire le point sur les méthodes statistiques utilisées et proposer le cas échéant, des améliorations. Il semble que dans certaines branches, par exemple l’agriculture, des progrès sont possibles. Ensuite, nous fournissons de l’assistance technique pour permettre un suivi plus rapproché de l’activité économique, en aidant au développement d’indicateurs infra-annuels, notamment la production de la comptabilité trimestrielle. Nous avons fait plusieurs missions d’assistance technique dans ce domaine et très bientôt, la Côte d’Ivoire va pouvoir suivre les grands agrégats économiques comme le Pib tous les trimestres, au lieu de le faire tous les ans.

Toujours en ce qui concerne les statistiques, il y a cette polémique qui enfle autour du taux de croissance du Pib en 2015.

Vous savez, les chiffres de 2015 ne concernent plus la statistique, mais plutôt la prévision. Mais, prévoir correctement le taux de croissance du Pib, cela suppose d’avoir de bonnes bases. Donc, si on fait de l’assistance pour améliorer la série de la comptabilité nationale, on sera plus assuré d’avoir une meilleure prévision en 2015. Justement, nous avons démarré l’assistance technique en début d’année dans un nouveau domaine, les méthodes de prévision économique, rejoignant en cela les préoccupations de votre Premier ministre. Nous avons discuté des besoins dans ce domaine avec les responsables des prévisions de la région au cours d’un séminaire à Abidjan il y a deux semaines et nous allons lancer dans nos dix pays, y compris en Côte d’Ivoire, des programmes d’assistance technique qui vont cibler l’amélioration de ces méthodes.

Comment est organisé le financement de ce programme d’assistance technique aux Etats membres d’Afritac de l’Ouest ?

Dans le modèle Afritac, nos activités sont financées conjointement par le Fmi et par un fonds fiduciaire alimenté par les pays membres sous la forme d’une cotisation et par les contributions d’un certain nombre de partenaires. Dans le cas d’Afritac de l’Ouest, les partenaires financent la plus grande partie, environ 80%; le reste étant couvert par le Fmi et par les pays membres (environ 10% chacun). Les partenaires d’Afritac de l’Ouest sont des bailleurs de fonds multilatéraux, au premier chef desquels se trouve l’Union européenne, mais aussi la Banque africaine de développement (Bad) et la Banque européenne d’investissement (Bei), et des bailleurs de fonds bilatéraux (l’Allemagne, la France, la Suisse, les Pays Bas, le Canada, l’Australie, le Koweit, l’Italie, et le Luxembourg). C’est très important pour ces bailleurs de fonds de s’assurer que nous utilisons au mieux leurs financements. Les résultats du centre ce sont les succès des réformes que notre assistance technique soutient. Nous avons mis en place une batterie d’indicateurs pour mesurer les progrès qui sont faits dans les domaines que nous couvrons, par exemple en matière de modernisation des régies financières (la douane et les impôts), de gestion budgétaire, de statistiques, ou de supervision bancaire. Tous les ans, nous mesurons ainsi les progrès accomplis et nous en rendons compte à nos partenaires et pays membres, lors d’un comité d’orientation qui se réunit en avril et discute des moyens pour améliorer l’efficacité et la pérennité de notre assistance technique.

Cette assistance technique ne se transforme-t-elle pas, des fois, en une sorte de pression sur les Etats?

Vous savez, on a constaté depuis longtemps que s’il n’y a pas d’appropriation des réformes, on peut toujours faire de l’assistance technique et faire des pressions comme vous dites, mais cela ne marche pas. Pour des réformes aussi complexes et difficiles, il faut convaincre de l’utilité de ces réformes. Si on ne convainc pas, il n’y a pas de progrès. Aujourd’hui, je pense qu’on commence à convaincre beaucoup d’administrations. Par exemple, au niveau de l’administration douanière ivoirienne, nous avons mis en place, il y a quelques années, un programme pour renforcer la sélectivité des contrôles basés sur le risque de fraude. On a proposé à cette administration d’évaluer les risques de fraude en constituant une base de données des fraudes constatées et en essayant d’évaluer par une méthode statistique, quelles sont les marchandises à risques, selon l’origine de la marchandise, le type d’importateur ou de produits. La Côte d’Ivoire a mis en place cette réforme et aujourd’hui, je peux dire que c’est un succès. Grâce à ce système, il y a moins de marchandises qui sont soumises à des contrôles physiques en Côte d’Ivoire, ce qui facilite le commerce international. Mais ces contrôles sont plus efficaces, et cela commence à avoir un impact sur les recettes au cordon douanier. Ce qui est aussi intéressant dans cette réforme, c’est la dynamique régionale déclenchée à partir du cas ivoirien. Nous aidons les autres pays de la Région à faire ce type de réforme, et en retour la Côte d’Ivoire prend le relais et transmet son savoir-faire. La Côte d’ Ivoire a conclu avec deux pays de la région, le Bénin et le Togo des accords pour le transfert de sa technologie, en l’occurrence une application informatique appelé Procès verbal simplifié (Pvs) qui permet de constituer une base de données sur la fraude. Nous avons facilité cette dynamique régionale, et cette réforme est maintenant appropriée : nous n’avons pas à pousser, mais plutôt à faire face à une demande accrue des autres pays. Je ne crois pas du tout à l’efficacité des pressions.

Vous avez passé trois années à la tête de l’Afritac de l’Ouest. En termes de classement, quels sont les pays qui sont les meilleurs élèves de la classe ?

C’est une question importante, et dans le même temps difficile. Ça dépend des domaines. Certains pays comme le Sénégal sont plus avancés dans le développement des statistiques et de la prévision économique. D’autres comme la Côte d’Ivoire le sont plus dans la réforme des administrations douanières. Les pays qu’on appelle fragiles (Afritac de l’Ouest en couvre plusieurs comme la Guinée ou la Guinée Bissau) partent de plus bas et ont beaucoup de progrès à faire pour se rapprocher des autres pays. Quand la situation politique est instable, c’est difficile de faire des progrès. Parfois, ces pays ont besoin plus d’une assistance technique de longue durée, permanente. Alors que notre modèle, c’est en général des missions de courte durée, typiquement deux semaines que l’on peut répéter tous les trois mois ou quatre mois. C’est un modèle qui suppose un certain niveau initial de capacités. Et je crois que la Côte d’Ivoire a la capacité d’absorber ce type d’assistance technique. Les pays plus fragiles ont besoin au contraire d’un conseiller résident qui va être sur place pendant un an ou deux ans pour aider au jour le jour à la modernisation des administrations.

Peut-on avoir aujourd’hui une idée précise de l’impact de cette assistance sur la performance de l’économie ivoirienne ?

Si vous me posez la question est-ce qu’on peut mesurer l’impact de notre assistance technique sur la croissance du Pib, je vous dirai que c’est difficile. Parce que ce sont des effets de long terme. Mais, l‘impact de notre assistance technique sur la performance dans d’autres domaines, par exemple les recettes douanières, commence à être mesurable. On devrait voir dans les prochains mois un impact de cette méthode de sélectivité des risques sur les recettes. Dans le domaine de l’administration fiscale, je pense qu’assez rapidement, on devrait aussi avoir un impact sur les recettes fiscales du développement de ce qu’on appelle les directions des moyennes entreprises, une réforme que nous soutenons dans plusieurs pays de la région et qui donne des résultats. La Direction générale des impôts (Dgi) a lancé, sur notre conseil, la création de ces directions qui ciblent des contribuables qui sont souvent mal suivis. Vous avez aujourd’hui une direction des grandes entreprises. Les grandes entreprises sont bien suivies, elles sont contrôlées…Mais, les moyennes entreprises contribuent peu aux recettes fiscales de l’Etat, alors que dans le même temps, des recettes plus importantes pourraient être dégagées de leurs activités si elles étaient mieux suivies. Ensuite, il y a tout ce qui concerne l’efficacité de la dépense publique, l’amélioration de la gestion budgétaire. C’est plus difficile à mesurer, mais je vois aujourd’hui quand même que la Côte d’Ivoire a un programme d’investissement public assez considérable, et qui n’est pas forcément sans rapport avec le taux de croissance qu’elle atteint. Tout ce qui concerne la transparence de la gestion des finances publiques, les statistiques…ça aide au pilotage de l’économie, même si l’impact est difficilement quantifiable. Quant au renforcement de la supervision bancaire, cela permet d’éviter les crises financières. Aujourd’hui, il n’y a pas de crise, mais il faut encore minimiser le risque de la probabilité d’une telle crise parce qu’on sait que ça affecte durablement la croissance d’un pays. Aujourd’hui, le fait qu’il n’y a pas de crise est un bon signe, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas continuer à faire l’assistance technique pour renforcer la qualité de la supervision bancaire.

Existe-t-il en Côte d’Ivoire des secteurs dans les quels il vous est difficile d’accorder une assistance ?

La Côte d’Ivoire est fortement demandeuse d’assistance technique dans à peu près tous les domaines. Et, on a plutôt du mal à satisfaire toutes les demandes. Par exemple, on nous a demandé de l’assistance au niveau de la gestion de la trésorerie. On a des spécialistes là-dessus. La Côte d’ Ivoire a décidé de mettre en place un compte unique du Trésor pour améliorer la gestion de la trésorerie. C’est en train d’être fait. De la même façon, elle nous a demandé une aide au niveau de la comptabilité publique. Il y a eu beaucoup d’opérations qui n’ont pas été faites dans les règles de l’art, au moment de la crise, donc, il faut apurer les soldes anormaux, remettre un peu les compteurs à zéro.

Plus de trois ans après l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative pays pauvres très endettés (Ppte), quel bilan faites-vous ?

Un pays surendetté, c’est un pays dont les investisseurs se méfient. Parce qu’ils peuvent penser, à un moment donné, que l’Etat va décider d’augmenter les impôts pour rembourser sa dette, par exemple. Si les investisseurs savent qu’il y a un risque que les impôts augmentent, ils vont différer leurs investissements. Aujourd’hui, avec l’allègement de la dette, l’investissement privé redémarre en Côte d’Ivoire. La stabilité du système fiscal est un atout important pour les investisseurs. Et cette stabilité est rendue possible par un niveau de dette plus raisonnable avec cet allègement. C’est l’impact le plus important qu’on peut voir, d’avoir une dette plus faible. Mais, il faut faire attention. La dette peut augmenter si les déficits publics se creusent et la croissance marque le pas. Il faut continuer à bien gérer cette dette et surveiller sa viabilité. C’est important, même après l’initiative Ppte.

Comment l’Afritac de l’Ouest aide la Côte d’Ivoire à avoir un endettement maîtrisé ?

Dans ce domaine, nous intervenons de deux façons. Premièrement, notre assistance technique a suggéré au ministère des Finances de regrouper de façon plus rationnelle, tous les services qui s’occupent de la gestion de la dette publique. A la fois ceux qui gèrent directement le service de la dette et ceux qui élaborent les stratégies d’endettement. Nous avons proposé un schéma, notamment au niveau de la direction générale du Trésor qui gère la plupart de ces services et qui devrait être mis en place prochainement. Deuxièmement, pour avoir une bonne gestion de la dette, il faut aussi développer le marché régional des titres publics. Aujourd’hui, il y a très peu de transactions sur le marché secondaire des titres. Les principales institutions financières achètent des titres publics et les gardent jusqu’à échéance. L’amélioration des finances publiques passe par le développement d’un marché secondaire où les institutions ou les particuliers vont pouvoir transférer, vendre et acheter des titres. Pour ça, il faut avoir de bonnes méthodes d’émission et de standardisation de ces titres publics pour rendre ces titres plus liquides. On a conseillé également la Côte d’Ivoire sur ces questions, et sur le développement d’une courbe des taux pour avoir une structure cohérente entre la dette à court terme et la dette à plus long terme. Nous organisons même sur ce sujet un séminaire régional à Cotonou en septembre prochain. Nous aidons aussi la Côte d’Ivoire, comme les autres pays de la région, à travers l’assistance technique à l’Agence Umoa-Titres. Cette agence qui a été créée en 2013 par le Conseil des ministres de l’Umoa, est destinée à aider les pays à coordonner leurs émissions de titres. Si les huit pays de la zone font une émission de titres le même jour, les taux d’intérêts vont augmenter de façon artificielle parce qu’il n’y aura pas assez d’acheteurs pour ces titres. Donc, l’Agence Umoa-Titres, entre autres, facilite une meilleure répartition dans l’année, de ces émissions à travers un calendrier d’émissions. Nous avons aussi aidé l’Agence à produire un guide des bonnes pratiques en matière d’émission de titres publics dont une version est aujourd’hui discutée dans les directions du Trésor des pays-membres.

Le Fmi est-il favorable à tous ces emprunts obligataires et les Eurobonds lancés par la Côte d’Ivoire, et donc à ce ré-endettement ?

Ce ré-endettement sur les marchés financiers n’aurait pas été possible avant l’obtention de l’initiative Ppte. C’est plutôt un bon signe que la Côte d’Ivoire puisse accéder au marché financier à des taux qui sont raisonnables. Dans le même temps, le fait de s’endetter en Eurobonds libellés en dollars, alors que le dollar s’est apprécié fortement par rapport à l’Euro et donc par rapport au franc cfa crée un risque de taux de change qu’il faut savoir gérer. Comment gérer le risque de taux de change lorsqu’on s’endette ? Comment utiliser les techniques qui permettent de se couvrir, de s’isoler partiellement du risque de change, comment faire les arbitrages coûts-bénéfices de ces techniques ? Ça aussi, ça fait partie de l’assistance technique que nous fournissons dans certains pays qui retournent sur les marchés financiers.

Existe-t-il un réel impact de l’allègement de la dette ivoirienne sur les populations ?

Tous ces efforts pour réduire la dette et pour améliorer la gestion des finances publiques doivent se traduire par des impacts économiques et sociaux. Aujourd’hui, les impacts économiques, vous commencez à les avoir en Côte d’Ivoire, parce que vous avez une croissance relativement soutenue, même si cela n’est pas suffisant. Je ne connais pas assez bien la situation sociale en Côte d’Ivoire, mais, je vois depuis quelque temps des signes positifs, comme l’amélioration des prix aux producteurs pour certains produits de l’agriculture, notamment le cacao, le développement des infrastructures de transport qui facilitent l’écoulement des produits agricoles vers les villes, des infrastructures de santé et d’éducation. La qualité du service public, je crois, s’améliore. Je constate aussi que la meilleure gestion des finances publiques et la réduction du service de la dette ont dégagé des marges budgétaires pour augmenter le salaire des fonctionnaires, particulièrement les bas salaires. J’ai vu aussi l’année dernière que le salaire minimum (Smig) a été augmenté. Je comprends, malgré tout, la frustration de ceux qui ne perçoivent pas encore l’amélioration dans leur vie quotidienne. C’est sûr qu’il faudra du temps pour réduire la pauvreté d’une façon considérable.

Qu’est-ce que la Côte d’Ivoire peut espérer d’une structure comme l’Afritac de l’Ouest pour atteindre son objectif de pays émergent à l’horizon 2020 ?

Ce qui est important, c’est que d’ici 2020, la croissance de l’économie ivoirienne continue à ce rythme. Non seulement c’est important pour la Côte d’Ivoire, mais c’est aussi important pour toute la région, parce que la Côte d’Ivoire est vraiment un moteur régional. Maintenir cette croissance et faire en sorte qu’elle soit inclusive, qu’elle puisse améliorer les indicateurs sociaux. Sans cette croissance, pas d’émergence. Mais, cette croissance ne sera rendue possible que s’il y a un renforcement encore supplémentaire de la gestion économique et financière. Il faut donc mobiliser davantage de ressources intérieures, parce que l’aide publique au développement aujourd’hui, avec la crise que connaissent les pays occidentaux, n’est pas amenée à augmenter. Donc renforcer l’efficacité de la collecte des revenus des impôts et des douanes. Améliorer les ressources intérieures de l’Etat lui permettra de dépenser plus en matière d’infrastructures et desserrer ainsi les goulots d’étranglement de la croissance. Il faut aussi améliorer la gestion des dépenses publiques, renforcer son efficacité. Ça suppose des réformes budgétaires. Toutes ces réformes budgétaires, d’ailleurs sont encadrées au niveau régional par le Cadre harmonisé des finances publiques de l’Uemoa. Il comporte six directives dont nous soutenons la mise en œuvre dans les pays de la région par de l’assistance technique. Il faut améliorer la transparence des comptes publics et des statistiques des finances publiques, mieux les diffuser. Les responsables seront amenés ainsi à regarder davantage la qualité de la dépense publique. Améliorer aussi la gestion de la dette publique et s’assurer qu’on s’endette à des taux raisonnables, continuer à superviser plus efficacement le système financier pour éviter des crises. Mettre en place beaucoup d’éléments de renforcement des capacités, d’amélioration de la modernisation de la gestion financière qui vont permettre à la Côte d’Ivoire d’atteindre son objectif d’émergence. Je ne dis pas que c’est une condition suffisante, mais je suis convaincu que, jointe à celle des autres partenaires techniques et financiers, notre action fera une différence à l’horizon 2020.

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