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USA: les joueurs de la NBA n’ont pas hésité à faire entendre leurs voix

En 2020, année où le mouvement Black Lives Matter et l’élection présidentielle ont secoué les États-Unis et divisé sa société, les joueurs de la NBA n’ont pas hésité à faire entendre leurs voix et prendre position. Car, comme leurs aînés avant eux, LeBron James et ses acolytes basketteurs se veulent plus que de simples sportifs. Entretien avec Bastien Fontanieu, directeur de TrashTalk, sur les combats sociétaux menés en NBA.

Raconter le basket : c’est le défi que TrashTalk, média français spécialisé dans la NBA actif depuis 2012, s’est lancé. Un challenge colossal qui a nécessité plus de deux ans de travail pour accoucher d’un gros bébé : « Le plus grand livre de basketball de tous les temps (selon TrashTalk) » (éditions Marabout). Un ouvrage XXL de 2,5 kilos, 35cm de longueur et près de 300 pages qui retrace l’odyssée de la balle orange, de 1890 à nos jours. Photos, anecdotes, histoires, duels, statistiques, icônes, drames, joies… une véritable orgie de basket.

Pour illustrer la couverture du pavé, les membres de TrashTalk ont opté pour un cliché « iconique » selon Bastien Fontanieu, le directeur de publication. Michael Jordan ? Non. Les Boston Celtics ? Raté. La Dream Team américaine de 1992 ? Toujours pas. Sur la couverture, on retrouve deux gaillards tout sourire. Il y a d’abord Manute Bol, « l’un des joueurs les plus aimés du public dans les années 80-90 », et aussi l’un des plus grands joueurs de l’histoire de la NBA. Le Soudanais, disparu en 2010 à seulement 47 ans, culminait à 2,31m.

Le géant apparaît à côté de l’Américain Tyrone « Muggsy » Bogues, reconnaissable entre mille avec son profil atypique de plus petit joueur à avoir évoluer dans la ligue nord-américaine (1,59m). Tous deux ont joué sous les mêmes couleurs des Washington Bullets, devenus Washington Wizards en 1997. « Les trois ballons de basket, les chaussettes remontées, les maillots, les couleurs, les pompes… Il y a quelque chose de très unique dans cette photo », s’amuse Bastien Fontanieu. Ce rapport « très grand/très petit » prend un sens particulier en couverture de ce livre démesuré. Cet humour, c’est aussi « notre touche TrashTalk », sourit le directeur et co-fondateur du média.

Cet ouvrage, construit comme une encyclopédie à travers les âges, aborde le basket sous toutes ses formes. Le lecteur file aux quatre coins du monde et parcourt plusieurs dimensions. On passe ainsi de Kareem Abdul-Jabbar – encore connu sous le nom de Lew Alcindor – et Bill Russell s’alliant au boxeur Mohamed Ali et au footballeur Jim Brown contre le racisme en 1968, à Lionel Jospin taquinant la balle en 1984 du côté de Meaux en région parisienne. On réapprend la définition du mot « amitié » avec Maurice Stokes et Jack Twyman avant de revivre l’épopée des « Braqueuses » françaises Céline Dumerc & Cie.

On découvre aussi comment l’Égypte a été sacrée championne d’Europe en 1949 (ça ne s’invente pas) avant d’admirer l’excentrique Dennis Rodman, alias « The Worm » (« Le Ver »), vêtu d’une robe de mariée et déambulant dans New York avant de s’unir avec… lui-même. C’est ça, le basket narré par TrashTalk. « Anything is possible » (« Tout est possible »), comme hurlerait un certain Kevin Garnett.

Bien sûr, il est beaucoup question de NBA dans ce livre. TrashTalk n’est pas avare en histoires, belles et moins belles, sur la ligue majeure de basket. Dès les premières pages, le sujet douloureux de la ségrégation raciale est abordé. Si aujourd’hui, 80% des joueurs de la ligue sont noirs et/ou afro-américains, il fut une époque où les joueurs de couleur étaient tenus à l’écart des terrains. La NBA a été à l’image de la société américaine avant d’accompagner son évolution. Et la xénophobie encore institutionnalisée durant la première moitié du XXe siècle n’épargna pas le basket.

Du premier match universitaire « sans ségrégation », joué clandestinement en Caroline du Nord début 1944 entre l’université de Duke – composée de joueurs blanc – et l’université centrale de North Carolina – composée de joueurs noirs -, au combat judiciaire de la basketteuse Maya Moore pour obtenir la libération de Jonathan Irons, un Afro-Américain injustement condamné à 50 ans de prison (il en aura passé 23 derrière les barreaux avant de recouvrer la liberté en juillet 2020), TrashTalk raconte moult histoires d’anonymes et d’icônes, sans distinction de couleurs, ayant pris part aux luttes qui ébranlent toujours le pays de l’oncle Sam.

« Ces athlètes sont plus que des athlètes. Ce sont des humains, des personnes actives sur des sujets sensibles. Comme on le dit : le monde a changé le basket et le basket a changé le monde. Ce n’est pas juste un sport avec des victoires, des défaites et des statistiques. Ce sont aussi des gens qui ont aidé à façonné, aux États-Unis et ailleurs, la société dans laquelle on vit aujourd’hui », explique Bastien Fontanieu.

L’année 2020 a vu un basketteur (« un extraterrestre » d’après Bastien Fontanieu) prendre encore plus d’envergure qu’il n’en n’avait déjà. Un phénomène du nom de LeBron James, monstre de stats et de superlatifs. Il y a le côté sportif déjà : en octobre, il a mené les Los Angeles Lakers jusqu’au titre de champion NBA, dix ans après leur dernier sacre et quelques mois après la mort tragique de leur ancienne gloire, Kobe Bryant. Après 17 saisons au top-niveau, James compte maintenant quatre bagues de champion. Et puis, à côté des prouesses sur les parquets, il y a tout simplement l’icône LeBron James. « Il est le porte-drapeau de cette mouvance d’athlètes qui ont un impact réel sur la jeunesse et les avancées d’aujourd’hui », observe le directeur de TrashTalk.

Aux États-Unis, LeBron James est un personnage clivant. Démocrate convaincu, opposant farouche de Donald Trump, l’enfant d’Akron (Ohio) ne laisse pas indifférent. Dans un pays toujours plus coupé après une présidentielle à couteaux tirés entre deux moitiés qui ne se comprennent plus, les prises de positions de « King James » suscitent autant d’adhésion que de rejet, selon le bord et les opinions.

Mais lui se sait suivi, observé et écouté. Alors, pas question pour lui de rester dans l’ombre après la mort de George Floyd, qui a remis en lumière le mouvement Black Lives Matter. LeBron James, parmi d’autres, a exprimé tout son désarroi face aux violences policières. Durant l’été, la colère a fini par embraser la NBA, après l’affaire Jacob Blake : les joueurs, choqués, ont lancé un boycott des playoffs pendant quelques jours. Quitte à irriter encore un peu plus Donald Trump, qui a bien peu d’amis en NBA, une ligue qu’il méprise, et qui abhorre le geste du genou à terre que les joueurs ont adopté.

« LeBron James a décidé de suivre un chemin qui n’est pas forcément celui d’un Michael Jordan par exemple. C’est quelqu’un qui veut montrer qu’une fois le match terminé, il y a aussi une voix à utiliser, une vraie présence. Il utilise son potentiel au maximum pour avoir un impact sur le monde réel, pour sa génération et les générations futures », décrypte Bastien Fontanieu.

Début 2018, Laura Ingraham, polémiste de la chaîne conservatrice Fox News, avait lancé à LeBron James et Kevin Durant : « Shut up and dribble » (« Fermez-la et dribblez »). Une manière brutale de dire aux basketteurs de cesser de parler de politique, de société ou d’accuser Donald Trump de racisme. James n’a, bien sûr, pas suivi l’injonction d’Ingraham. Ce n’est pas vraiment le genre du bonhomme. Soutenu par son équipementier Nike, la star a, au contraire, lancé la campagne « More Than An Athlete » (« Plus qu’un athlète »).

Très actif dans la lutte contre le racisme systémique, engagé pour l’éducation des jeunes – avec son association, il a ouvert une école gratuite pour les enfants défavorisés d’Akron –, LeBron James, qui a connu la précarité durant son enfance avec sa mère, s’est encore démené ces derniers mois pour encourager la communauté afro-américaine à voter lors de la présidentielle de 2020, alors qu’elle s’était peu mobilisée quatre ans plus tôt.

Tous ces idéaux ont été portés par d’autres avant lui. « Mais ça n’a jamais le même impact que lorsque le meilleur joueur de la planète le fait. C’est là qu’il se détache. Quand le patron prend des positions aussi tranchées, ça sort du lot », note Bastien Fontanieu. Et le directeur de TrashTalk prévient : « On voit ce que LeBron James a déjà fait. On voit ce qu’il fait encore. Mais on n’est même pas prêt pour ce qu’il va faire après… » Nul doute que « LBJ » aura encore des positions à défendre une fois qu’il aura quitté les parquets. C’est dans sa nature.

Aec RFI

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