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CPI/ procès du 17 fevrier très tendu /Le témoin : « On nous a demandé de faire allégeance à Gbagbo »

Brédou M’Bia, est un témoin de taille. La déposition écrite de ce haut-gradé de la police ivoirienne, en poste au moment de la crise postélectorale, fait presque 400 pages et comporte 333 documents. Son interrogatoire devrait durer encore au moins une semaine.

On n’en finit plus de rallonger la durée des audiences pour venir à bout de la déposition de Brédou M’Bia. Directeur général de la police nationale jusqu’en janvier 2017, il est le 34e témoin dans l’affaire mettant en accusation l’ex-chef d’Etat ivoirien et son ministre de la jeunesse pour crimes contre l’humanité. Après 9h30 d’interrogatoire, l’accusation n’avait pas conclu ce soir, proposant même à un prétoire épuisé de débuter l’audience plus tôt lundi prochain.

« J’ai l’impression d’être un dentiste en train d’arracher une dent »

Cette nouvelle journée de procès, ponctuée de huis-clos, a donné lieu à de nombreuses passes d’armes entre l’accusation et la défense. Les avocats de Laurent Gbagbo et Charles Blé-Goudé se sont levés à de multiples reprises, interrompant l’interrogatoire du procureur McDonald, aux questions jugées trop directives. « Vous lui mettez les mots dans la bouche » a regretté Me Altit.

De son côté le procureur a lancé au témoin une comparaison peu heureuse : « J’ai l’impression d’être dans la peau d’un dentiste en train d’arracher une dent ». Des altercations arbitrées par le juge Tarfusser, très agacé par ces interruptions à répétition mordant sur le temps imparti. « Nous n’allons pas jouer au ping-pong », a-t-il tancé, invitant le procureur à changer « radicalement » sa façon de poser des questions.

L’accusation est revenue sur la journée du 2 décembre 2010 où ont été proclamés les résultats du scrutin présidentiel. Une journée que Brédou M’Bia interprète d’abord comme l’investiture du président, qui a en fait eu lieu le 4 décembre. « Il y avait tous les grands commandants dont moi-même ».

Il s’agit en fait d’une convocation du chef d’Etat-Major, Philippe Mangou, lui demandant de prêter allégeance au président Gbagbo. « Le général Bi Poin et moi avons dit que ce n’était pas normal, que nous n’étions pas d’accord, et nous sommes repartis à nos bureaux. À 18h, on nous a rappelés en nous disant qu’on ne nous demandait pas notre avis mais de faire allégeance » déclarait Brédou M’Bia aux enquêteurs de la CPI en 2001. Ce qu’il dit avoir fait par « mimétisme » avec les autres haut-gradés.

 

Le ministre donne l’ordre de disperser les manifestants

Mais il a surtout été question aujourd’hui de la marche du 16 décembre 2010 vers la Radio télévision ivoirienne (RTI), pilier du régime en place. Une marche menée par des partisans de Ouattara, interdite et réprimée par les forces de sécurité ivoiriennes (FDS) fidèles à Gbagbo. La position de Brédou M’Bia à l’époque laisse penser qu’il a été au premier chef des événements et des opérations, et l’accusation s’est longuement arrêtée sur ce fait.

« Etiez-vous au courant de cette marche des RHDP avant le 16 décembre ? », questionne McDonald. « Non, on a eu cette information le jour-même » répond le témoin. « Avez-vous reçu des instructions pour des préparatifs en prévision de cette marche ». « Non, ceux qui avaient initié la marche n’avaient pas prévenu les forces de police. Mais comme nous avons eu vent d’un événement, on ne pouvait pas rester les bras croisés et nous avons pris des dispositions ».  

Ce jour-là, M’Bia affirme qu’il était dans son bureau. « Je supervisais la marche, j’écoutais la radio de la police », précisant que « le préfet, soutenu par le directeur des unités d’intervention Claude Yoro, était le chef des opérations ». Le ministre de l’Intérieur, Emile Guiriéoulou, informé par téléphone des événements par M’Bia lui-même, n’aurait donné aucune instruction radio. « A ma connaissance il n’intervenait jamais ».

C’est pourtant Guiriéoulou qui aurait ordonné de disperser les marcheurs, rôle lui revenant seulement pour une manifestation armée et pas pour une manifestation « normale ». « Ce n’était donc pas une manifestation normale ? » demande Tarfusser. « Des policiers ont été tués par des armes à feu, donc ce n’était pas une manifestation normale » rétorque M’Bia.

 

« Il n’est plus question d’être neutres »

Si le témoin reconnaît qu’il y a eu des morts durant la marche – il serait difficile de le nier – il précise que « tous les rapports stipulent qu’il n’y a pas eu de morts sur le terrain mais suite à leur évacuation vers le CHU ». L’accusation présente pourtant plusieurs rapports faisant état de morts retrouvés sur les chaussées, et cherche à savoir si ces morts ont été causées par d’autres armes que les grenades lacrymogène dont dispose habituellement la police. « Nous n’utilisions que des grenades lacrymogène » soutient le témoin. Les décès semblent pourtant provenir de grenades explosives.

« Des journalistes internationaux ont-ils été agressés par les forces de l’ordre pendant la marche ? » questionne McDonald. « Non c’est le contraire, ce sont des marcheurs qui ont agressé un journaliste que la police a accompagné à l’hôpital » lance M’Bia, de moins en moins coopérant. « On a parlé de trois journalistes de France 3 dépossédés de leurs caméras » poursuit le procureur. « Je ne confirme pas cette information ». « Gbagbo subissait-il des pressions d’organisations internationales quant aux civils morts pendant la marche ? » poursuit le procureur. « Je ne vois pas ».

L’accusation a également diffusé l’extrait d’un journal télévisé, relatant la tournée des casernes par Brédou M’Bia pour féliciter ses troupes suite à la marche du 16 décembre 2010. « On vous a demandé d’être neutres pendant toute la campagne. Aujourd’hui la Chambre constitutionnelle a tranché et c’est Laurent Gbagbo le président de la Côte d’Ivoire. La police a donc pour mission de soutenir les institutions, et il n’est plus question d’être neutres » lance-t-il à ses policiers.

ivoirejustice

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