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Art: avec «Restes suprêmes», Dorcy Rugamba bouleverse la Biennale de Dakar

Il appelle cela une « œuvre plastique performative ». Le Rwandais Dorcy Rugamba met en scène « Restes suprêmes », à la Biennale internationale d’art africain contemporain de Dakar. À mi-chemin entre l’exposition et la pièce de théâtre, il s’interroge sur la place des objets africains dans les collections européennes. Le public est invité à entrer dans les décors, au plus près des acteurs… et de l’histoire.

« Je suis la gardienne des restes. » Ainsi se présente une femme mystérieuse, le visage maquillé d’un ovale blanc, dans une forêt de bambou d’où pendent des masques.

Nous sommes à l’AfricaMuseum, nouveau nom du sulfureux Musée royal d’Afrique centrale à Tervuren, en Belgique, érigé à la gloire du roi Léopold II qui avait fait du Congo sa propriété personnelle, au cours de son règne de 1865 à 1909.

Cette femme, c’est un masque punu qui prend vie. Incarné par l’actrice Nathalie Vairac, il va servir de guide à un visiteur du musée, Malang (Malang Sonko), et lui raconter les différents maîtres auxquels il a appartenu.

Successivement, le spectateur est invité à prendre place dans plusieurs univers : quatre espaces rectangulaires faits de bois et de miroirs, qui sont autant de moments d’histoire.

Le masque est entré dans les collections d’un musée colonial ; il a trôné dans le salon d’un général belge qui aimait chasser l’éléphant et couper des têtes ; il s’est retrouvé sur l’étagère d’un « scientifique » du tournant du XXᵉ siècle, persuadé de démontrer la supériorité de la race blanche – et de l’homme sur la femme – en mesurant les crânes ; enfin, le masque retournera sur la terre de ses ancêtres.

« J’ai grandi au Rwanda sans connaître une partie de l’histoire de mon pays », témoigne Dorcy Rugamba, 52 ans. « Cette histoire était mieux documentée ailleurs, notamment à Tervuren, poursuit le metteur en scène. C’est une situation assez étrange. La question n’a pas cessé de me hanter. »

Dans une scénographie inventive aux décors soignés, qui a mobilisé une soixantaine d’artisans, « Restes suprêmes » invoque les fantômes du passé.

Ces « restes », ce sont les restes d’une civilisation bien sûr. Mais ce sont aussi les restes humains. Bien souvent, les masques ont voyagé aux côtés de corps que l’on faisait expédier d’Afrique vers certains laboratoires en Occident. Parfois, d’ailleurs, les masques et les corps se retrouvaient dans les mêmes institutions, comme le Musée de l’Homme, à Paris. On y trouvait à la fois des laboratoires de dissection et des départements d’ethnographie.

Dorcy Rugamba donne le chiffre de 10 000 corps encore entreposés dans des institutions occidentales. Leur statut fait débat, retardant leur inhumation dans leur pays d’origine.

Dans la dernière partie de la performance, la leçon d’histoire – jamais fastidieuse – se mue en expérience spirituelle. Le spectateur est invité à se déchausser pour entrer dans l’ultime espace, présenté comme un « sanctuaire ».

La cérémonie d’initiation commence. Malang, le visiteur du musée, va retrouver sa culture, sa langue, sa musique – interprétée en direct par un trio kora-balafon-ikembe.

Le masque prend la parole :

L’esprit ne meurt jamais. Les ancêtres te parleront toujours. Ils sont en toi. Ils ne t’ont jamais quitté

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